reporterre_logoweb.png
Climat-ÉnergieForêt
12 janvier 2015

Aspiré par des centrales géantes, le bois n’est plus écologique

Le développement de la filière bois-énergie sonnera-t-il la fin du bois comme énergie écologique ? Méga-unités de production, valorisation en électricité seule, agrocarburants, concentration industrielle et accaparement de terres, Reporterre présente les risques qui pèsent sur la filière.

De 14 % aujourd’hui à 32 % en 2030 : la loi de Transition énergétique veut donner aux énergies renouvelables une part importante dans le mix énergétique français. La première d’entre elles est le bois, qui a fourni en 2012 dix millions de tonnes équivalent pétrole sur les 22,4 de production primaire d’énergie renouvelable en France – soit le double de l’hydraulique, qui devance elle-même de loin le vent et le soleil.

L’enjeu du bois-énergie est donc majeur. Et depuis 2005, la Commission de régulation de l’énergie a mené quatre appels d’offre de projets de centrale de cogénération, valorisant simultanément le bois en chaleur et en électricité. En 2011, le dernier appel d’offre, dit « CRE 4 », a retenu quinze projets pour un total de 420 mégawatts (MW), marquant un changement d’échelle de la filière bois énergie, désormais orientée vers de plus grandes unités de production. Surtout, il ouvre la porte à des centrales uniquement électriques.

Prévue pour entrer en opération en 2015, la centrale de Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, symbolise cette croissance industrielle. Ancienne centrale thermique à charbon, elle est reconvertie en plus grosse centrale biomasse de France, avec une puissance de 150 MW d’électricité, sans cogénération. Ce développement massif de la filière bois-énergie remet pourtant en cause les fondements-mêmes qui la justifiaient : le bois peut-il encore être considéré comme une énergie écologique ?

« Une forêt n’est pas un puits de pétrole »

Le postulat de départ est que, non seulement la ressource est renouvelable, mais qu’elle est abondante. Le dernier inventaire forestier réalisé par l’Institut géographique national estime ainsi que 30 % du territoire métropolitain est recouvert de forêt. Et la ressource croît : « La production biologique des forêts a augmenté depuis qu’on l’évalue », reconnaît Richard Fay, du collectif SOS Forêt.

Pour la compagnie E.ON, qui aura besoin de 850 000 tonnes de bois par an dans l’exploitation de la centrale de Gardanne qu’elle reconvertit, l’argument justifie le projet : « Dans la région PACA, la forêt représente la moitié du territoire régional, sachant que la surface a doublé en peu de temps, pour une production annuelle de 2,5 millions de tonnes de bois », a expliqué sur France 3 Pierre-Jean Moundy, responsable des relations institutionnelles biomasse du groupe allemand.

Mais il s’agit d’un volume théorique : « On ne peut pas raisonner seulement en production de bois, il faut prendre en compte aussi l’âge, la qualité et l’accessibilité du bois », observe Jérôme Freydier, ingénieur à l’Office National des Forêts (ONF). D’autant plus que d’autres industries ont besoin de bois : le mobilier ou la papeterie, notamment. La papeterie de Tarascon vient concurrencer l’approvisionnement de Gardanne. Cette pression accrue sur la ressource pourrait remettre en cause sa pérennité. « On n’exploite pas une forêt comme on exploite un puits de pétrole. La question du pas de temps est fondamentale : le bois nécessite une gestion raisonnée », insiste Serge Defaye, vice-président du Comité interprofessionnel du Bois-énergie. Opposée au projet Syndièse, à Saudron (Haute-Marne), dans lequel le CEA veut utiliser la biomasse forestière pour produire des agrocarburants de deuxième génération, l’association Mirabel constate la même difficulté d’ « adéquation avec les potentialités réelles de la ressource » : « Si on prélève trop, on décapitalise la forêt et la ressource ne peut plus être considérée comme renouvelable ». Cette nouvelle « guerre du bois » pose donc la question de la pertinence de son utilisation à des fins énergétiques. Si l’énergie est majoritairement valorisée sous forme de chaleur, le rendement est « excellent » selon la Fedene (Fédération des services énergie environnement). Mais la tendance actuelle est surtout de produire de l’électricité.

Fin 2013, la France comptait déjà 28 sites de production d’électricité à partir de cette « biomasse solide », pour une puissance totale de 304 MW. Mais quand on n’utilise la combustion du bois que pour produire de l’électricité, le rendement énergétique est médiocre, de l’ordre de 30 %. « Pour dix arbres coupés, trois seulement serviront vraiment à faire de l’électricité. Le reste part sous forme de chaleur », détaille Jean Ganzhorn, ingénieur en énergie. Le rendement net, prenant en compte l’énergie « grise » nécessaire à la production elle-même, ne serait même que de 18 % : « Sur les trois arbres, la moitié est utilisée pour l’ensemble du processus ». Sans cogénération, produire de l’électricité à partir du bois serait donc une « aberration ». « Brûler du bois sert à faire de la chaleur, et si on peut récupérer de l’électricité, tant mieux. Mais l’inverse n’a pas de sens », dit Jean Ganzhorn.

Une énergie « propre » : quel impact carbone ?

Il faudrait également chercher la cohérence dans le dimensionnement des usines, afin de réduire au maximum les émissions de CO2. « Il faut rester dans des infrastructures de taille moyenne, proches de la ressource, et ne pas tomber dans une logique de concentration industrielle » explique Serge Defaye.

Car le bilan carbone ne se calcule pas seulement lors de la combustion du bois : « Il y a aussi toutes les étapes de récolte, de transformation et de transport » énumère Frédéric Amiel, chargé de mission à Greenpeace. Le rapport de l’ONG sur la « biomascarade » dénonce ainsi « les fausses allégations de carboneutralité [qui] cachent des impacts climatiques majeurs ».

A ce compte, la centrale de Gardanne devrait ainsi se révéler bien moins neutre que sa présentation officielle ne l’affirme : il faudra chaque jour que 250 camions acheminent un bois prélevé dans un rayon de 400 km, et importer du bois du Canada pour compléter l’approvisionnement que la ressource locale ne suffira pas à garantir.

Cette absurdité n’est pas spécifique à la France. « Prises ensemble, les centrales à biomasse de Grande-Bretagne nécessitent 60 millions de tonnes de bois par an. C’est environ sept ou huit fois la production annuelle des forêts du Royaume-Uni », assure Nicholas Bell, du réseau SOS Forêt. Ces importations massives de bois soulèvent d’autres problèmes comme l’accaparement des terres, comme l’explique un rapport récent de l’association Biofuel Watch.

« La biomasse-énergie est valable dans certaines conditions » conclut Jean Ganzhorn. Soucieux de la « juste mesure », Serge Defaye défend pour cela un raisonnement multicritère et progressif : « Estce que j’ai du bois, en circuit court, sans conflit d’usage ? Si oui, quels sont mes besoins en chaleur ? A partir de ces réponses, on peut réfléchir à faire de l’électricité, qui n’est qu’un sous-produit de la démarche ». Le problème, c’est qu’industriels et décideurs suivent la démarche inverse…

> BARNABÉ BINCTIN

Reporterre

Cet article est issu du dossier de la Baleine 178 – Les pièges verts de la biomasse réalisé en partenariat avec Reporterre.