Projet gazier Mozambique
Climat-ÉnergieFinance
24 mars 2023

Qui osera continuer à financer les dangereux projets gaziers au Mozambique ?

Un article de BankTrack, Justiça Ambiental (JA !) / Les Amis de la Terre Mozambique, ReCommon et Les Amis de la Terre France.

Le projet de gaz liquéfié (GNL) de Total au Mozambique semble pouvoir être relancé dès le mois de juillet de cette année, selon des informations récentes. Le projet, qui prévoit l’extraction, la liquéfaction et le transport de gaz à partir de gisements situés au large de la côte nord du Mozambique, a été suspendu en 2021 lorsque des insurgés ont attaqué des villes côtières situées à proximité des sites de construction.

 

Les violences ont également interrompu un autre projet gazier, Rovuma LNG, le plus grand projet gazier du Mozambique. Rovuma est le seul projet de GNL au Mozambique qui n’a pas encore fait l’objet d’une décision finale d’investissement et qui est donc toujours en recherche de financements. Situé dans la province de Cabo Delgado, au nord du Mozambique, Rovuma est étroitement lié au projet Mozambique LNG. Si ce dernier redémarre, Rovuma devrait suivre bientôt, risquant d’exacerber une situation déjà terrible de conflit et de violence, et d’aggraver le changement climatique.

Le principal sous-traitant de Total, l’Italien Saipem, poursuit la construction parce que le géant français a donné l’assurance que le projet pourrait redémarrer en toute sécurité d’ici au mois de juillet. Le PDG de Saipem a admis que l’entreprise ne disposait d’aucune information sur la situation relative aux droits humains et à la sécurité dans la province, mais visiblement cela ne constitue pas un obstacle à la poursuite des travaux. Total a d’un côté communiqué sur une mission confiée à un expert chargé de “faire le point sur la situation sécuritaire et humanitaire” sur le terrain, mais s’est de l’autre déjà engagé publiquement à reprendre la construction bien qu’aucun rapport n’ait encore été publié.

Développer le gaz en plein conflit

Il était clair dès le départ que l’extraction du gaz à Cabo Delgado serait risquée. Les tensions dans la région ont commencé à poindre des années avant le début de la construction. Les attaques des insurgés se sont multipliées depuis octobre 2017, alimentées en partie par l’indignation suscitée par la répartition inégale des revenus du gaz. Les populations locales considèrent que le gaz contribue largement à la radicalisation dans la région, que les projets aggravent les inégalités et provoquent une colère généralisée, ce qui alimente la montée des groupes insurgés.

Si Total semble confiant dans sa capacité à créer un environnement sûr pour reprendre les travaux en juillet, la réalité est loin d’être aussi évidente. Pour donner une image de stabilité aux investisseurs, les autorités mozambicaines encouragent les personnes déplacées à rentrer chez elles. Total soutiendrait cette initiative. Cependant, certain·es des rapatrié·es ont été attaqué·es par des insurgés. L’implication de Total dans la région est telle que l’Observatório do Meio Rural, une organisation de recherche mozambicaine à but non lucratif, la décrit comme une « version post-coloniale de la Niassa company » – société royale de la colonie portugaise du Mozambique, alors connue sous le nom d’Afrique orientale portugaise, qui avait la concession des terres qui comprennent les provinces actuelles de Cabo Delgado et de Niassa entre 1891 et 1929.

L’armée rwandaise – à la demande du gouvernement mozambicain et en partie financée par l’Union européenne –, l’armée de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et l’armée mozambicaine occupent actuellement la région de Cabo Delgado. Les communautés locales vivent aux côtés d’une occupation militaire indéfinie, car aucune date n’a été fixée pour la fin de l’opération. Le président rwandais Paul Kagame a récemment révélé que son pays allait déployer ses propres forces de sécurité privées au Mozambique.

Alors que toutes ces parties tentent de sécuriser la région de Cabo Delgado et les sites de GNL, la lutte contre les insurgés dans la péninsule d’Afungi pousse en fait les combattants vers d’autres régions, comme le district de Montepuez, où le nombre d’attaques a déjà augmenté. L’offensive de l’armée rwandaise et d’autres armées a également entraîné un changement de tactique de la part des insurgés, qui sont passés d’attaques très médiatisées et d’une stratégie d’accaparement des terres à une division en cellules plus petites, des brèves attaques surprises – de type hit-and-run – dans une zone plus vaste et des raids sur les villages et les postes de sécurité. Ces rapports remettent en question l’idée que la stabilité nécessaire au développement de l’activité gazière dans une zone non militarisée puisse être assurée à court et moyen terme.     

En outre, malgré les efforts déployés pour fournir de la nourriture, des moyens de transport et des services de base, et les tentatives visant à stimuler l’activité économique locale, le risque de famine reste élevé. La famine, ainsi que le chômage et le manque d’infrastructures éducatives, qui ont été identifiés comme des causes de la croissance de l’insurrection, pourraient prolonger le conflit si l’on ne s’y attaque pas correctement.

