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ForêtPollution de l'air et transports
11 juillet 2017

Le goût amer de l’huile de palme certifiée « durable »

Chaque année, lors de la saison sèche (août à octobre), de terribles incendies embrasent les forêts indonésiennes. En 2015, ces feux ont atteint une telle ampleur qu’un épais nuage de fumée a recouvert une grande partie de l’Asie du Sud-Est, polluant l’air de 60 millions de personnes.

Une catastrophe sanitaire et climatique. L’embrasement des sols tourbeux a libéré des quantités massives de dioxyde de carbone, de méthane et de protoxyde d’azote, hissant pendant quelques mois l’Indonésie parmi les pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre au monde.

Qui est responsable de ces incendies ?

C’est en analysant des photos aériennes fournies par la NASA de 181 concessions, et en recoupant ces informations avec un travail de terrain minutieux que les Amis de la Terre Indonésie (Walhi) ont pu démontrer que les départs d’incendies étaient liés pour une grande part aux plantations de palmiers à huile. Un moyen efficace de défricher, à peu de frais, les forêts environnantes pour étendre les plantations. Si la pratique est malheureusement dénoncée depuis longtemps, cette fois-ci, sept citoyens indonésiens, appuyés par les Amis de la Terre Indonésie, ont décidé de saisir la justice. Et, pour la première fois, la Cour de Justice de Kalimatan Centre leur a donné raison en reconnaissant la responsabilité des compagnies de palmiers à huile.

Un procès qui pourrait en ouvrir beaucoup d’autres

Ce verdict historique ouvre une brèche dans le système de défense adopté par les entreprises. Face aux critiques, ces entreprises mettent régulièrement en avant leur engagement volontaire et les systèmes de certification censés garantir leur application. À de multiples reprises, les Amis de la Terre ont dénoncé l’inefficacité de ces certifications : par exemple, alors que le paraquat, un pesticide reconnu neurotoxique par l’Organisation Mondiale de la Santé, est interdit en Europe et aux USA, il est toujours « toléré » dans les plantations de palmiers à huile « certifiées » durables. Logique, l’entreprise qui le commercialise, Syngenta, est membre de cette table-ronde. Les entreprises reconnues coupables par la justice indonésienne (Wilmar International, Bumitama Gunajaya Agro (BGA), Sinar Mas et Genting group) sont toutes des membres actifs de la « table ronde pour l’huile de palme durable ».

Le groupe Wilmar International qui détient environ 40 % du marché mondial d’huile de palme est ainsi régulièrement pointé du doigt. Depuis 2008, les Amis de la Terre France dénoncent les ravages de cette entreprise en Indonésie, au Nigeria et en Ouganda, et en 2016, c’est Amnesty International qui a publié un rapport constatant de graves atteintes aux droits humains dans les plantations indonésiennes du groupe et de ses fournisseurs : travail forcé, travail des enfants, pratiques abusives et dangereuses mettant la santé des ouvriers et ouvrières en péril.

L’accumulation de ces rapports n’empêchent pas les banques de s’intéresser à ce juteux marché : BNP Paribas et Crédit Agricole sont ainsi dans le top 4 des soutiens au groupe Wilmar. L’entreprise est « certifiée » ? Alors tout va bien.

La donne est en train de changer

La victoire juridique historique obtenue en Indonésie fait écho à celle obtenue en France, sur l’impunité des multinationales qui obligera les entreprises à rendre des comptes à propos de leur sous-traitants ou de leurs fournisseurs. L’ONU s’est saisi du sujet et planche (enfin) sur un cadre international juridiquement contraignant.

Pour alimenter son projet de « bioraffinerie » à La Mède, Total devrait importer des quantités massives d’huile de palme. Des volumes qui ne pourront être obtenus, vu les délais, qu’auprès des principaux négociants internationaux. Pour étouffer les critiques, Total explique que la « bioraffinerie » sera approvisionnée auprès de fournisseurs « certifiés », engagés dans la tableronde sur « l’huile de palme durable »… mais refuse jusqu’à présent de présenter la liste de leurs noms.

De nombreux salariés, syndicats et élus locaux refusent d’être complices d’une violation des droits de l’Homme et demandent un projet de reconversion responsable : un front de solidarité naissant, du local au global, est en train de se former, là où Total cherche à diviser.

par Sylvain Angerand, les Amis de la Terre France.