Surproduction
Communiqué de presse24 juillet 2025

Traitement des textiles usagés : des ONG alertent sur les nouvelles orientations en cours de réflexion sur la filière

Communiqué de presse conjoint des Amis de la Terre France, France Nature environnement et Zero Waste France.

Dans un contexte de crise de surproduction et de saturation des exutoires pour les textiles usagés, la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher a lancé prématurément une refonte du cahier des charges de la filière à Responsabilité élargie du producteur (REP). Les ONG Zero Waste France, les Amis de la Terre France et France Nature Environnement dénoncent une réforme qui renforce le pouvoir des marques et des enseignes de mode à travers l’éco-organisme Refashion, au détriment des acteurs de l’économie sociale et solidaire et sans aucune garantie de résultats, que ce soit sur le plan social, économique ou environnemental.

Des premières orientations qui laissent de côté la nécessaire réduction des mises en marché

Alors que le précédent cahier des charges de la filière textiles, linge de maison, chaussures (TLC) était supposé couvrir la période 2022-2027, la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher a annoncé le 18 mai dernier le lancement des travaux en vue de la mise en place d’un nouveau cahier des charges en début d’année 2026.

Afin de réorganiser la filière, le ministère a présenté le 27 juin, puis après une première salve de contributions, le 22 juillet dernier, des premières orientations aux parties prenantes, et notamment aux ONG Zero Waste France, les Amis de la Terre France et France Nature Environnement, parmi lesquelles :

– l’opérationnalisation de l’éco-organisme ;

– le développement des capacités françaises de recyclage des textiles, aujourd’hui quasi-inexistantes ;

– la réorientation massive des déchets textiles vers l’incinération, sous forme de combustibles solides de récupération.

Concernant la réduction des quantités de textiles mises en marché, pourtant prioritaire dans la réglementation, le gouvernement se base sur des mesures déjà existantes au sein de l’ancien cahier des charges, mais jamais mises en pratique, à l’instar de la modulation des éco-contributions en fonction de l’affichage environnemental. Il renvoie en outre à la proposition de loi fast-fashion en cours d’adoption. Au-delà, le ministère n’émet aucune proposition de pilotage des quantités mises en marché à moyen terme.

Face au rouleau-compresseur de la fast-fashion, les propositions du gouvernement sur la réduction sont insuffisantes, voire inexistantes. Pour rappel, les ventes de produits textiles ont atteint un record de 3,5 milliards d’unités vendues en 2024, soit 42 articles par Français.e !” déclare Pierre Condamine, chargé de campagne surproduction aux Amis de la Terre France. Pour réduire l’impact environnemental du secteur et augmenter le taux de collecte des déchets textiles, il est impératif d’adopter le plus rapidement possible un objectif de 30% de réduction des quantités de vêtements commercialisés d’ici 2030”.

Un scénario irréaliste sur le recyclage

Concernant le recyclage, les scénarios de performance proposés par le ministère pour 2028 et 2031 reposent sur une augmentation plus que significative des tonnages, qui seraient quasiment multipliés par trois d’ici 2028.

Or, à l’heure actuelle, le recyclage des textiles se heurte à de nombreuses difficultés d’ordre technique. Par exemple, il est impossible de séparer mécaniquement les fibres mélangées et les technologies permettant de recycler ces fibres mélangées par solvolyse n’ont pas fait leurs preuves à l’échelle industrielle. Par ailleurs, les capacités de tri en vue du recyclage par matières et couleurs sont aujourd’hui insuffisantes, voire inexistantes dans le cas du tri en fonction de la contenance en polyester. L’accès à des gisements aptes au recyclage sur le territoire national est donc très incertain. A cet égard, le projet de recyclage chimique Eastman prévoit d’importer la majorité de son gisement depuis l’Italie, l’Espagne ou encore l’Allemagne. A noter que ce projet, le seul de cette ampleur en France, a reçu l’autorisation de traiter des déchets provenant directement d’étapes du processus de production, et non des déchets provenant de la consommation.

