Stop TTIP / TAFTA
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22 mai 2015

TAFTA : sous la pression des Etats-Unis, l’Europe renonce à interdire des perturbateurs endocriniens !

Les responsables du commerce états-uniens ont fait pression sur l’Union européenne pour qu’elle renonce à prendre des mesures contre des perturbateurs endocriniens liés au cancer et la stérilité masculine, afin de faciliter l’accord de libre échange TAFTA

Suite aux pressions des responsables du commerce des Etats-Unis en vue de l’accord sur le TAFTA, l’Union européenne a renoncé à prendre des mesures règlementaires relatives aux perturbateurs endocriniens liés au cancer et à la stérilité masculine.

C’est ce qui ressort des documents qu’a obtenus le Réseau européen d’action contre les pesticides (PAN Europe). Les critères de l’Union européenne en projet auraient pu interdire 31 pesticides contenant des produits chimiques, perturbateurs endocriniens. Mais ils ont été abandonnés par crainte d’une réaction commerciale violente, alimentée par un lobby états-unien agressif.

Le 26 juin 2013 au matin, une délégation de haut niveau de la Mission des Etats-Unis vers l’Europe et de la Chambre états-unienne du Commerce, rendait visite aux responsables du commerce de l’Union européenne, afin d’insister pour que les européens abandonnent leurs nouveaux critères pour mettre en évidence les perturbateurs endocriniens et ce, en faveur d‘une nouvelle étude d’impact. A la fin de la journée, l’Union européenne avait cédé.

Les minutes de la rencontre montrent que les responsables de la Commission expliquent que « bien qu’ils veulent que le TAFTA soit un succès, ils n’aimeraient passer pour des gens qui affaiblissent les normes européennes ».

Le TAFTA est un accord commercial en cours de négociation entre les Etats-Unis et l’Union européenne pour supprimer les barrières commerciales et favoriser le libre échange.

Dans les minutes, on peut lire que les représentants de la Chambre de Commerce des Etats-Unis qui répondaient aux négociateurs états-uniens, « se plaignaient de l’inutilité de créer des catégories et donc des listes » de substances interdites.
Les représentant des Etats-Unis insistaient pour qu’une approche basée sur le risques soient adoptée pour la réglementation, et « mettaient l’accent sur la nécessité d’une évaluation d’impact ».

Plus tard lors de cette journée, la secrétaire générale de la Commission, Catherine Day, envoyait une lettre à Karl Falkenberg, directeur du département Environnement, en lui disant de suspendre les critères en projet :

« Nous suggérons que, comme l’ont fait les autres Direction générales, vous envisagiez de procéder à une unique évaluation d’impact commune pour couvrir toutes les propositions. Nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire de préparer des recommandations de la Commission, relatives aux critères pour identifier les substances qui sont des perturbateurs endocriniens. »

Suite à cela, la législation prévue pour 2014, fut repoussée au moins jusqu’en 2016, malgré les coûts pour la santé que provoquent les maladies, comme la perte de QI, l’obésité ou le cryptorchidisme – maladie qui affecte le système génital des petits garçons, et que l’on estime à 150 milliards d’€ chaque année. [[http://www.theguardian.com/environment/2015/mar/06/health-costs-hormone-disrupting-chemicals-150bn-a-year-europe-says-study]] )

Un mois avant cette rencontre, la Chambre du Commerce des Etats-Unis avait prévenu l’Union européenne des « vastes implications » qu’aurait l’adoption des critères en projet. Cet organisme commercial voulait que l’évaluation d’impact de l’UE fixe des seuils plus souples pour les expositions acceptables aux perturbateurs endocriniens, basés sur les propriétés de la substance.

Le président du comité environnement de la Chambre de Commerce des Etats-Unis écrivait dans une lettre à la Commission : « Nous sommes inquiets de voir que cette décision qui est source de nombreux débats scientifiques, puisse être prise pour des raisons politiques, sans qu’auparavant, ses impacts sur la marché européen ne soient évalués ».

Ils pourraient être considérables, nous dit la lettre.

