Amundi Yves Perrier conflit d'intérêt finance Macron
Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances et Yves Perrier, président d'Amundi.
Finance
23 février 2022

Finance et énergies fossiles : Bruno Le Maire laisse la main aux lobbies

Depuis octobre 2021, Bruno Le Maire a chargé le lobby financier de fixer ses propres règles pour sortir des énergies fossiles. Analyse de ce conflit d'intérêt, qui retarde une nouvelle fois la mise au pas de la finance fossile.

Lors du Climate Finance Day 2021 qui s’est tenu fin octobre, Bruno Le Maire mandatait le président d’Amundi Yves Perrier pour coordonner une mission sur l’alignement des acteurs financiers français avec l’Accord de Paris – comprenant une trajectoire de sortie du charbon et des hydrocarbures non-conventionnels 1. Après un quinquennat marqué par des financements toujours croissants des banques aux énergies fossiles 2, le ministre et le gouvernement laissent une nouvelle fois la main aux lobbies. Ils délèguent au dirigeant du plus gros gestionnaire d’actifs en Europe le soin de définir les mesures qui devraient s’appliquer à lui et à ses homologues de la place financière de Paris en matière de climat.

Alors que le rapport de cette “mission” est attendu dans les prochains jours, et que Bruno Le Maire a annoncé qu’il en ferait un thème de la conférence sur la transition accueillie par Bercy le 9 mars prochain dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne 3, les Amis de la Terre dénoncent un conflit d’intérêts manifeste. L’ONG appelle le gouvernement et les candidats à la présidentielle à s’engager à encadrer par la loi les activités polluantes de la finance.

Focus sur Amundi

▶️ Avec plus de 2 000 milliards d’euros d’encours, Amundi est le 1er gestionnaire d’actifs en Europe et l’un des 10 premiers au monde
▶️ Amundi fait partie des gros pollueurs à avoir annoncé des bénéfices records, de 1,3 milliard d’euros en 2021, soit un bond de 37 %
▶️ Amundi est actuellement le 1er actionnaire de Total, détenant 12 milliards d’euros dans le géant du pétrole et du gaz

“Annule et remplace” : une nouvelle mission pilotée par les lobbies pour mieux enterrer des recommandations qui dérangent ?

Il y a plus de trois ans, Bruno Le Maire s’adressait à l’occasion du Climate Finance Day à l’ensemble des acteurs financiers, leur demandant de sortir du secteur du charbon. Il s’engageait même à passer par la contrainte si ces entreprises ne jouaient pas le jeu et persistaient à soutenir les activités les plus nocives pour le climat 4. Deux ans plus tard, en 2021, le ministre renouvelait un appel similaire, enjoignant cette fois-ci la place de Paris à sortir des pétrole et gaz non-conventionnels 5.

Que devraient faire les banques, assureurs et gestionnaires d’actifs pour répondre à ces demandes ? C’est précisément pour définir la trajectoire et les mesures à mettre en œuvre qu’un Comité scientifique a été mis sur pied au sein de l’Observatoire de la finance durable – lui-même lancé sous l’impulsion de Bruno le Maire fin 2020. Ce comité a été chargé de guider et d’évaluer la décarbonation des institutions financières. Il a publié l’année dernière des recommandations limpides et ambitieuses sur la sortie du charbon et des hydrocarbures non-conventionnels, se fondant sur la science et appelant notamment à l’arrêt de tout soutien à l’expansion des énergies fossiles 6.

Mais ces recommandations dérangent. Aucun des principaux investisseurs ou banques français n’a à ce jour daigné s’y conformer, y compris Crédit Agricole et sa filiale Amundi. À quelques jours du Climate Finance Day, la Fédération bancaire française (FBF) a préféré servir du réchauffé, communiquant sur de “nouveaux” engagements sur les pétrole et gaz non-conventionnels, en réalité lacunaires. Ce constat est partagé par les régulateurs financiers – l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel (ACPR) – qui ont récemment appelé les banques et les investisseurs à “clarifier et renforcer” leurs politiques, une demande jusque-là restée lettre morte 7. Les deux autorités ont en outre suivi la voie ouverte par le Comité scientifique, faisant à leur tour référence aux conclusions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) sur la fin des investissements dans les ressources d’énergies fossiles.

