
Total prêt à relancer Mozambique LNG à tout prix — à condition que ce prix soit payé par les Mozambicains
La décision de Total de lever la force majeure sur son projet Mozambique LNG, malgré un contexte sécuritaire de plus en plus préoccupant, ignore les nombreux avertissements dénonçant un dispositif de sécurité qui compromet celle des communautés.
Cette décision témoigne d’un profond mépris pour les préjudices subis par les communautés et encore non réglés, ainsi que pour les impacts du projet sur les droits humains, l’environnement et le climat. Elle pourrait mettre à mal l’économie du Mozambique, en imposant au pays de payer la facture exorbitante des retards pris par le projet. Les organisations de la société civile appellent une nouvelle fois les institutions financières et les entreprises impliquées dans le projet à se retirer de Mozambique LNG.
Après une suspension de quatre ans entachée par de graves scandales de violations des droits humains, Total a informé vendredi le président du Mozambique, dans une lettre, de sa décision de lever la force majeure sur son projet Mozambique LNG de $20 milliards. Selon cette lettre, signée par le PDG de Total Patrick Pouyanné et consultée par nos organisations, la reprise du projet reste cependant subordonnée à l’accord du Mozambique sur les conditions fixées par l’entreprise française.
La lettre montre que le nouveau plan de développement, ainsi que le budget et le calendrier actualisé du projet de Total, doivent encore être approuvés par le gouvernement mozambicain. Patrick Pouyanné précise que « l’approbation de ce budget révisé couvrira les coûts supplémentaires engagés par le projet en raison de la force majeure, qui s’élèvent à $4,5 milliards » [traduction libre]. Le Mozambique n’a pour sa part pas présenté sa propre estimation de ces coûts. Total demande également une prolongation de dix ans de la période de développement et de production du projet. Cette négociation s’inscrit dans un contexte déjà très défavorable pour le Mozambique, Total ayant initialement sécurisé des contrats inéquitables 1 et bénéficiant des clauses abusives de protection des investisseurs inscrites dans les accords internationaux 2.
Daniel Ribeiro, Justiça Ambiental : « Total tente un nouveau tour de force pour obtenir des conditions de relance ultra-favorables. Mais les énormes faveurs demandées par l’entreprise sont également un aveu d’échec pour Total : son plan d’investissement est un désastre, et elle a besoin du Mozambique pour maintenir son projet gazier à flot. L’une des entreprises les plus riches du monde prend ainsi en otage l’un des pays les plus pauvres. Le gouvernement mozambicain a été contraint de fournir des forces de sécurité publiques pour protéger Mozambique LNG, et il est désormais appelé à payer les coûts liés aux retards du projet. Cela affaiblirait l’économie du Mozambique, aggraverait les conditions de vie des Mozambicains et alimenterait davantage l’insurrection. »
La violente insurrection régionale, qui dure depuis octobre 2017, est alimentée par la détérioration des conditions socio-économiques, ainsi que par la découverte des réserves gazières et le développement d’industries extractives — dont les populations locales ne pensent pas pouvoir bénéficier. La militarisation de la région n’a pas réussi à mettre fin à l’insurrection 3.
Depuis juillet dernier, les attaques insurgées se sont intensifiées dans toute la province, y compris dans les villes de Palma et Mocimboa da Praia, voisines du projet. Les nouvelles mesures de sécurité mises en place par Total concentrent les troupes sur son site gazier d’Afungi, transformant le projet en une « forteresse » isolée 4. Un dispositif qui risque fortement d’augmenter la vulnérabilité des populations locales qui restent, elles, exposées aux attaques des insurgés.
Mozambique LNG a été suspendu en avril 2021 en raison d’une attaque majeure contre la ville de Palma. Au cours de cette attaque, alors qu’au moins 1 200 personnes ont été tuées 5, le projet gazier est resté sous la protection de l’armée. Total est accusée de ne pas avoir assuré la sécurité de ses sous-traitants pendant l’attaque et fait actuellement l’objet d’une enquête judiciaire en France pour homicide involontaire 6. La responsabilité de l’entreprise est également mise en question dans le « massacre des conteneurs » révélé par Politico 7.
Lorette Philippot, Les Amis de la Terre France : « Total a payé des soldats qui, pendant trois mois au cours de l’été 2021, auraient détenu et torturé des dizaines de civils sur son site gazier 8. Seules 26 personnes parmi au moins 150 prisonniers auraient survécu. Mais alors que les victimes réclament toujours justice, Patrick Pouyanné nie leurs voix et leurs souffrances 9. Non seulement ces allégations de crimes graves ne doivent pas rester impunies pour les potentiels responsables, mais Total doit être empêchée d’appliquer une nouvelle fois sa recette du chaos : faire passer ses profits avant la sécurité des communautés, comme elle le fait depuis 2019 au Mozambique. »
Selon Total, la levée de la force majeure nécessitait l’accord de chacune des 31 institutions financières qui ont participé au financement de $14,9 milliards accordé à Mozambique LNG en juillet 2020 10.
