Climat-ÉnergieFinance
24 mars 2012

Les projets Gilgel Gibe en Ethiopie

En 2005, le gouvernement éthiopien a publié un ambitieux Plan national de développement du secteur énergétique sur 25 ans avec entre autres pour objectif d’exploiter le grand potentiel hydroélectrique du pays, estimé à 45 000 MW.

Le gouvernement voulait que l’Ethiopie ait un rôle moteur dans la production énergétique de la région et a identifié pour cela plus de 300 sites potentiels d’exploitation de projets hydroélectriques. Parmi eux, les projets Gilgel Gibe constituent une série de centrales hydroélectriques dans le bassin de la rivière Omo dans le Sud-ouest de l’Ethiopie. La réalisation des projets doit être entreprise par EEPCo, l’entreprise publique éthiopienne en charge du service public de l’électricité.

De Gilgel Gibe I à Gilgel Gibe V, un projet colossal qui ne bénéficie pas aux populations

Gilgel Gibe I est un barrage de 40 mètres de hauteur qui génère 183 MW opérationnel depuis 2004. Gibe II est quant à lui un tunnel de 25km de long qui génère de l’électricité en utilisant le dénivelé entre le bassin créé pour le barrage Gilgel Gibe I et la rivière Gibe. Gilgel III serait le plus gros projet de barrage hydroélectrique de l’Ethiopie, haut de 240 mètres, avec un coût total estimé à 1,5 milliard d’euros : les 1 870 MW d’électricité que le barrage doit être capable de produire seront entièrement exportés au Kenya. La question de l’accès à l’énergie pour les populations rurales se pose de nouveau.

En aval, dans le même bassin, Gilgel Gibe IV et V sont aussi programmés.

Les impacts sociaux et environnementaux

Près d’un demi-million de personnes seront affectées par ces projets, dont la majorité vivent en Ethiopie et au Kenya dans des communautés tribales éloignées et marginalisées. En effet, en Ethiopie, la plupart des gens vivent au bord de la rivière et cultivent leur nourriture dans la plaine alluviale. Cette agriculture sera détruite par la construction du barrage. Au Kenya, la région Turkana est une zone semi-désertique, et le Lac Turkana est la seule source d’eau potable pour les hommes et les bêtes. La pêche est la principale activité génératrice de revenu pour des centaines de personnes. Retenir l’eau dans des barrages en amont du lac va réduire le niveau de ses eaux de 7 à 10 mètres. Cette baisse aura de nombreux incidences sur la qualité de l’eau, les pêcheries et pourrait favoriser des conflits tribaux.

La construction du barrage Gilgel Gibe (zone construite et connue comme Gibe I) a entraîné le déplacement de 1 964 foyers, soit un total de 10 000 personnes. Les communautés déplacées et les communautés de la zone qui ont été réinstallées ont vu leurs conditions de vie se dégrader. Des familles ont été réinstallées sur des zones marécageuses au mauvais rendement agricole. Les personnes déplacées comme les communautés qui ont dû les accueillir ont subi des pertes sans compensation de terrain de pâture, et des conflits ont surgi concernant l’utilisation des terres. Les villageois ont signalé une diminution du bétail et du nombre d’animaux domestiques en général. La production agroalimentaire a augmenté la première année grâce à l’utilisation d’engrais fournis par le projet, mais a décliné depuis. Les sites de réinstallation de la population ne sont pas équipés d’électricité, alors qu’ils sont traversés par des lignes à haute tension. La prévalence de la malaria et de la typhoïde a augmenté autour du réservoir, qui offre des conditions idéales à la prolifération des moustiques.

