
Le contrôle du système énergétique, un outil d’oppression du peuple palestinien par Israël
Alors que l’horreur génocidaire continue de se dérouler en Palestine, les Amis de la Terre France décryptent un rouage clé de la machine de guerre israélienne : l’énergie. Outil d’oppression multiforme, elle peut devenir une cible cruciale de la lutte pour la libération de la Palestine. (Article 2/3)
Au-delà des flux commerciaux énergétiques qui alimentent l’appareil colonial et militaire israélien (voire la première partie), la maîtrise par Israël des infrastructures énergétiques représente une dimension importante de sa stratégie de domination sur le peuple palestinien. L’énergie devient alors un levier de pouvoir asymétrique permettant de maintenir une dépendance, soutenir la colonisation et réprimer toute aspiration à la souveraineté palestinienne.
Le réseau énergétique comme outil colonial
Le contrôle de l’énergie est utilisé depuis des décennies comme un outil de punition collective contre les Palestinien·nes. La mainmise totale d’Israël sur les infrastructures et les ressources naturelles palestiniennes a créé une situation de dépendance, où les besoins énergétiques vitaux, comme l’électricité des hôpitaux, dépendent entièrement de la puissance occupante. Israël instrumentalise cette dépendance pour atteindre ses objectifs militaires et coloniaux. Ainsi, depuis le début de l’escalade génocidaire en octobre 2023, Israël a utilisé ce pouvoir pour couper à sa guise l’accès au carburant, à l’électricité, à l’eau et à la nourriture à Gaza. Alors qu’avant cette date, la population gazaouie ne disposait déjà que de 3 à 4 heures d’électricité par jour, l’accès est aujourd’hui quasi inexistant1.
Par ailleurs, pour garantir la pérennité de cette domination, toute tentative d’autonomie énergétique palestinienne est systématiquement anéantie. La destruction rapportée de 90 % des projets solaires2 à Gaza depuis octobre 2023 n’est pas un dommage collatéral, mais la preuve d’une stratégie délibérée. Cette destruction méthodique des infrastructures alternatives3, couplée à la militarisation des côtes (qui empêche les Palestinien·nes d’accéder à leurs propres ressources gazières), vise à maintenir une dépendance énergétique totale.
Cette stratégie de domination et de colonisation par l’énergie s’incarne aussi dans l’infrastructure du réseau électrique israélien qui fonctionne comme un puissant outil d’annexion de facto4. En intégrant sans distinction les colonies illégales de Cisjordanie, de Jérusalem-Est et du Golan syrien occupé, ce réseau unifié efface délibérément la distinction juridique entre le territoire israélien et les territoires occupés. Ainsi, en alimentant les colonies, Israël ne fournit pas un simple service, mais normalise et renforce matériellement sa politique d’annexion, en violation du droit international.
Sécurisation énergétique ou stratégie militaire ?
Les infrastructures gazières israéliennes sont hautement militarisées et servent même de justification au blocus naval formellement imposé depuis 2008 et condamné par plusieurs instances internationales5. Le ministère de la Défense a par exemple établi une zone de sécurité de 9,3 kilomètres autour de la plateforme gazière Tamar, au lieu des 500 mètres maximum autorisés par le droit international6. Les pêcheurs palestiniens ne sont pas autorisés dans cette zone de “sécurité”, et sont harcelés par l’armée israélienne. Un journaliste qui a embarqué avec une patrouille décrit les interactions quotidiennes : “Les navires qui s’approchent (…) des plateformes sont interceptés par l’un des patrouilleurs de la marine. L’intrus recevra l’ordre de partir et, s’il refuse, des coups de semonce sont tirés. Cela se produit quotidiennement, car les pêcheurs de Gaza tiennent à faire valoir leur droit de pêcher où bon leur semble.”7
“Où bon leur semble”… Il s’agit bien ici des eaux territoriales palestiniennes, octroyées par les Accords d’Oslo, et dont l’accès est pourtant interdit depuis dix-sept ans aux Palestinien·nes. Le blocus naval prive ainsi les Palestinien·nes de leurs ressources halieutiques, et donc de leurs moyens de subsistance. Rappelons au passage que certaines réserves gazières exploitées par Israël se situent dans les eaux territoriales palestiniennes8.
