Visite Usine Engrais - journées de patrimoine 2021
L’usine Timac Agro, appartenant au groupe Roullier, ouvre ses portes dans le cadre des journées européennes du patrimoine. Le Tréport, 18/09/2021
Agriculture
20 septembre 2021

Les engrais invités aux journées du patrimoine ?

Découvrez à travers cet article un décryptage du greenwashing d’un leader des engrais en France : Roullier.

Pendant les débats sur la Loi Climat, le gouvernement a fait pression pour empêcher l’adoption de mesures ambitieuses pour réduire la consommation d’engrais azotés de synthèse, un impératif écologique et social auquel s’est pourtant engagé la France.

Ce gouvernement, qui n’est pas à une contradiction près, a ouvert aux citoyen·nes français·es les portes de plusieurs usines d’engrais dans le cadre des Journées du patrimoine, octroyant implicitement à cette industrie le label de « site d’exception qui fait la fierté de la France ».

On décrypte pour vous le greenwashing de l’une des principales entreprises du marché français des engrais azotés de synthèse.

Des produits « naturels » pour une « agriculture durable »

Samedi 18 septembre, abasourdi·es par l’ouverture de l’usine Timac Agro au public pour les Journées du Patrimoine, nous nous rendons au Tréport pour assister à la visite organisée par le groupe Roullier.

La visite débute par une vidéo de marketing pour laquelle les visiteur·ices sont prié·es de s’asseoir. Dans cette vidéo, comme dans les différentes prises de parole lors du parcours de visite, certains mots sont régulièrement utilisés pour décrire les activités de l’usine : des produits « naturels » pour une « agriculture durable ». Selon les organisateur·ices, les molécules utilisées dans la fabrication des engrais proviennent de « ressources naturelles » et leur business s’inscrirait même dans le modèle vertueux de « l’économie circulaire ».

L’impact climatique de la fabrication d’engrais n’est bien sûr jamais mentionné, alors qu’il faut l’équivalent en gaz d’1kg de pétrole pour fabriquer 1kg d’azote, et que la France consomme en moyenne 80kg d’engrais azotés par hectare par an… Nous avons posé la question de la nécessité du gaz fossile dans le processus de fabrication : plusieur·es employé·es ont botté en touche, un seul a osé dire que le gaz « naturel » s’échappe constamment dans l’atmosphère « alors autant l’utiliser », comme si ce gaz n’était pas extrait industriellement par l’action de l’homme. Des ressources « naturelles » certes, mais dont l’exploitation n’a rien de durable !

Opération greenwashing

Avec cette visite publique, le groupe Roullier s’offre ainsi une belle opération de greenwashing auprès des habitant·es. Cynique quand on sait que les usines d’engrais (dont celles de la Timac) sont régulièrement épinglées, en France, pour les diverses pollutions de l’air ou de l’eau, impactant directement la santé des citoyen·nes.

Assurer la « nutrition des plantes »

Un autre élément de langage a attiré notre attention lors de cette visite : le mythe de la nécessité des engrais de synthèse pour l’agriculture.

Toute la rhétorique du groupe Roullier s’appuie sur l’idée que leurs produits apportent aux plantes les « nutriments » dont elles ont besoin pour se développer, entretenant ainsi l’idée qu’ils sont nécessaires pour une agriculture productive.

C’est tenter d’occulter les bonnes pratiques agronomiques qui permettent d’apporter aux plantes l’azote dont elles ont besoin sans intrant de synthèse. Les modes de production (rotation des cultures, intercultures) et l’apport d’engrais verts (légumineuses, fumier) apportent les nutriments nécessaires aux végétaux. L’agriculture biologique se passe aujourd’hui complètement d’engrais de synthèse, et la productivité de ce modèle agricole est aujourd’hui équivalente à l’agriculture conventionnelle sur certaines cultures, forte d’années d’améliorations agronomiques

Journées du patrimoine : une caution verte pour Roullier ?

Encore une fois, les Journées du Patrimoine à la Timac du Tréport servent directement les intérêts économiques du groupe, qui peut librement diffuser sa communication. Le business des engrais, malgré ses conséquences néfastes sur le climat, l’environnement et la santé publique se maintient et se développe sur ce même mythe. Les agronomes sont pourtant formel·les : nous pouvons nous passer d’engrais.

S’élever en rabaissant la concurrence : « nos engrais sont mieux que ceux de Yara et Boréalis »

Pendant la visite, la Timac Agro se démarque des ses concurrents Yara et Boréalis en justifiant par des choix éthiques la volonté de ne pas produire d’ammonitrates, ces engrais qui ont explosés à Beyrouth l’été dernier ou à l’usine AZF de Toulouse en 2001, faisant des centaines de morts. Ce sera le seul risque lié aux engrais mentionné pendant la visite. Ce n’est pourtant pas le plus important notamment par comparaison avec les coûts sanitaires et environnementaux de notre consommation d’azote qui se situent entre 35 et 230 milliards d’euro par an pour l’Europe – et ce pour l’ensemble des engrais azotés de synthèse. Soyons clair·es, les engrais azotés fabriqués par le groupe Roullier ont bien le même impact environnemental que les autres. Pourquoi des discours si trompeurs ? Simplement car pour Roullier, comme pour les autres géants des engrais, polluer est très rentable.

Imaginerait-on autoriser la visite publique d’une usine de fabrication de pesticides durant laquelle une multinationale de l’agrochimie pourrait diffuser librement des contre-vérités ? Bien sûr que non.

Ces visites publiques, organisées par des groupes dont la rentabilité est basée sur des pollutions qui impactent la vie de toutes et tous participent directement à leur légitimation. A l’heure de l’urgence climatique, il est irresponsable que le gouvernement cautionne cette opération de communication, qui a  trompé de nombreux·ses visiteur·ices. mais aussi journalistes.