Rovuma LNG : exacerber une situation humanitaire et climatique déjà terrible

Le projet Rovuma LNG vise à liquéfier et à commercialiser 15,2 millions de tonnes de gaz fossile par an, principalement pour l’exportation. Le projet est détenu par le géant pétrolier italien Eni, aux côtés d’ExxonMobil, de China National Petroleum Corporation et de plusieurs plus petits actionnaires. Des engagements d’achat de gaz ont été signés avec des entités acheteuses affiliées à Eni, Exxon et aux autres partenaires. Rovuma comprend des installations offshore et onshore, qu’il partage avec le projet Mozambique LNG de Total.

Associé au projet gazier Mozambique LNG et à un terminal GNL voisin appelé Coral South FLNG, Rovuma pourrait augmenter les émissions de gaz à effet de serre du Mozambique de 14 %. La combustion du gaz provenant du projet Mozambique LNG entraînerait à elle seule l’émission de 116 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an, soit autant que l’ensemble du secteur de l’aviation de l’Union européenne. Mozambique LNG comme Rovuma LNG sont totalement incompatible avec l’Accord de Paris : les scientifiques, les Nations Unies et l’Agence internationales sont unanimes sur le fait que le développement de nouvelles réserves gazières est incompatible avec l’objectif primordial de limiter le réchauffement global à 1,5 °C.

Ces émissions de gaz à effet de serre exacerberont les effets des changements climatiques dont le Mozambique subit déjà les conséquences. Les dérèglements climatiques provoquent des phénomènes extrêmes tels que de violentes tempêtes et des sécheresses dans tout le pays. En 2019, le cyclone Idai et le cyclone Kenneth ont tué au moins 1 500 personnes au Mozambique, au Zimbabwe et au Malawi et ont causé plus de 3 milliards de dollars de dégâts. Des centaines de milliers de personnes ont été déplacées et beaucoup sont mortes du choléra et d’autres maladies. Le cyclone Freddy, qui terrorise le Malawi et le Mozambique depuis 35 jours, a déjà fait au moins 200 morts et de nombreux blessés.

La poursuite de ces projets signifie que le Mozambique se retrouvera avec des actifs inutilisés et enfermé dans une dépendance aux combustibles fossiles pour les décennies à venir. Cela privera le pays de la possibilité d’une transition juste vers les énergies renouvelables, qui pourrait profiter à la population locale au lieu d’aggraver les inégalités.

Outre l’aggravation des changements climatiques, ces projets ont également des répercussions directes sur les communautés locales. Le projet Mozambique LNG a déjà eu de nombreux impacts sur les droits humains, et Rovuma dépend des mêmes infrastructures. Certaines des installations terrestres communes aux deux projets ont entraîné le déplacement forcé de plus de 550 familles locales. Plusieurs organisations ont exprimé leur inquiétude quant à la violence du gouvernement à l’encontre des journalistes et des activistes, notant la détention arbitraire et la disparition de plusieurs reporters locaux qui avaient critiqué les développements gaziers.
Lorsque la violence a éclaté dans la région en mars 2021, Total a déclaré la force majeure sur Mozambique LNG et a demandé à ses employés de quitter le pays. Eni a également mis Rovuma en attente, mais a ensuite lancé l’idée d’une installation flottante de GNL pour « contourner les risques politiques ». L’un des directeurs d’Eni a déclaré que la conception de l’usine offshore offrait « une formidable opportunité » de remettre Rovuma sur les rails.

Tandis que Total reprend la construction du projet Mozambique LNG, les promoteurs de Rovuma chercheront à relancer également leur projet. Mais pour cela, ils ont besoin d’argent.

 

Qui financera Rovuma LNG ?

Jusqu’à présent, Rovuma n’a que deux soutiens connus : l’International Development Finance Corporation du gouvernement américain, qui a promis 1,5 milliard de dollars d’assurance contre les risques ; et la banque française Crédit Agricole, qui a été mandaté comme conseiller financier pour le projet.

Nos organisations ont contacté 27 banques 1, potentielles financeuses du projet, identifiées sur la base de leur soutien passé à Coral South FLNG et Mozambique LNG, ou de leurs liens financiers avec Eni et ExxonMobil. Parmi elles, les quatres principales banques françaises Crédit Agricole, BNP Paribas, Société Générale et Banque Populaire Caisse d’Epargne (BPCE). Nous leur avons envoyé des lettres et publié une déclaration, exigeant que ces institutions financières réévaluent et coupent leurs liens financiers avec les projets de GNL au Mozambique, et qu’elles refusent de participer au financement deRovuma LNG.