Les lacunes criantes de la Banque européenne d’investissement

La BEI a prêté 41 millions d’euros pour Gibe I en 1998 et 50 millions d’euros pour Gibe II en 2005. Mais la Banque n’a pas réalisé d’étude d’impact sur le développement, ni mis en œuvre de mesures d’atténuation ou obligé l’entrepreneur à respecter les engagements pris dans le cadre du projet. Ni le gouvernement ni la BEI n’ont pris de mesures pour assurer le suivi des personnes déplacées.
L’entrepreneur des deux projets est la firme italienne Salini Costruttori S.p.A. Elle a obtenu le contrat pour Gibe II par une négociation directe, sans qu’il y ait eu de procédure d’appel d’offre ce qui est contraire aux normes de la BEI et à la loi éthiopienne.
De plus alors que la loi italienne et les accords internationaux exigent que l’aide au développement assure uniquement le financement des projets d’infrastructure basés sur appels d’offres internationaux, le directeur général à la coopération italienne a apporté une contribution de 220 millions d’euros au contrat de Salini pour ce projet.
Etant donné que le Directeur a ignoré les avis négatifs de sa propre équipe technique et du ministère italien de l’Economie et des Finances, des allégations de mauvaise gestion ont surgit et le prêt a fait l’objet d’une enquête par le Tribunal de Rome. L’agence de crédit à l’exportation italienne, la SACE, a quant à elle refusé d’apporter sa garantie au projet, alléguant l’existence de risques majeurs.

La BEI a approuvé le projet et la construction du barrage de Gibe II a commencé avant même que le permis environnemental n’ait été délivré par l’autorité éthiopienne compétente. Ce permis été ensuite fourni à la Banque comme une simple formalité, pour s’assurer rétrospectivement que tout le prêt était en bonne et due forme.

Par ailleurs, les études d’impact environnemental (EIE) réalisées par Salini sont médiocres et incohérentes. En raison de l’absence d’étude de faisabilité et de la mauvaise qualité des EIE, le projet Gilbel Gibe II a été retardé pendant deux ans en raison des problèmes géologiques rencontrés quand le tunnel a été creusé.

Le 10 janvier 2010 le projet est inauguré en grande pompe, en présence du Premier Ministre Meles Zenawi et d’officiels du gouvernement italien. « Il est possible d’accélérer le développement sans polluer l’environnement » a alors déclaré Zenawi en coupant le ruban d’inauguration. Deux semaines plus tard, l’élément central du projet, un tunnel de 26 km de long, s’est effondré. Les réparations ont pris presque un an et il n’est pas sur que les coûts supplémentaires aient été pris en charge par Salini et non pas par les citoyens éthiopiens.

La BEI recule

Malgré ces événements qui discréditent, la BEI a continué à s’intéresser au projet de Gilgel Gibe III pour lequel en 2006 Salini et EEPCo ont signé un nouveau contrat pour la construction de Gilgel Gibe III, encore une fois sans passer par une procédure d’appel d’offre. La construction de Gilgel Gibe III a commencé cette même année sans que l’Etude d’Impact Environnemental n’ait été approuvée, en violation de la politique environnementale éthiopienne. Le projet a finalement reçu son permis environnemental en 2008 alors que l’évaluation n’était toujours pas finie… La BEI a soutenu en 2009 avec les fonds de l’assistance technique de la Commission européenne « une étude technique et financière de faisabilité » et une nouvelle Evaluation des incidences sociales et environnementales. La BEI et la Banque mondiale étaient alors sollicitées pour apporter les 1,4 milliard de dollars qui manquent encore pour achever le projet.

En raison des risques énormes que fait peser ce projet sur les populations locales (création d’un bassin de 150 km de long qui bouleversera le fragile écosystème du fleuve, destruction des pécheries, inondation de terres agricoles etc.), les Amis de la Terre et un collectif international d’ONG lancent alors en mars 2010 une pétition pour s’opposer à la construction de ce barrage. Devant la forte mobilisation internationale la BEI confirme son retrait du projet 5 mois plus tard mais sans remettre en cause le principe même du projet. En effet, elle annonce officiellement s’être retirée car le barrage aurait trouvé d’autres sources de financement, mais elle ne mentionne ni les violations des droits des peuples indigènes 1 et des recommandations de la Commission mondiale des barrages comme fondement de sa décision.

Notes
1

Comme souvent les communautés locales n’ont pas été consultées. Le gouvernement éthiopien a fermé des dizaines d’associations de communautés locales dans les zones affectées. Le gouvernement fait la promotion de larges concessions sur les territoires des autochtones, pour qu’elles soient converties en plantations industrielles. Cette mainmise de leurs terres est en violation flagrante de la Constitution éthiopienne et de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples indigènes, que l’Ethiopie a signée.