Finance

Banques et climat : le compte n’y est pas

Pour parvenir à freiner les dérèglements climatiques, les banques doivent définitivement cesser d’alimenter le développement sans borne des énergies fossiles. Au lieu de cela, les grandes banques françaises n’ont cessé d’augmenter leurs soutiens à cette industrie depuis l’adoption de l’Accord de Paris.

Contexte

L’impact climatique des banques françaises est colossal. Le podium des entreprises françaises les plus polluantes est occupé par les trois géants bancaires BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole, qui ont chacune une empreinte carbone supérieure au territoire français. Si leurs activités paraissent obscures, elles génèrent des impacts bien réels : en décidant d’alimenter en capitaux les industries les plus nocives pour l’humain et la planète, elles nous poussent vers un monde à + 4 °C.

La première cause de ce désastre annoncé ? Leur addiction aux énergies fossiles. Alors que les grandes banques françaises mettent en scène leur réveil climatique, elles injectent toujours plus de capitaux dans les entreprises qui investissent dans les pétrole et gaz. BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole et le groupe BPCE ont au presque doublé leurs financements aux énergie fossiles entre 2016 et 2020 – soit en moyenne de + 19 % par an. Elles se classent ainsi en 2020 en premiers financeurs européens de ces secteurs dévastateurs.

Problèmes

Les banques à la rescousse de l’industrie fossile

Au plus fort de la crise du coronavirus, alors que les esprits et les discours se tournaient vers un « monde d’après » plus juste et soutenable, les grande banques françaises nous condamnaient en toute opacité à un avenir fossile. BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole et le groupe Banque Populaire Caisse d’Épargne (BPCE), ont depuis début 2020 financé pour 83 milliards d’euros les entreprises actives dans le charbon, le pétrole et le gaz. Une croissance record, de plus de 22 % entre 2019 et 2020. Au cœur de ce grand sauvetage : les majors pétrolières et gazières comme Total, ExxonMobil ou BP, sont leurs clientes préférées des banques françaises. En les renflouant ainsi « quoi qu’il en coûte », les banques françaises permettent non seulement aux entreprises des énergies fossiles

Comment expliquer cette course en avant, quand tous les indicateurs climatiques sont au rouge ? C’est une véritable addiction toxique qui s’est créée entre la finance et l’industrie fossile. Les banques françaises soutiennent les multinationales des énergies fossiles depuis tellement d’années qu’elles ne peuvent pas se permettre de les voir vaciller : une partie de la stabilité et des profits des grandes banques et investisseurs se retrouve indexée à ceux de leurs clients polluants. Paradoxalement donc, les banques vont au secours des entreprises du pétrole et du gaz, quitte à augmenter encore un peu plus leur dépendance aux énergies fossiles.

Les banques soutiennent directement des nouveaux projets destructeurs

L’objectif de l’industrie fossile ? Assurer la reprise rapide des nouveaux projets fossiles partout dans le monde et créer les conditions d’une expansion continuelle des énergies fossiles comme le charbon, pétrole et gaz pour les prochaines décennies.

Et cette industrie polluante peut compter sur les banques. Chaque euro injecté dans les énergies fossiles aujourd’hui contribue à soutenir des entreprises et des projets qui pollueront pendant les décennies à venir, nous éloignant chaque jour un peu plus de l’impératif de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre.

Ces nouveaux projets destructeurs sont tristement  connus.

Au Mozambique par exemple, dans une région en proie à des conflits qui s’enveniment, les banques françaises soutiennent depuis 2017 le développement de colossales ressources gazières. Société Générale et Crédit Agricole soutiennent notamment un projet très controversé de Total.

Aux États-Unis, les banques appuient aussi massivement le développement des pétrole et gaz de schiste. Le pire élève de cette classe de cancres : Société Générale qui jour un rôle clé dans le développement d’un terminal d’exportation de gaz de schiste, Rio Grande LNG, alors que les conséquences pour les populations locales sont catastrophiques.

Les engagements des banques : de la poudre aux yeux

À en croire les banques, celles-ci sont bien conscientes des enjeux climatiques. À coup de publicité et de campagnes de communication, les quatre banques françaises Société Générale, Crédit Agricole, BNP Paribas et BPCE ne cessent de mettre en avant leurs engagements en matière de responsabilité sociale et environnementale.

On ne compte plus les tentatives lancées pour verdir leur image. La dernière en date : Société Générale se vante de lancer des cartes bancaires composées à plus de 85 % par des matières recyclées, alors même qu’elle soutient massivement de nouveaux projets d’énergies fossiles dont les impacts sur les populations locales, l’environnement, la santé et le climat sont désastreux.

