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23 septembre 2025

L’énergie au service de la colonisation en Palestine : refuser la complicité des entreprises et des Etats

Alors que l’horreur génocidaire continue de se dérouler en Palestine, les Amis de la Terre France décryptent un rouage clé de la machine de guerre israélienne : l’énergie. Outil d’oppression multiforme, elle peut devenir une cible cruciale de la lutte pour la libération de la Palestine. (Article 3/3)

Le secteur énergétique est hautement stratégique pour Israël, d’un point de vue militaire et économique, ainsi que pour la poursuite de sa politique coloniale et oppressive du peuple palestinien. Les énergies fossiles ou renouvelables deviennent alors un vecteur de complicité pour les acteurs tiers, qui, en fournissant une aide ou des moyens matériels, facilitent la commission de crimes par Israël. Les Amis de la Terre dressent un tour d’horizon des leviers de complicité des Etats et des entreprises vis-à-vis du génocide en cours à Gaza, mais surtout, proposent un panorama des solutions pour y mettre un terme.

La complicité, un terme défini dans la loi

La complicité peut se définir par la facilitation de la commission d’un crime. Elle se manifeste par l’apport d’une aide, d’un concours ou de toute autre forme d’assistance à l’auteur du crime, y compris en lui fournissant les moyens matériels nécessaires à sa réalisation.

Dans le cas présent, au-delà de l’usage direct des ressources énergétiques comme outil de domination et de colonisation par Israël, le commerce des énergies fossiles engage la complicité potentielle d’acteurs tiers de deux manières distinctes :

  1. Les importations en provenance d’Israël : Acheter des énergies fossiles (du gaz principalement) à Israël lui fournit des ressources financières directes qui alimentent son économie et donc notamment son budget militaire. Cet acte constitue également une forme de soutien diplomatique et de légitimation.
  2. Les exportations vers Israël : Fournir des combustibles à Israël est essentiel au fonctionnement de son appareil militaire. Sans cet approvisionnement énergétique, la capacité d’Israël à mener ses opérations, qui se traduisent par la mort de Palestinien·nes, serait considérablement réduite.

La responsabilité des États

Conformément au droit international, notamment la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, les États ont l’obligation de prévenir et de punir ce crime. Or, aujourd’hui, de nombreux États non seulement manquent à cette obligation fondamentale, mais risquent de se rendre complices de génocide en apportant un soutien matériel ou financier, direct ou indirect, à Israël. L’autorisation d’importer ou d’exporter des énergies fossiles en est une illustration flagrante.

Cette problématique est devenue encore plus aiguë depuis les ordonnances de la Cour Internationale de Justice (CIJ) :

  • Celle du 26 janvier 2024, reconnaissant le risque plausible d’un génocide commis par Israël à Gaza.
  • Celle du 19 juillet 2024, qualifiant l’occupation des territoires palestiniens d’illégale.

Continuer de financer les crimes d’Israël par des achats et de les alimenter en combustibles en pleine connaissance de ces décisions de justice s’apparente très fortement à de la complicité. 

La responsabilité des entreprises

La responsabilité des entreprises en matière de droits humains est aujourd’hui établie et encadrée par des régulations de plus en plus contraignantes aux niveaux national, régional et international. Leur implication dans des crimes de masse est de mieux en mieux documentée.

À cet égard, le récent rapport de Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale des Nations Unies, intitulé De l’économie de l’occupation à l’économie du génocide1, analyse les mécanismes par lesquels les intérêts économiques soutiennent le projet colonial israélien. Le rapport met en lumière comment des entreprises tirent profit d’une économie fondée sur l’occupation illégale, l’apartheid et, aujourd’hui, le génocide. Comme démontré ici, les entreprises du secteur des énergies fossiles font indéniablement partie de cet écosystème.

Au niveau international, le cadre normatif de référence est constitué par les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (PDNU). Bien que d’autres instruments, parfois plus ambitieux, existent ou sont en cours d’élaboration2, ces principes établissent le standard minimum universellement reconnu. L’exigence de vigilance imposée par ces principes prend d’autant plus son sens lorsque le contexte est celui de crimes internationaux graves. Dans une telle situation, le soutien économique n’est plus une simple transaction commerciale, mais bien une forme de complicité. À ce titre, les entreprises du secteur énergétique, que ce soit par les importations, les exportations ou les investissements liés Israël, s’exposent à ce que leur soutien soit qualifié de complicité. Ce risque est accru par le fait qu’elles ne peuvent, au même titre que les États, arguer de leur ignorance des crimes commis et des risques juridiques qui en découlent.