La FBF a à nouveau rencontré Bruno Le Maire à la veille du Climate Finance Day 8 et semble avoir eu gain de cause… Plutôt que de tenir parole et de garantir une application stricte des recommandations du Comité scientifique par les acteurs privés, le ministre a décidé de les mettre sous le tapis. Parce qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, c’est au secteur privé qu’a été confié le soin de revoir la copie.

Amundi : à la fois juge et (très polluante) partie

La finance française est loin d’en avoir fini avec les énergies fossiles 9 et ne s’est toujours pas mise au pas de la sortie du charbon et des hydrocarbures non-conventionnels. Alors que le président d’Amundi Yves Perrier a été officiellement mandaté par le gouvernement pour coordonner les efforts en ce sens, il est clairement l’un des pires élèves de cette classe de cancres.

Dans un rapport publié le mois dernier, l’ONG Reclaim Finance levait le voile sur les activités destructrices de ce géant de l’investissement et pointait du doigt la menace grandissante qu’il fait peser sur le climat 10. Derrière sa promesse de neutralité carbone en 2050, Amundi est encore bien présent dans le secteur du charbon : il n’applique pas sa propre politique à une majorité de ses fonds et continue à investir dans des poids lourds de cette industrie – tels que Glencore et KEPCO qui portent encore des projets de développement de centrales et mines de charbon. Le groupe d’Yves Perrier est de surcroît fortement lié au secteur pétro-gazier et n’a à ce jour pris que des mesures dérisoires pour y limiter son activité [12]. Il détient plus de 14 milliards d’euros d’actions et d’obligations dans les six majors européennes. Ce leader européen de la gestion d’actifs est notamment le premier actionnaire de TotalEnergies, avec près de 12 milliards d’euros de participation dans la multinationale des hydrocarbures. Ainsi, lorsque les bénéfices de TotalEnergies explosent comme en 2021, Amundi est en première ligne pour en récolter les fruits.

Emmanuel Macron et Bruno Le Maire nous demandent donc de faire confiance à l’homme à la tête d’un mastodonte de la finance internationale, et à ce titre actionnaire des plus grandes entreprises des énergies fossiles, pour mettre la place financière de Paris sur la voie de la sortie du charbon, du pétrole et du gaz. Au contraire, ces travaux devraient être confiés et portés de manière indépendante par les pouvoirs publics – y compris par les parlementaires.

Cette mission, confiée au géant Amundi, s’annonce comme une nouvelle entreprise de sabotage du gouvernement, qui retarde un peu plus l’action climatique et profitera sans doute une fois encore aux lobbies. Reste à voir si Yves Perrier balaiera ou non la science climatique, en écartant la mesure la plus urgente à appliquer par l’ensemble des acteurs financiers : stopper tout soutien aux entreprises qui développent les énergies fossiles.

Notes
2

Les grandes banques françaises – Crédit Agricole, BNP Paribas, Société Générale et le groupe BPCE – ont près de doubler leurs financements aux énergies fossiles entre 2016 et 2020, totalisant $295 milliards sur cette période. Rapport Banking On Climate Chaos, mars 2021.

5

Dossier de presse du ministère de l’Economie et des Finances pour le Climate Finance Day, novembre 2020.

6

Recommandations du Comité scientifique sur la sortie du charbon et sur la sortie des hydrocarbures non-conventionnels, février et septembre 2021.

Reclaim Finance Le Comité scientifique de l’Observatoire de la finance durable appelle à un arrêt de l’expansion pétro-gazière, septembre 2021.

8

Réaction des Amis de la Terre sur Twitter à cette rencontre entre la FBF et le ministre, octobre 2021.

9

Voir le dossier de presse des Amis de la Terre France et de Reclaim Finance COP26 : la finance française face à l’expansion du pétrole et du gaz, octobre 2021.

10

Rapport de Reclaim Finance La croissance d’Amundi menace le climat, janvier 2022.