“De manière générale, la place centrale accordée au recyclage dans ces scénarios, par rapport à celle dévolue au réemploi, est alarmante”, déplore Pauline Debrabandere, responsable plaidoyer et campagnes de Zero Waste France. “Pour atteindre les objectifs fixés, il faudrait investir massivement dans le recyclage. Or, aujourd’hui en Europe, moins de 2% des déchets textiles sont effectivement recyclés pour fabriquer de nouveaux vêtements. C’est un choix politique hasardeux : si l’on veut pouvoir valoriser nos vêtements usagés, ces investissements seraient bien mieux employés à développer la collecte, le tri et le réemploi en France”.

Le verrouillage d’un système basé sur l’incinération

En bas de la hiérarchie des modes de traitement des déchets, l’incinération occupe toutefois une place de choix dans les scénarios présentés par le ministère, avec une multiplication par huit des tonnages par rapport à leur niveau actuel. Au total, 30% des tonnages collectés en 2028 seraient redirigés vers l’incinération, en majorité sous forme de combustibles solides de récupération (CSR).

“Cette réorientation assumée des déchets textiles vers l’incinération est aberrante, au regard des impacts sanitaires et environnementaux de ce mode de traitement, et du gaspillage de ressources colossal qu’il représente”, alerte Pauline Debrabandere. “Le ministère parle d’une “augmentation temporaire” de l’incinération, mais il s’agit d’investissements lourds, qui doivent être rentabilisés sur des décennies. Cela crée de fait une dépendance énergétique aux déchets en totale contradiction avec les objectifs de réduction, de réemploi et de recyclage”.

Des risques pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire, agents d’insertion

Actuellement, les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), tels qu’Emmaüs, Le Relais ou les ressourceries, sont directement opérateurs de collecte, de tri et de réemploi des textiles usagés. En échange, Refashion doit – en théorie – s’acquitter de la couverture d’au moins 80% des coûts engagés pour la gestion des déchets de sa filière, conformément à la directive cadre européenne de 2018, et donc accorder des compensations financières proportionnelles aux quantités traitées. Dans ses premières orientations, le ministère propose que Refashion pilote directement la filière avec un système de sous-traitance aux opérateurs de terrain, dont les acteurs de l’ESS, via des appels d’offres.

“Nous l’avons vu avec les suppressions d’emplois massives dans la filière des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE), l’opérationnalisation et la mise en concurrence des opérateurs via appels d’offres fait peser une menace existentielle sur l’économie sociale et solidaire”, avertit Laura Chiron, cheffe de projet prévention de France Nature Environnement. “Les metteurs en marché, qui assurent la gouvernance de l’éco-organisme opérateur, ont tout intérêt à tirer vers le bas les prix de la gestion des textiles usagés, pour payer moins d’éco-contributions. Il est très probable que le critère prix finisse par l’emporter sur tout le reste, notamment sur les critères sociaux, mais aussi sur la collecte préservante, qui n’abîme pas les vêtements et leur permet d’avoir une seconde vie.”

Une décision politique qui intervient dans un contexte de crise

En France, depuis 2009, les marques et les enseignes de mode sont responsables de la fin de vie des vêtements, chaussures et autres linges de maison, qu’elles mettent sur le marché. Au titre du principe du pollueur-payeur, elles sont tenues de contribuer au financement de la collecte et du tri des textiles usagés, au travers de l’éco-organisme Refashion, une société dont la gouvernance est assurée par 30 marques représentatives de la filière. Le fonctionnement de cette filière dite à “Responsabilité élargie du producteur” (REP) est défini dans un cahier des charges, fixé par arrêté ministériel. A noter que plusieurs rapports indépendants et transpartisans, émanant notamment de l’administration et du Sénat, recommandent une refonte de la gouvernance des filières REP.

La décision du ministère d’avancer les travaux sur le nouveau cahier des charges de la filière intervient dans un contexte de crise de la filière textile. D’une part, les quantités mises en marché en France augmentent continuellement depuis plusieurs décennies, sans hausse équivalente des capacités de collecte. D’autre part, les opérateurs de collecte, de tri, de réemploi et de recyclage des textiles usagés, notamment les acteurs de l’économie sociale et solidaire, font face à une saturation des stocks, qu’ils ne parviennent plus à écouler. Face à ce contexte, nous appelons les pouvoirs publics à prendre prioritairement des mesures limitant les flux de textiles entrant sur le territoire et ne pas se limiter à promouvoir des solutions de traitement de déchets dont les bénéfices environnementaux et la réelle efficacité sont encore à démontrer.

Voir les demandes des associations.