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Finance
25 avril 2024

Décryptage : un an après son assignation en justice, BNP Paribas appelée à mettre un point final à l’expansion des énergies fossiles

Un peu plus d’un an après l'assignation en justice de BNP Paribas par Les Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous et Oxfam France pour non-respect de son devoir de vigilance en matière climatique, il y a des avancées. BNP Paribas a mis à jour sa politique climatique, mais est-ce suffisant pour crier victoire ?

Afin que la banque se mette en conformité avec la loi sur le devoir de vigilance, nous lui demandons de cesser de toute urgence d’accorder de nouveaux soutiens financiers directs ou indirects au développement de projets pétroliers et gaziers.

Dans le viseur : les entreprises qui ouvrent de nouveaux projets d’énergies fossiles telles que, parmi les plus agressives, Saudi Aramco, Total ou Shell. On les appelle des “développeurs”. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC), comme l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et les Nations unies, ces groupes œuvrent dangereusement contre la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C et même à 2 °C, et l’atteinte de la neutralité carbone d’ici 2050 – objectifs pourtant inscrits noir sur blanc dans les politiques de BNP Paribas, et qui apparaissent si chers à la banque dans sa communication.

Une banque peut apporter 3 principaux types de soutien financier au développement des énergies fossiles. Cela peut être directement via un financement de projet. Mais cela peut également passer par un financement à un développeur, que ce dernier peut utiliser librement – le financement n’étant pas dédié à un projet spécifique. Ces financements généraux peuvent prendre la forme d’une émission d’obligations ou d’actions, ou d’un prêt – appelé aussi crédit.

Est-ce que BNP Paribas arrête les financements dédiés aux nouveaux projets pétro-gaziers ? Oui… et non.

En mai 2023, BNP Paribas a pris l’engagement d’arrêter tous les financements de projets “de développement de nouveaux champs pétroliers et gaziers”.

On décrypte :

C’est une étape à relativiser car ces soutiens financiers directs ne représentent que 3,6 % du financement de BNP au secteur fossile – en 20221. BNP peut ainsi continuer à soutenir les entreprises qui portent ces nouveaux projets pétro-gaziers. Si ces financements d’entreprises sont qualifiés d’indirects, ils représentent bien le principal levier de soutien à l’expansion – et de loin.

Par ailleurs, BNP Paribas n’a à ce jour exclu de ses financements directs que les projets d’exploration et de production de pétrole et gaz, mais ne s’est pas engagée sur le reste de la chaîne de valeur de cette industrie. Notamment, elle peut encore accorder des financements dédiés à de nouveaux terminaux de gaz liquéfié (GNL), gazoducs ou oléoducs liés à des réserves “conventionnelles”2. Or ces projets jouent un rôle clé dans l’expansion du secteur : c’est notamment le cas des nouveaux projets de GNL, qui n’ont pas leur place dans le scénario qui vise la neutralité carbone d’ici 2050 de l’AIE.

Est-ce que BNP arrête les nouvelles émissions d’obligations ou d’actions des développeurs ? Toujours pas.

BNP Paribas a affirmé n’avoir “participé à aucune nouvelle émission obligataire au secteur pétrolier et gazier depuis mi-février 2023”3. Début février 2023 en effet, la banque avait participé à l’émission d’importantes obligations pour les géants Saudi Aramco et BP – respectivement d’un montant total de 4,5 et 2,5 milliards de dollars.

On décrypte :

C’est une bonne nouvelle ! Car les émissions d’obligations représentent un important levier de financement, notamment pour les grandes majors pétro-gazières. Et car BNP Paribas contribue largement à ces transactions : entre 2016 et 2022, 37 % des financements de la banque à l’industrie des énergies fossiles étaient liés à des émissions d’obligations.