Antoine Bouhey, Reclaim Finance : « Parmi les banques qui s’étaient engagées en 2020 à soutenir le projet, Crédit Agricole et Société Générale ont reçu de nombreuses alertes sur les risques que ferait peser la reprise du projet sur les communautés locales. Elles doivent prendre la mesure de la gravité de la situation et annoncer immédiatement qu’elles n’apporteront aucun soutien au projet Mozambique LNG. »
Parmi les institutions financières impliquées, l’agence britannique UK Export Finance et le gouvernement néerlandais ont tous deux ouvert des enquêtes en 2025 sur le « massacre des conteneurs » qui aurait eu lieu, mais aucun résultat n’a encore été rendu public.
Isabelle Geuskens, Milieudefensie : « Il est choquant de voir Total faire pression sur le gouvernement mozambicain et lever la force majeure, à un moment où la situation sécuritaire dans la région est terrible. Les habitants fuient à nouveau leurs communautés, des personnes sont tuées et certaines organisations humanitaires ont dû se retirer en raison de l’escalade de la violence. Le mépris total pour ce qui arrive aux citoyens mozambicains est consternant. Le gouvernement néerlandais, qui réévalue actuellement son soutien via son agence de crédit à l’exportation, devrait agir de manière responsable en tant qu’institution financière publique et cesser de soutenir ce projet gazier. L’argent des contribuables néerlandais ne devrait pas servir à financer le projet sale de cette riche entreprise française, qui joue avec les droits et le bien-être des habitants du Cabo Delgado, l’une des régions les plus pauvres du monde. »
Simone Ogno, ReCommon : « Les entreprises pétro-gazières ainsi que les institutions financières veulent à tout prix poursuivre l’exploitation des ressources naturelles du Mozambique, quelles qu’en soient les conséquences : violations des droits humains pouvant potentiellement constituer des crimes de guerre, déplacements forcés de populations, et lourd tribut pour les finances publiques du Mozambique. À cela s’ajoutent les impacts potentiels des projets sur l’environnement marin et le climat. Cela vaut aussi bien pour le projet Mozambique LNG que pour Rovuma LNG (ExxonMobil et ENI) – qui partagent les mêmes droits d’utilisation des terres et infrastructures – et Coral North FLNG (ENI). Un pari au détriment du peuple mozambicain. Les allégations de violations des droits humains qui auraient eu lieu en 2021 pourraient également avoir des conséquences sur les financeurs du projet, notamment les agences de crédit à l’exportation, dont la SACE en Italie. »
Sonja Meister, Urgewald : « Siemens Energy détient la clé du démarrage du projet Mozambique LNG. Sans la livraison de ses turbines à gaz et autres équipements essentiels, Total pourrait faire face à un nouvel obstacle majeur à la mise en production. La Deutsche Bank a par ailleurs à plusieurs reprises aidé Total à lever de nouveaux fonds qui pourraient servir à financer le projet. Les entreprises et les banques allemandes devraient immédiatement retirer leur soutien à Mozambique LNG et à Total si elles ne veulent pas se rendre complices de ce projet désastreux. »
Communiqué de presse de
Justiça Ambiental!, Friends of the Earth France, Reclaim Finance, urgewald, BankTrack, Friends of the Earth Japan, ReCommon
https://www.e3g.org/publications/the-failure-of-gas-for-development-mozambique-case-study
https://stopmozgas.org/report/report-isds-mozambique-2024/
https://issafrica.org/iss-today/cabo-delgado-insurgency-persists-amid-failed-military-strategy
https://www.zitamar.com/shut-out-of-fortress-afungi/
https://www.lemonde.fr/en/le-monde-africa/article/2025/03/15/french-prosecutors-launch-manslaughter-probe-against-totalenergies-over-mozambique-attack_6739177_124.html
https://www.politico.eu/article/totalenergies-mozambique-patrick-pouyanne-atrocites-afungi-palma-cabo-delgado-al-shabab-isis/
https://www.lemonde.fr/afrique/video/2025/01/28/comment-des-soldats-payes-par-totalenergies-ont-sequestre-des-civils-au-mozambique_6520247_3212.html
Déclaration de Patrick Pouyanné en juin 2025, interrogé sur Mozambique LNG dans le cadre d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale. https://www.youtube.com/watch?v=tU5z9Rxq2Xw
31 institutions financières ont participé au financement de 14,9 milliards de dollars américains accordé à Mozambique LNG en juillet 2020.
- Institutions financières publiques : Export Import Bank of the United States (US EXIM) ; Japan Bank for International Cooperation (JBIC) ; UK Export Finance (UKEF) ; Export-Import Bank of Thailand (Thai Exim) ; Servizi Assicurativi del Commercio Estero (SACE) ; Nippon Export and Investment Insurance (NEXI) ; Export Credit Insurance Corporation of South Africa (ECIC) ; Atradius Dutch State Business (ADSB) ; Cassa Depositi e Prestiti ; Banque africaine de développement (BAD) ; Banque africaine d’import-export ; Banque de développement de l’Afrique australe ; Industrial Development Corporation of South Africa ; Korea Development Bank ; Export Import Bank of Korea (KEXIM) ; US International Development Finance Corp (DFC).
- Institutions financières privées : Société Générale ; Crédit Agricole ; Mizuho Bank ; JP Morgan ; Standard Chartered Bank ; MUFG Bank ; Sumitomo Mitsui Banking Corporation ; Sumitomo Mitsui Trust Bank ; SBI Shinsei Bank ; Nippon Life Insurance ; ABSA Bank ; Nedbank ; Rand Merchant Bank ; Standard Bank ; ICBC.