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ForêtMultinationales
22 mars 2018

Palme : une huile pressée par les lobbies

Le 16 janvier, le Parlement européen a voté à la quasi-unanimité l’élimination de l’huile de palme dans les carburants d’ici 2021. Une victoire ? Pas encore. Car en coulisse, la France a tenté de saboter ce vote et n’a pas dit son dernier mot. Un incroyable retournement de position en quelques mois

Plan climat

Le 6 juillet 2017, Nicolas Hulot fait un grand pas en avant en annonçant lors de la présentation du Plan Climat que le gouvernement souhaite fermer une fenêtre qui donne « la possibilité d’incorporer de l’huile de palme dans les biocarburants ».

Onde de chox en Asie

L’annonce de Nicolas Hulot provoque aussitôt la colère de l’Indonésie et de la Malaisie, les deux principaux pays producteurs d’huile de palme. Depuis plusieurs années, l’huile de palme alimente les tensions diplomatiques avec l’Europe. Après avoir réussi à tuer in-extremis la « taxe Nutella » en 2014, les lobbies malaisien et indonésien se remobilisent. Le premier ministre malaisien appelle en personne Nicolas Hulot, et surtout fait pression sur le cabinet du Premier Ministre. La Malaisie joue la carte du chantage économique. L’Indonésie, plus discrète, rappelle que Serge Atlaoui, un Français incarcéré depuis 2005 pour une supposée complicité dans un trafic de drogue, est condamné à mort et que sa peine pourrait bien être appliquée.

Une palme pour les distributeurs

Depuis mai 2017, les Amis de la Terre discutent avec les distributeurs de carburant, clients de Total, pour les informer sur la présence d’huile de palme dans les carburants et leur demander de s’engager. Dès nos premiers échanges, Leclerc et Systèmes U annoncent qu’ils ont pris des mesures pour exclure l’huile de palme. Un dialogue poussé s’ouvre avec Intermarché, qui finira par annoncer un plan d’élimination de l’huile de palme avant 2020. Les discussions sont plus compliquées avec Carrefour, Auchan et Casino. A l’automne 2017, une vingtaine de groupes ANV/Alternatiba/ Amis de la Terre se mobilisent en organisant des actions dans les stations-service. Le 16 novembre, le siège social de Carrefour est occupé… et quelques semaines plus tard, la Fédération du Commerce et de la Distribution (qui regroupe Carrefour, Auchan, Cora et Casino) écrit au Premier Ministre pour soutenir notre demande. L’Alliance Française pour l’Huile de Palme durable, qui regroupe les principaux industriels français qui utilisent l’huile de palme, rejette la candidature de Total (qui souhaitait rejoindre cette plateforme pour se « verdir ») et publie dans la foulée une position expliquant pourquoi ils sont contre l’utilisation d’huile de palme dans les carburants.

Agrocarburant - huile de palme - orang outans
DeathbyDiesel – crédit T&E

Le dossier « Total »

A la Mède, près de Marseille, Total a lancé la reconversion de la raffinerie de Provence depuis plusieurs mois. Le géant du pétrole souhaite en faire une « bio raffinerie » de taille mondiale, et importer massivement de l’huile de palme pour l’alimenter. Aucun chiffre n’est officiellement communiqué mais les Amis de la Terre décortiquent le dossier d’enquête publique et lèvent le lièvre : c’est plus de 500 000 tonnes d’huile de palme, brute ou sous forme de dérivés, que Total souhaite utiliser. Total deviendrait le premier importateur français d’huile de palme. Lorsque Nicolas Hulot arrive au Ministère en mai 2017, c’est le premier dossier que posent sur sa table les Amis de la Terre. Aujourd’hui, les travaux n’ont pas commencé et aucune autorisation n’est encore délivrée : il est encore temps d’agir et c’est ce que doit faire Nicolas Hulot comme prévu dans le Plan Climat. Justice climatique, justice sociale : même combat. Sous pression de la part de ses clients, grillée dans ses tentatives de greenwashing, Total est aussi sous le feu des critiques en interne. Le 14 novembre, les Amis de la Terre et Alternatiba organisent une conférence commune avec la CGT et le maire de Martigues pour réclamer un autre plan de reconversion pour la raffinerie, sans huile de palme et permettant de préserver les emplois.

Au niveau européen, le moteur français s’enraye

Depuis novembre 2016, à Bruxelles s’est ouvert le long processus de révision de la directive sur les énergies renouvelables. C’est cette directive qui fixe les règles au niveau européen concernant les “biocarburants”. La France a donc une opportunité unique de mettre en oeuvre l’engagement pris dans le cadre du Plan Climat. Pourtant, lors du Conseil de l’Énergie en décembre 2017, Brune Poirson, qui représente la France, ne dit pas un mot sur l’huile de palme. Dans une note envoyée aux eurodéputés avant le vote du 16 janvier 2018, la France leur demande même de ne pas voter l’amendement interdisant l’huile de palme. En vain, l’amendement passe largement.

Des armes plutôt que le climat ?

Le 30 janvier, en visite officielle en Malaisie, Florence Parly, Ministre des Armées, déclare que la France soutiendra la Malaisie, pour
bloquer une interdiction de l’huile de palme dans les carburants. Dans la balance, la vente de 15 Rafale. Total affirme publiquement
que « les autorités françaises au plus haut niveau de l’État le soutiennent ».

La mobilisation fait tâche d’huile

Les prochains mois vont être déterminants car le Parlement Européen doit se mettre d’accord avec les Etats membres avant l’été sur l’avenir de l’huile de palme comme biocarburant. Les Amis de la Terre ont bien l’intention de ne rien lâcher en pointant les incohérences du gouvernement. Une parole est une parole.