D’outil d’oppression, transformer l’énergie en vecteur de libération : nos demandes

Parce que l’énergie est un puissant outil d’oppression, elle doit devenir une problématique centrale de nos luttes pour la libération de la Palestine. S’attaquer au secteur énergétique israélien, c’est redonner de l’air aux Palestinien·nes qui luttent pour leur survie, et leur donner des moyens d’auto-détermination.

C’est pourquoi les Amis de la Terre France demandent aux Etats et aux entreprises de :

  • Mettre un terme aux importations de gaz israélien : contrairement au gaz russe, le gaz israélien transitant par l’Egypte vers l’Europe représente une part extrêmement faible des importations européennes3. S’en passer est donc bien plus simple que se passer de gaz russe (ce qui aurait d’ailleurs été possible dès 2025 avec les bonnes politiques4). L’Union européenne doit mettre fin au mémorandum signé en 2022 avec Israël et l’Egypte. Selon Global Witness, ce mémorandum expose l’Union européenne à une violation du droit international, notamment car le gazoduc qui achemine le gaz d’Israël vers l’Egypte à travers les eaux territoriales palestiniennes est illégal5. Mettre un terme aux importations de gaz israélien signifierait un éloignement économique et politique clair avec Israël, avec très peu d’impact pour l’Europe. La France, qui a enfin reconnu l’Etat de Palestine, doit passer des actions symboliques tardives aux actes concrets et mener les pays européens à mettre fin au mémorandum de 2022 pour l’importation de gaz israélien
  • Mettre fin à tous soutiens financiers aux projets gaziers en Israël : les revenus des licences d’exploration, de l’extraction et des exportations gazières sont une source de financement du génocide et de l’occupation. Les entreprises gazières ne peuvent mener leurs activités sans le soutien de multiples acteurs financiers (banques, investisseurs, assurances). Ceux-ci doivent cesser d’alimenter en capitaux le développement du gaz par Israël, et exclure toute entreprise complice du génocide et de l’occupation.
  • Mettre un terme aux exportations énergétiques vers Israël, pour couper les vivres à la machine de guerre et à l’infrastructure d’occupation. La Colombie a par exemple mis en place un embargo en juin 20246. La Colombie représentait 50 % des importations israéliennes de charbon, un coup dur pour Israël.
  • Développer la production d’énergie renouvelable contrôlée par le peuple palestinien : redonner accès à l’énergie pour les Palestinien·nes est actuellement une question de survie. Sans énergie, pas de soins, pas de conservation alimentaire, pas de connexion au monde pour témoigner de l’horreur sur place. Les énergies renouvelables, contrairement aux fossiles, peuvent être décentralisées, dans les mains du peuple avec des systèmes de gouvernance démocratiques. Des projets comme ceux menés par PENGON / Amis de la Terre Palestine sont essentiels : ils développent des unités solaires pour permettre à des communautés dans la vallée du Jourdain de transformer le lait dont elles dépendent pour permettre sa conservation7. À terme, les énergies renouvelables ont aussi le potentiel de redonner du pouvoir au peuple palestinien : c’est un outil essentiel pour l’exercice de sa souveraineté.
  • Ne pas coopérer avec les entreprises développant des énergies renouvelables dans des zones occupées, comme Enlight Renewable Energy. Développer les énergies renouvelables est essentiel pour des sociétés soutenables, mais cela ne doit pas se faire en suivant le même modèle destructeur pour les droits humains et la justice sociale que le système énergétique basé sur les fossiles.

Au-delà de ces demandes spécifiques au secteur énergétique, les Amis de la Terre France appellent également à mettre globalement fin à l’impunité d’Israël en utilisant tous les mécanismes diplomatiques et économiques à la disposition des Etats pour dissuader les attaques d’Israël sur Gaza et la Cisjordanie, mettre fin au génocide et remédier de toute urgence à la situation humanitaire dramatique8.

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Notes
2

Les Amis de la Terre France, Vers un traité à l’ONU ?

3

0,6 giga mètres cubes de gaz liquéfié ont été livrés à l’Europe depuis l’Egypte en 2023. Une quantité dérisoire en comparaison de la consommation européenne qui s’élève à 295 Gm3. Gastivists, “6 European Countries have most likely imported israeli gas since October 7th 2023”, Octobre 2024.

4

E3G, “EU can stop Russian gas imports by 2025”, 23 Mars 2022.

7

Abeer Al Butmeh de PENGON dans Friends of the Earth International, “For a Feminist Just Energy Transition”, 8 mars 2025.