
Le business des énergies fossiles, un atout clé pour l’appareil colonial et militaire israélien
Alors que l’horreur génocidaire continue de se dérouler en Palestine, les Amis de la Terre France décryptent un rouage clé de la machine de guerre israélienne : l’énergie. Outil d’oppression multiforme, elle peut devenir une cible cruciale de la lutte pour la libération de la Palestine. (Article 1/3)
Contexte
La situation dans les territoires palestiniens, occupés par Israël depuis 1967, a basculé dans une nouvelle phase avec l’offensive militaire sur la bande de Gaza, déclenchée suite aux attaques du 7 octobre 2023. Cette offensive génocidaire a engendré une catastrophe humanitaire se soldant par des dizaines de milliers de morts, dont des milliers d’enfants. Elle s’accompagne d’une famine de masse, de la destruction systématique des conditions de vie, des habitations, des hôpitaux et des infrastructures essentielles, et d’un déplacement massif forcé de la population1.
Les plus hautes instances juridiques internationales se sont prononcées sur la situation en 2024, établissant des qualifications relatives aux crimes les plus graves et soulignant le risque de génocide. Cette analyse a ensuite été étayée par les conclusions d’experts mandatés par l’ONU, qui ont affirmé l’existence d’un génocide, ainsi que par les rapports fournis par de nombreuses ONG2.
En tant qu’Amis de la Terre France, nous nous tenons aux côtés de PENGON (Amis de la Terre Palestine) dans leur lutte pour les droits du peuple palestinien et pour la justice environnementale. Leur travail essentiel pour documenter la destruction des terres et des écosystèmes nourrit et renforce notre dénonciation des complicités qui arment et financent cette violence3.
À ce titre, il est crucial de souligner que cette situation de violence systémique qui dure depuis 1967, et qui culmine aujourd’hui dans un génocide, n’est pas uniquement le fruit d’une idéologie coloniale. Elle est également alimentée par des intérêts économiques et géostratégiques puissants, au premier rang desquels figure le contrôle des ressources énergétiques. Le commerce des énergies fossiles devient alors un vecteur de complicité pour les acteurs tiers qui, en fournissant une aide ou des moyens matériels, facilitent la commission de crimes. Concrètement, cette complicité s’opère de deux manières : d’une part, les importations de gaz en provenance d’Israël lui procurent les ressources financières directes qui alimentent son budget militaire et lui offrent une légitimation diplomatique. D’autre part, les exportations de combustibles vers Israël sont essentielles au fonctionnement de son appareil militaire, sans lesquelles sa capacité à mener ses opérations serait considérablement réduite.
Combustibles fossiles importés : les carburants de la machine de guerre
L’appareil militaire israélien (ses navires de guerre, ses chars, ses avions de chasse et ses usines d’armement) ne peut fonctionner sans un approvisionnement constant en énergies fossiles qui sont très majoritairement importées. Loin d’être neutres, ces chaînes d’approvisionnement en pétrole, charbon et gaz sont directement complices des crimes perpétrés sur les territoires palestiniens occupés.
Pétrole, charbon et carburants au service de la machine de guerre
Comme le souligne Andreas Malm, « La destruction de Gaza est menée par des chars et des avions de chasse qui déversent leurs projectiles. Les chars Merkava et les avions F-16 envoient leur feu d’enfer sur les Palestinien·nes, les roquettes et les bombes réduisent tout en décombres. Mais cela n’est possible qu’après que la puissance explosive de la combustion d’énergies fossiles les a placés sur la bonne trajectoire. L’ensemble de ces engins militaires carbure au pétrole. »4
La dépendance d’Israël aux énergies fossiles est loin d’être négligeable. Son mix énergétique repose sur 12,8 % de charbon, 37,8 % de pétrole et 43,6 % de gaz (contrairement aux deux premiers qui sont principalement importés, le gaz provient de l’exploitation de gisements nationaux, financée en grande partie par des investissements étrangers)5. Il est certain qu’une partie du pétrole importé est transformé en carburant pour les chars, les véhicules blindés et les bulldozers qui opèrent à Gaza et en Cisjordanie. Le charbon et le gaz, quant à eux, alimentent en électricité les usines d’armement qui produisent les munitions utilisées contre les populations civiles6.
Les bombardements aériens intensifs sur la bande de Gaza dépendent directement du kérosène. Le pays reçoit des livraisons régulières des États-Unis, et selon une enquête de l’organisation néerlandaise SOMO7, au moins six cargaisons de kérosène militaire (JP-8) ont été livrées depuis octobre 2023. Il est également probable qu’Israël importe du kérosène militaire de certains pays européens. Toutefois, l’Union européenne (UE) et ses États membres manquent de transparence sur leurs exportations militaires vers Israël. Par ailleurs, une enquête de Oil Change International (OCI)8 a également permis de documenter ces chaînes d’approvisionnement. Cette analyse recense 65 livraisons de pétrole brut et de produits pétroliers raffinés vers Israël entre octobre 2023 et juillet 2024. Fait aggravant, 35 d’entre elles, soit 54 %, ont quitté leur port d’origine après la décision de la CIJ du 26 janvier 20249 reconnaissant le risque plausible de génocide de la population palestinienne à Gaza.
Le gaz exporté : l’alimentation de l’expansion colonialiste d’Israël
En plus d’alimenter physiquement la machine génocidaire et coloniale d’Israël, les énergies fossiles peuvent aussi lui rapporter des ressources financières et une forme de légitimité essentielles à la continuité de sa politique colonialiste et génocidaire. C’est le cas du gaz fossile, dont Israël est une grande productrice, au point de pouvoir en exporter vers d’autres pays.
