Climat-ÉnergieFinance
22 juillet 2014

GDF Suez : comment l’entreprise française nous fait vivre sa dolce vita avec ces centrales à charbon

L’entreprise française GDF Suez est l’une des plus polluantes de la planète, notamment en raison de ses investissements massifs dans le secteur du charbon. Pour poursuivre son expansion internationale sans entraves, elle n’hésite pas à influer sur les politiques environnementales et climatiques des pays européens.

Les Amis de la Terre dénoncent ces pratiques de lobby et les choix énergétiques climaticides de l’entreprise, rappelant au gouvernement et à GDF Suez la nécessité de privilégier les investissements en faveur de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables.

GDF Suez, une entreprise parmi les plus polluantes de la planète

Selon le récent classement de l’organisation CDP 1 , GDF figure dans le peloton de tête des entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre (GES) au niveau mondial. Elle est même en 3e position des fournisseurs d’énergie les plus polluants après l’allemand RWE et l’espagnol Endesa avec près de 1 500 tonnes équivalent C02 émises par unité de revenu… Dans son rapport d’activité 2012, l’entreprise nie pourtant cette réalité en affirmant que « le parc de production de 116 GW de GDF Suez est peu émetteur grâce à un large recours au gaz naturel (59 % des capacités) et à une part croissante d’énergie renouvelable (près de 15 %). »

Ce que GDF n’explique pas c’est, d’une part, que l’hydroélectricité de grande échelle, à savoir les grands barrages – qui n’est pas une énergie verte – est comptabilisée dans ces 15 % d’énergies renouvelables. D’autre part, si la proportion de ces dernières a beau augmenter dans le mix énergétique, elles sont loin d’atteindre la part des énergies fossiles utilisées par l’entreprise. Le charbon à lui seul, qui est l’énergie fossile la plus climaticide, mobilise 14 % des capacités de production, soit bien plus que les réelles énergies renouvelables.

La carte ci-dessous élaborée à partir des données disponibles pour l’année 2012, illustre l’ampleur des investissements charbon de GDF dans le monde :


Conséquences du charbon sur la santé et l’environnement : GDF Suez entaché de scandales

En mars 2014, la centrale à charbon de Vado Ligure en Italie a été fermée par le juge de la province de Savone après l’ouverture d’une enquête pour « catastrophe environnementale » et « homicide involontaire » 2. Un rapport du ministère de l’Ecologie italien a ainsi établi que la pollution émise par la centrale, détenue à 50 % par GDF, serait responsable de la mort de 442 personnes entre les années 2000 et 2007. Cette décision inédite est salutaire : de nombreuses études ont prouvé que l’extraction et la combustion du charbon sont des contributeurs majeurs de la pollution de l’air. Or, un récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) vient d’établir que cette dernière avait été responsable en 2012 de la mort de 7 millions de personnes dans le monde, soit 1 décès sur 8, devenant le premier risque environnemental sur la santé 3.

Les impacts sanitaires ne sont pas les seuls négligés par GDF : des manquements en matière de sécurité et de maintenance des sites ont été relevés lors de l’incendie qui s’est déclaré dans la mine de charbon de Morwell (Australie) en mars 2014 et qui a exposé durant trois semaines les riverains à une pollution élevée. Le scientifique du climat Tim Flannery a dénoncé à cette occasion les risques d’incendie dans les mines à charbon et les conséquences de l’exposition pour les pompiers et les communautés, interrogeant la capacité de GDF à maîtriser ces risques et à informer correctement les populations affectées 4.

Acteur majeur du lobby anti-climat

Malgré les risques climatiques, sociaux et environnementaux que comportent l’extraction et la combustion du charbon et des énergies fossiles en règle générale ; malgré la tendance internationale des acteurs publics à se retirer du charbon, l’entreprise GDF Suez, elle, cherche par tous les moyens à maintenir à flot un système défaillant et exerce une pression conséquente sur les décideurs français et européens.