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Malheureusement, en expliquant ne plus avoir participé à une émission obligataire au secteur récemment, BNP semble reconnaître le problème que posent ces services financiers… mais ne s’engage pas pour autant à renoncer à cette pratique nocive dans le futur. Il est donc impératif que ce constat très récent se traduise dans une mesure ferme et officielle, au sein d’une politique sectorielle. C’est d’autant plus urgent que ce type de financements représente souvent des montants élevés, et peut courir sur des années voire des décennies, engageant la responsabilité de BNP Paribas à moyen et long termes. Par ailleurs, BNP Paribas n’a fait aucune communication sur la fin des nouvelles émissions d’actions – bien que celles-ci représentent une part bien moins significative des financements de la banque aux développeurs. 

Est-ce que BNP arrête les nouveaux prêts aux développeurs ? Non plus.

La question est simple : est-ce que BNP a arrêté d’octroyer de nouveaux prêts à des entreprises qui, comme Total, prévoient de nouveaux projets de pétrole et gaz ? C’est pourtant là que la communication de BNP Paribas se complique encore. Or quand c’est flou, il y a un loup. La banque communique sur plusieurs éléments relatifs à ses activités de prêts : certains relevant de son flux de nouveaux crédits – c’est-à-dire les nouveaux prêts émis sur une année donnée –, et d’autres sur son stock de crédits existants – c’est à dire les prêts déjà en cours, mais qui peuvent dater de plusieurs années4.

En ce qui concerne son flux de crédits – c’est à dire ce qu’il faut principalement regarder quand on s’intéresse aux nouveaux soutiens de la banque aux développeurs –, BNP Paribas affirme que :

Pour réduire la partie « fossile » de son portefeuille, BNP Paribas a considérablement réduit sa production de nouveaux crédits au secteur pétrolier et gazier en 2023.  Par exemple, à fin 2023, le rapport entre les flux de financement octroyés par BNP Paribas aux acteurs spécialisés dans l’extraction et la production pétrolière et gazière et les flux de financement liés aux projets d’énergies renouvelables s’établit à 1 sur 11.”

On décrypte :

Tout comme les nouvelles émissions d’obligations, BNP semble reconnaître le problème que posent les prêts aux développeurs mais ne s’engage pas pour autant à renoncer à cette pratique nocive dans le futur. Même si la banque communique sur une baisse de ses prêts en 2023, elle continue de laisser la porte ouverte à de nouveaux prêts aux entreprises qui ouvrent des nouveaux champs de pétrole et gaz. C’est pourtant une ligne rouge si la banque souhaite respecter les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat et l’atteinte de la neutralité carbone d’ici 2050 : chaque nouvel euro accordé à un développeur est un euro de trop.

Ainsi, en décembre 2023, BNP Paribas a contribué à un prêt de 3 milliards de dollars pour la major pétro-gazière italienne Eni. Si ce prêt, un sustainability linked loan (SLL), est censé être lié à l’atteinte d’objectifs climatiques, notamment de développement des renouvelables, rien ne garantit qu’il sera fléché vers un projet d’énergies renouvelables d’Eni. Par ailleurs, ces dernières sont cosmétiques pour Eni : l’entreprise investit moins de 7 centimes dans les énergies renouvelables pour chaque euro dépensé dans les énergies fossiles.

La politique actuelle de BNP prévoit qu’elle n’accordera plus de crédits – faisant ici encore l’impasse sur les activités obligataires notamment – aux entreprises privées exclusivement actives dans l’exploration et production pétrolière, appelées “indépendants pétroliers”5. C’est dans cette définition volontairement limitée que le bât blesse : BNP met de côté une partie restreinte de l’industrie, pour se laisser la possibilité d’en soutenir encore de nombreux acteurs, qualifiés de “diversifiés” par la banque. Parmi ces acteurs, on retrouve les grandes majors et entreprises d’Etat, fers de lance de l’expansion des hydrocarbures et clients importants de la banque. BNP Paribas s’est ainsi classée 1er financeur mondial des 9 majors européennes et américaines6 entre 2016 et 2022.