Les Amis de la Terre interpellent les banques françaises depuis plus de 10 ans sur leurs soutiens aux énergies fossiles. Il y a eu des victoires, mais le compte n’y est pas aujourd’hui : celles-ci continuent leurs activités climaticides malgré leurs belles paroles. Nous n’avons plus le temps d’attendre que les banques se décident enfin à mettre leurs activités au service de la transition écologique et sociale : elles doivent être contrainte par l’État pour changer en profondeur le système financier

Banques et climat : le gouvernement en plein déni

« La finance sera verte ou ne sera pas ». On ne compte plus le nombre de fois où le Ministre de l’Économie et des Finances a scandé cette phrase devant les acteurs financiers réunis à l’occasion d’un énième rendez-vous sur la finance climat, One Planet Summit ou Climate Finance Day. Mais si le gouvernement semble avoir identifié la cause du problème – l’addiction des banques, des investisseurs et des assureurs à l’industrie fossile –, il s’est avéré incapable d’y répondre.

Il a multiplié les appels à la bonne volonté des établissements de la Place financière de Paris : après leur avoir demandé en 2018 de se doter d’une stratégie de sortie du charbon, il a fin octobre dernier fait de même pour les secteurs des pétrole et gaz non-conventionnels. Mais le résultat des courses est dramatiquement insuffisant : les acteurs financiers français font toujours ce qu’il leur plaît. Bruno Le Maire peut bien continuer de crier dans le désert, ils restent à ce jour déterminés à polluer.

Alors que la loi Climat et Résilience était l’occasion pour le gouvernement d’enfin siffler la fin de la récré pour les banques et de concrétiser ses ambitions affichées depuis le début du quinquennat sur la finance verte, cet enjeu a été totalement « oublié ». Pire encore, tous les amendements visant à renforcer la responsabilité environnementale des banques et à imposer un encadrement strict de leurs activités dans les énergies fossiles ont été soigneusement jugés irrecevables et privés de débat en hémicycle.

Les solutions

Des règles pour les banques

Puisque les banques ont décidé de nous bâtir un avenir désastreux, c’est au gouvernement de leur imposer enfin des règles contraignantes. Seul l’État a les moyens de rompre cette dépendance toxique et d’éteindre les braises sur lesquelles soufflent les banques françaises. Le gouvernement ne peut plus se contenter d’en appeler au bon vouloir des acteurs financiers.

Les Amis de la Terre France proposent d’inscrire une obligation légale pour les grandes entreprises de se conformer à une trajectoire contraignante de sortie de leurs activités polluantes, sous peine de sanction financière.

Réorienter les flux financiers vers la transition

Si d’un côté il est essentiel de couper les vannes financières au secteur des énergies fossiles, il faut de l’autre côté soutenir massivement les alternatives sociales et environnementales positives. La finance devrait être orientée vers un système énergétique décarboné, au service et entre les mains des citoyen·nes.

Le pouvoir citoyen : agir à son niveau

Vous vous demandez peut-être que faire à votre niveau pour faire bouger les choses, surtout quand on a affaire à des mastodontes de la finance, déconnectés de notre quotidien. Il est possible d’agir… voici quelques propositions à la portée de toutes et tous.

Changer de banque

Cela peut paraître évident, mais on a souvent tendance à croire que changer d’établissement bancaire peut s’avérer fastidieux et chronophage. Les démarches sont pourtant facilitées et des acteurs financiers de l’Économie Sociale et Solidaires proposent des solutions bancaires au service de la justice sociale et de l’environnement. C’est le cas de la Nef, d’Hélios,  de Lita.co ou encore du Crédit Coopératif.

Rejoindre un groupe local

En vous alliant à d’autres personnes sensibilisées, vous pourrez vous organiser et coordonner des actions de sensibilisation et d’interpellation. C’est un moyen d’agir concrètement et collectivement pour multiplier l’impact de vos actions. Découvrez le réseau des groupes locaux des Amis de la Terre, ou de notre groupe affilié ANV-COP21. Les activistes d’Extinction Rebellion sont également mobilisés sur la campagne, n’hésitez pas à les rejoindre aussi.

La dernière action en date, menée par les Amis de la Terre, Alternatiba Paris et Extinction Rebellion, a permis de rendre visible dans l’espace public un détournement de publicité de banques lors de la marche Climat du 9 mai 2021. Un bon moyen de faire parler du sujet sur les réseaux sociaux et sensibiliser les passants à cette question.

Interpeller les banques

Un autre moyen d’agir peut être aussi d’interpeller directement votre banque sur son soutien au secteur des énergies fossiles. Vous pouvez prendre rendez-vous avec votre banque pour leur en parler directement, les contacter par téléphone, par courrier, ou bien encore les interpeller directement sur les réseaux sociaux, ce qui permettra de rendre votre interpellation en ligne visible aux yeux du plus grand nombre.

Notes
2

Rapport de Rainforest Action Network, Reclaim Finance, et al. Banking on Climate Chaos (2021).

3

 Discours de Bruno Le Maire au Climate Finance Day 2018.

4

 Communiqué de presse de Bercy du 30 octobre 2020. 

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