GDF est notamment membre de Business Europe, un groupe d’industriels. C’est par ce biais que l’entreprise a joué de son influence au sein de la Commission européenne lors du débat sur le paquet énergie-climat 2030, supposé convenir d’objectifs contraignants de réduction des émissions, de la consommation, et d’augmentation de la part des énergies renouvelables. De tels objectifs permettraient d’atteindre les objectifs européens d’une réduction de 80 à 95 % des émissions de GES d’ici à 2050 par rapport à leur niveau de 1990. Pour les membres proéminents de Business Europe tels que Arcelor Mittal, Shell, Total, Exxon Mobil, et bien d’autres, un tel accord est une véritable menace pour leurs investissements. Un récent rapport des Amis de la Terre Europe et du Corporate Europe Observatory 5 vient de mettre en lumière l’influence de Business Europe sur la Commission… probablement pas étrangère à la décision de ne proposer qu’un seul objectif contraignant – mais peu ambitieux – de réduction des émissions 6.

Et pour bien s’assurer que la pression est efficace, GDF est le chef de file d’un autre groupe d’industriels, le Groupe Magritte, dont les recommandations pour les décideurs européens cherchent à cisailler toute ambition environnementale et climatique 7 .

De telles pratiques de lobby allant à l’encontre des engagements français et européens en matière d’environnement et de climat sont particulièrement problématiques pour une entreprise détenue à 80 % par l’Etat français.

Poursuite des investissements charbon

Pourquoi l’entreprise cherche-t-elle si activement à affaiblir les engagements environnementaux et climatiques de l’Europe et de ses Etats membres ? Tout simplement parce qu’elle ne veut pas voir ses projets d’investissements dans des centrales à charbon menacés. Même si la science recommande de laisser au minimum 2/3 des ressources fossiles dans le sol, GDF a dans ses tuyaux un grand nombre de projets de centrales à charbon en Europe et à l’étranger.

Le 8 mai 2013, GDF a ainsi signé un accord préliminaire avec la compagnie polonaise Lubelski Wegiel Bogdanka pour la construction d’une centrale à charbon de 500 mégawatts 8 . Or, 92 % de l’électricité polonaise provient déjà du charbon. En Allemagne, GDF Suez prévoit d’investir dans la centrale de Wilhelmshaven (800 MW). 9

Près des frontières européennes, c’est au Maroc et en Turquie que des projets charbonniers s’annoncent. A l’occasion de la visite du Président François Hollande en Turquie en janvier 2014, GDF Suez a signé un memorandum of understanding 10 pour un certain nombre d’investissements comme le projet nucléaire Sinop ou la centrale à charbon du complexe d’Adana 11 . Au Maroc, la compagnie Safi Energie, dans laquelle GDF Suez est en joint-venture, envisage d’investir dans une centrale à charbon de 1 320 MW 12 . Pour cela, le Maroc sera obligé d’augmenter ses importations en charbon de 3,5 millions de tonnes d’ici 2017 : la centrale ne permettra donc pas l’indépendance énergétique du pays.

Après le Brésil, GDF est également particulièrement attirée par les pays des BRICS : l’entreprise vient ainsi d’acquérir 74 % des parts du projet de centrale à charbon Andhra Pradesh de 1 000 MW en Inde 13, et poursuit son expansion en direction de l’Afrique du Sud. Elle est ainsi intéressée pour la construction d’une centrale de 1 200 MW dans la province de Limpopo. Son fonctionnement est prévu sur une durée de 25 ans, alors que le Département de l’Energie sud-africain s’est fixé un objectif de 42 % d’énergies renouvelables dans les nouveaux investissements électriques d’ici 2030.

Dans un contexte de transition énergétique française, les Amis de la Terre rappellent au gouvernement français et aux entreprises la nécessité d’une cohérence des politiques en matière d’énergies fossiles. L’interdiction de pratiques à l’échelle nationale (telle que la fracturation hydraulique) ou le déclin du charbon en France ne doivent pas autoriser les entreprises françaises à reporter ces investissements dangereux hors des frontières, au détriment de la santé, de l’environnement et des conditions de vie des communautés au sein desquelles les projets sont implantés. Les Amis de la Terre plaident au contraire pour que la priorité soit donnée à des mesures de réduction de la consommation, d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables, modèle économique pérenne et vecteur d’emplois .