L’exploitation gazière, une source d’enrichissement au service de l’Etat colonial
Exportatrice depuis 2017 vers la Jordanie et depuis 2020 vers l’Égypte, Israël avait déjà récolté 3 milliards de dollars (11,7 milliards de NIS) en date d’août 2023 grâce aux redevances des entreprises exploitantes10, comme Chevron. Ces revenus sont en hausse, avec une augmentation de 25 % entre 2022 et 202311, et la production israélienne de gaz doit doubler entre 2023 et 202712.
Depuis 2022 et un memorandum signé entre l’Union européenne, Israël et l’Egypte, Israël exporte aussi du gaz vers l’Europe. Le gaz transite via gazoduc par l’Egypte, où il est liquéfié et expédié sous forme de GNL. Cela le rend difficilement traçable. Selon une analyse du collectif Gastivists, la France fait partie des six pays européens à avoir très probablement importé du gaz israélien depuis octobre 202313.
Le gaz rapporte de l’argent avant même la phase d’exploitation, au moment de l’octroi de licences d’exploration. Lorsqu’un champ gazier (ou pétrolier) est découvert, la zone est découpée en “blocs” d’exploration. Des entreprises peuvent enchérir pour obtenir une licence leur permettant d’explorer un ou plusieurs blocs, et d’y développer plus tard des projets d’extraction s’ils sont techniquement faisables et financièrement viables. La licence va en général à l’entreprise la plus offrante.
Des licences d’exploration ont ainsi été accordées aux entreprises britanniques BP et Dana Petroleum, ou encore à l’italienne Eni fin octobre 2023, souvent dans des eaux palestiniennes occupées14, sans qu’on connaisse l’argent versé à Israël pour celles-ci15.
Légitimation diplomatique de l’occupation par l’exportation du gaz
Au-delà d’un atout économique, les exportations de gaz sont un atout diplomatique. Les différents accords passés avec les pays voisins ou l’Union européenne étendent les leviers de pression ou de contrôle d’Israël et diminuent la marge de manœuvre des pays dépendants du gaz israélien face à l’expansion colonialiste et le génocide perpétré par Israël. Israël assume clairement l’importance géopolitique de son statut d’exportatrice : le ministre de l’énergie déclare ainsi que le gaz “renforce les liens diplomatiques”16 ou “aide à promouvoir la stabilité régionale”17.

Le contrôle du système énergétique, un outil d’oppression du peuple palestinien par Israël

L’énergie au service de la colonisation en Palestine : refuser la complicité des entreprises et des Etats
Plus de 61 000 personnes tuées à Gaza depuis octobre 2023, dont plus de 17 000 enfants ; au moins 1,9 million de personnes (soit 90 % de la population) déplacées, souvent à plusieurs reprises ; plus de la moitié des hôpitaux hors service ou détruits ; et 500 000 personnes subissant des conditions de famine en raison du blocage de l’aide humanitaire.
Dès janvier 2024, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a jugé le risque de génocide à Gaza « plausible », ordonnant des mesures conservatoires. Quelques mois plus tard, le procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) a requis des mandats d’arrêt contre des dirigeants du Hamas et Israël pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. En juillet 2024, la CIJ a rendu un avis consultatif historique qualifiant l’occupation des territoires palestiniens d’illégale et appelant à sa cessation. En mars 2024, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies, Francesca Albanese, publiait « Anatomie d’un génocide« . Cette analyse est aujourd’hui partagée par un nombre croissant d’ONG et d’experts, qui parlent désormais d’un génocide indéniablement en cours. Le 16 septembre 2025, la Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU sur le territoire palestinien occupé publie un rapport affirmant la commission par Israël d’un génocide à l’encontre du peuple palestinien.
Amis de la Terre International, Justice climatique et libération palestinienne : cartographier la complicité, 18 septembre 2025 (en anglais uniquement pour le moment, traduction à venir)
Andreas Malm, The Destruction of Palestine Is the Destruction of the Earth, Verso, 8 avril 2024.
International Energy Agency, Energy system of Israel, consulté le 23/09/2025.
Disrupt Power, Global Energy Embargo for Palestine, BDS National Committee, Toolkit: Disrupting Energy Corporations for the Liberation of Palestine, June 2025.
SOMO, Fuelling the flames in Gaza, 28 mai 2024.
Oil Change International, Behind the Barrel: New Insights into the Countries and Companies Behind Israel’s Fuel Supply, Août 2024.
Cour internationale de justice, Ordonnance du 26 janvier 2024.
“Natural gas royalties jump 23%, top NIS 1 billion in first half of year”, The Times of Israel, 29 Août 2023.
“Ministry: Gas royalties up $117 million last year, exports to Jordan, Egypt up 25%”’, The Times of Israel, 26 Février 2024.
Israel’s gas exports in times of war, GIS, 23 novembre 2023.
Gastivists, “6 European countries have most likely imported Israeli Gas since 7th October 2023”, Octobre 2024.
“Israel awards gas exploration licences to Eni, BP and four others”, Reuters, 30 octobre 2023.
Israel grants initial approval for additional gas exports from Leviathan reservoir, The Times of Israel, 26 Juin 2024.
“Gov’t collects record gas royalties in 2023”, Globes, 28 février 2024.