L’instrumentalisation de la transition énergétique, greenwashing de l’occupation
L’énergie joue donc de multiples rôles dans la colonisation et l’oppression de la Palestine. La contrôler peut forcer les populations historiques à quitter certaines zones, et la développer peut verrouiller – voire légitimer – l’occupation des terres volées.
Israël s’est fixé l’objectif de produire 30 % de son électricité à partir de sources renouvelables d’ici 2030. En août 2024, on comptait au moins dix installations opérationnelles de production d’énergie renouvelable en Cisjordanie, dans le Golan syrien occupé et le désert du Néguev9.
Par exemple, un méga projet éolien mis en service en 2023 dans le Golan syrien – envahi en 1967 puis déclaré annexé par Israël en 1981 sans reconnaissance internationale – a été fortement contesté par la communauté Druze. Le projet a confisqué des terres agricoles appartenant aux résident·es syrien·nes Druze10. Faisant partie des plus grands projets de la région, il a été développé par Enlight Renewable Energy en partenariat étroit avec les colonies locales illégales qui possèdent 10 % du projet.
De tels projets permettent l’accaparement de terres supplémentaires, fournissent de l’énergie peu chère aux colonies illégales, voire peuvent les enrichir, et peuvent favoriser la création de colonies grâce à de nouvelles sources d’énergie. En résumé, comme les énergies fossiles, les énergies renouvelables peuvent aussi être un outil pour voler des terres, les occuper et opprimer les peuples qui y vivaient.
Elles peuvent aussi alimenter la violence militaire : l’entreprise Enlight Renewable Energy a ainsi conclu plusieurs partenariats avec l’armée israélienne, par exemple avec l’installation de panneaux solaires sur plusieurs bases militaires11.
Enlight Renewable Energy est aussi active en Europe, avec des projets en Italie, Croatie, Espagne, Irlande, Hongrie, Serbie, Kosovo, Suède, Les Amis de la Terre Espagne et Croatie se mobilisent contre des projets d’Enlight dans leurs pays12.

Le business des énergies fossiles, un atout clé pour l’appareil colonial et militaire israélien

L’énergie au service de la colonisation en Palestine : refuser la complicité des entreprises et des Etats
Témoignage de Abeer Al Butmeh de PENGON, Friends of the Earth International, “For a Feminist Just Energy Transition”, 8 mars 2025.
Idem.
“Arab-Istraeli eco-normalisation. Greenwashing setthler colonialism in Palestine and the Jawlan”, TNI, 16 Novembre 2023.
SOMO, “Powering injustice – Exploring the legal consequences for states and corporations involved in supplying energy to Israel”, 17 Décembre 2024. et Peace Now, “Infrastructure for Annexation: The government Decided to Build Israeli Power Plants and Solar Fields in the West Bank”, 12 December 2024.
United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, “The Gaza Strip: The Humanitarian Impact of the Blockade”, Novembre 2016. et Al Haq, “Annexing Energy – Exploiting and Preventing the Development of Oil and Gas in the O.P.T”, Décembre 2015.
Voir l’analyse de SOMO, “Beneath troubled waters – Noble Energy’s exploitation of natural gas in the Eastern Mediterranean Sea”, 10 May 2017.
“On the high seas with Tamar’s defender”, Globes, 17 avril 2014.
Annexing Energy Exploiting and Preventing the Development of Oil and Gas in the O.P.T , Al-Haq, Décembre 2015. et SOMO, “Beneath troubled waters – Noble Energy’s exploitation of natural gas in the Eastern Mediterranean Sea”, 10 May 2017.
“Occupation through renewables: Friends of the Earth groups urge governments to cut ties with Israeli energy company”, Friends of the Earth Europe, 29/7/2025.
“Israel’s ‘green energy’ land grab is meeting fierce opposition in the occupied Golan Heights”, The New Arab, 6 Juillet 2023.
“Enlight to build 45 PV units at IDF bases”, Globes, 23 janvier 2011.
“Occupation through renewables: Friends of the Earth groups urge governments to cut ties with Israeli energy company”, Friends of the Earth Europe, 29/7/2025.