Enfin, le ratio “1 sur 11” semble impressionnant mais il gomme une part importante des activités nocives de BNP : celle-ci ne parle encore une fois que des “acteurs spécialisés”. Autrement dit, cela ne concerne pas tous les développeurs, et notamment pas les majors pétro-gazières comme Total et Eni ou les entreprises publiques comme Saudi Aramco. Or comme on l’a expliqué ci-dessus, ces entreprises sont parmi les plus problématiques au regard de leurs investissements prévus dans les énergies fossiles, et notamment dans de nouveaux projets d’exploration et de production de pétrole et de gaz.

En ce qui concerne son stock – ou exposition – de crédits, BNP Paribas affirme que : 

Entre fin septembre 2022 et fin septembre 2023, BNP Paribas a baissé de 6,4 milliards d’euros son stock de crédits aux énergies fossiles, passant de 23,7 à 17,3 milliards d’euros. Le Groupe a pour objectif que son stock des expositions de crédit à la production d’énergies bas carbone représente 90 % du stock des expositions de crédit à sa production d’énergies, et 10 % aux énergies fossiles en 2030.

On décrypte :

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Si cet engagement contraindra vraisemblablement la possibilité pour BNP Paribas de multiplier les nouveaux prêts au secteur, BNP Paribas maintient dans le même temps de nouveaux soutiens aux entreprises qui développent de nouveaux projets d’énergies fossiles – en atteste son prêt de décembre 2023 à Eni. La banque pourrait ainsi décider de privilégier certains de ses clients, et ce en dépit de leurs plans d’expansion dans les pétrole et gaz. Cela pose de lourds risques climatiques : un prêt accordé aujourd’hui et participant au développement d’un nouveau projet d’énergies fossiles ne figurera pas obligatoirement dans les encours de la banque en 2030, même si cette infrastructure continuera à polluer bien au-delà de 2030. 

Finalement, pointons du doigt que le ratio entre stock de crédits à la production d’énergies bas carbone et stock de crédits aux énergies fossiles avancé par BNP Paribas est biaisé et peu exploitable. Déjà, car les périmètres associées au bas carbone d’une part, et aux énergies fossiles d’autre part, rendent cette comparaison incohérente. La banque inclut dans le “bas carbone” – donc dans les secteurs “verts” à faire croître – des secteurs aux impacts écologiques critiquables, tels que le nucléaire ou les biocarburants. Elle exclut par contre des “énergies fossiles” des pans entiers de l’industrie, et notamment les activités de transport, d’export – dont le GNL -, ainsi que de production d’électricité – centrales à gaz et au fioul. 

Enfin, rappelons-le, il n’est question ici que des prêts. En se focalisant sur certains services financiers et pas d’autres dans le calcul de ce ratio, BNP omet volontairement les émissions d’obligations ou d’actions, quand ces modes de financement sont prépondérants dans le secteur des énergies fossiles. 

En conclusion

BNP Paribas semble évoluer dans ses pratiques et politiques sur les énergies fossiles. Mais ces avancées restent trop largement insuffisantes et incertaines, en rythme et en ampleur au regard de son devoir de vigilance climatique, dès lors qu’elles ne permettent pas de garantir l’arrêt de tout nouveau service financier aux entreprises qui développent les pétrole et gaz, et parient ainsi contre la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C. Continuer à soutenir de telles entreprises est un jeu à somme négative, qui engage la responsabilité de BNP Paribas. C’est pourquoi, Les Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous et Oxfam France poursuivent leur action en justice contre BNP Paribas.

Publication
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Notes
2

BNP Paribas a adopté des restrictions sur le financement de certains projets liés aux pétrole et gaz non-conventionnels – gaz de schiste, sables bitumineux, pétrole brut extra-lourd – et issus des régions arctiques et amazoniennes.

4

Par exemple, BNP a pu faire un prêt à Total en 2022 qui dure 3 ans, qui apparaît encore dans son stock fin 2023.

5

BNP Paribas, 2023. Politique pétrole et gaz.

6

BP, Chevron, ConocoPhillips, Equinor, Eni, Exxon, Repsol, Shell et Total.