Suite à ces sollicitations, les banques françaises et italiennes BNP Paribas et UniCredit nous ont affirmé exclure tout soutien direct au projet Rovuma LNG. S’il s’agit d’un signal important envoyé aux majors qui portent le projet et à leurs pairs du secteur bancaire, l’hypocrisie reste de taille. BNP Paribas et Unicredit sont – et de loin – les deux plus gros financeurs d’Eni au monde, avec respectivement 9,9 et 4,2 milliards de dollars de financement accordés à l’entreprise entre 2016 et 2021.

TOP 15 DES BANQUES INTERNATIONALES POUR LEURS FINANCEMENTS À ENI ENTRE 2016 ET 2021

Aucune des 25 banques restantes n’a souhaité s’engager publiquement à ne pas financer le projet Rovuma. C’est notamment le cas de Crédit Agricole et de Société Générale, actives dans le dangereux projet Mozambique LNG de Total, ainsi que BPCE qui avait également pris part à Coral South FLNG, premier projet lié aux réserves gazières au large du Mozambique et soutenu en 2017 par les quatre grandes banques françaises.


Au contraire, La Banque Postale n’a par le passé soutenu aucune des projets gaziers au mozambique et s’est engagée à ne pas le faire dans le futur, en application de sa politique sur les pétrole et gaz. En effet, elle s’est dotée en 2021 de mesures d’exclusion fermes et exemplaires, refusant de soutenir toute entreprise prévoyant de développer de nouveaux projets d’énergies fossiles et adoptant un calendrier de sortie des pétrole et gaz d’ici 2030.

En outre, parmi les grandes banques internationales qui n’ont pas répondu publiquement à notre appel, plusieurs disposent désormais de politiques qui risquent d’exclure le financement de projets tels que Rovuma LNG. Par exemple, les banques néerlandaise ING et britannique HSBC disent refuser d’apporter tout soutien dédié à des projets de développement de nouvelles ressources pétrolières et gazières.

Rappelons parmi les institutions financières qui n’ont pas répondu à notre appel, 21 sont signataires des principes de l’Équateur. C’est notamment le cas de toutes les grandes banques françaises. Ces principes visent à obliger les banques à prendre en compte les impacts environnementaux et sociaux d’un projet avant de le financer. Le projet Rovuma LNG ne respecterait pas les principes de l’Équateur pour plusieurs raisons. Notamment en raison de  l’absence de véritable consultation publique pour les personnes déplacées dans le cadre de la construction du parc GNL d’Afungi, des risques pour la sécurité des populations, des défenseurs des droits humains et de l’environnement et des journalistes critiques à l’égard du projet, ainsi que des processus inappropriés d’évaluation, d’acquisition et d’indemnisation des terres.

Ce que les banques doivent faire

La situation en matière de sécurité ne peut être résolue facilement, et ses conséquences sur les communautés locales – déplacement, perte des moyens de subsistance et absence d’indemnisation – sont inacceptables. La poursuite du projet Mozambique LNG et le développement du projet Rovuma LNG témoigneraient d’un mépris inconsidéré pour les communautés de la région de Cabo Delgado. Les risques liés à ces projets sont trop nombreux et ingérables. 

Par conséquent, les banques doivent exclure ou mettre fin à tout soutien financier actuel ou futur aux projets Mozambique et Rovuma LNG. Si elles comptent Eni, ExxonMobil ou TotalEnergies parmi leurs clients, les institutions financières doivent également faire pression sur ces entreprises pour qu’elles annulent ces projets et suspendre tout nouveau soutien financier à ces groupes aussi longtemps qu’une telle décision d’abandon n’aura pas été mise en oeuvre. En l’absence de telles mesures, les banques risquent de se retrouver exposées à des actifs échoués dans un secteur destructeur et en déclin. En outre, elles se retrouveraient associées à des violations des droits humains et risquent de contribuer à les exacerber, tant du fait de l’insurrection que des armées publiques et privées chargées d’y mettre fin.

Pour se mettre en conformité avec la science climatique et cesser de se rendre complices de violations des droits humains, les institutions financières doivent par ailleurs mettre en place des engagements robustes de sortie des énergies fossiles, impliquant de cesser dès à présent de soutenir directement ou indirectement tout nouveau projet pétrolier et gazier.

Ces banques ont été prévenues. Elles doivent maintenant faire le bon choix.

De plus amples informations sont disponibles sur le site web de la campagne « Say No to Gas ! in Mozambique ».

Notes
1

La liste complète des banques qui ont été contactées et qui n’ont pas répondu publiquement est la suivante : 

ABN Amro, Absa Bank, Bank of America, Bank of China, Barclays, Citi, Crédit Agricole, Deutsche Bank, FirstRand/Rand Merchant Bank, Goldman Sachs, Groupe BPCE/Natixis, HSBC, ING, Intesa Sanpaolo, Millennium BCP, Mizuho, Morgan Stanley, MUFG, Nedbank, Shinsei Bank, SMBC, Société Générale, Standard Bank, Standard Chartered, Wells Fargo.