Dans une note interne de niveau élevé, envoyée peu après au commissaire à la Santé, Tonio Borg, son directeur général prévenait que la politique de l’Union européenne relative aux perturbateurs endocriniens « aura des conséquences importantes sur l’économie, l’agriculture et le commerce ».

Cette lettre fortement expurgée, envoyée une semaine avant que l’Union européenne n’abandonne ses projets poursuit : « Les Etats-Unis, le Canada et le Brésil ont déjà exprimé leur inquiétudes concernant ces critères qui pourraient avoir des répercussions importantes sur le commerce ».

Pour Bas Eikhout, député européen Vert, ces faits sont « incroyables ». « Ces documents montrent de façon convaincante que le TAFTA non seulement représente un danger pour l’avenir en baissant les normes de l’Europe, mais qu’en plus, cela se produit déjà au moment où nous parlons » affirmait-il au Guardian.

Suite aux révélations du Guardian sur l’étendue du lobbying de l’industrie menant à l’abandon des critères, 64 députés déposaient, cette année, une question à la Commission à propos des retards sur la classification des perturbateurs endocriniens. La Suède, le Parlement européen et le Conseil européen ont déposé des recours contre la Commission et ce blocage législatif.

Juste quelques semaines avant que ces règlementations ne soient abandonnées, il y a eu un tir de barrage par des firmes européennes comme Dupont, Bayer, BASF au sujet des perturbateurs endocriniens. L’association des industries chimiques, Cefic, prévenait que le problème des perturbateurs endocriniens « pouvait devenir un problème qui bloque l’avancée des négociations entre les Etats-Unis et l’Union européenne ».

Le géant de la chimie, BASF, dénonçait le fait que l’interdiction des pesticides « allait réduire le libre échange des produits agricoles au niveau mondial ».

Au même moment, le département de l’agriculture, très pro-industrie de la Commission, pesait sur le débat interne de l’Union européenne après avoir été « informé par des représentants de l’industrie chimique des Etats-Unis ».

Un thème qui revenait dans les lettres de lobbying évoquait le besoin de fixer des seuils sans danger d’exposition aux perturbateurs endocriniens, même si les preuves scientifiques s’accumulent pour suggérer que le modèle linéaire des seuils – dans lequel des doses plus élevées provoquent des effets plus importants – ne convient pas aux perturbateurs endocriniens.

« Le système endocrinien humain est régulé par les hormones et les récepteurs hormonaux sont sensibles aux faibles doses. » explique Hans Muilerman, coordinateur de PAN Europe. « Dans les études de toxicité sur les animaux, les effets sont observés à faibles doses mais disparaissent à des doses plus fortes. Mais dans le domaine règlementaire, les faibles doses ne sont pas testées ».

Un porte-parole de la Commission insistait sur le fait que les inquiétudes concernant la santé et l’environnement seraient entièrement prises en compte, malgré les pressions de l’industrie ou des groupes commerciaux.

Un responsable de l’UE affirmait : « Les procédures en cours de l’Union européenne sur les évaluations d’impact n’ont aucun rapport avec les négociations sur le TTIP. L’Union européenne procèdera à l’adoption de critères définitifs pour identifier les perturbateurs, indépendamment du cours futur de nos négociations avec les Etats-Unis sur le TAFTA ».

Un document de principe de l’Union européenne sur le TAFTA, publié en mai dernier, citait les perturbateurs endocriniens comme étant un des « nouveaux problèmes scientifiques émergents » que les Etats-Unis et l’Union européenne pourraient aborder pour une « coopération règlementaire renforcée » dans le futur accord du TAFTA.

Pour le porte-parole de la Commission « Etant donné que le futur accord sur le TAFTA ne rentrera très probablement pas en vigueur avant l’adoption définitive des critères de l’UE pour identifier les perturbateurs endocriniens, il est clair que l’évaluation d’impact en cours et l’adoption de critères définitifs ne seront pas traités dans le cadre des négociations sur le TAFTA ».

Article de Arthur Neslen, Bruxelles, paru dans [The Guardian], vendredi 22 mai