MultinationalesSurproduction
16 février 2012

Basta ! : Quand les multinationales minières recolonisent l’Argentine

Le boom minier en Amérique latine est à l’origine de nombreux conflits. Face à des méga-projets qui déplacent des villages, polluent et assèchent les rivières, détruisent les forêts, des communautés locales résistent. Du Mexique à la Patagonie, elles multiplient les blocages et obtiennent parfois la suspension des projets. En Argentine, cette résistance vient d’être durement réprimée comme en témoigne le cinéaste Carlos Ruiz.

Article publié dans Basta ! Accéder à l’article sur le site de Basta !

Depuis quelques mois, la résistance des communautés face aux activités minières s’intensifie dans l’ouest de l’Argentine, principalement au travers de blocages sélectifs de camions allant aux mines. Les habitants de La Rioja sont mobilisés contre l’installation de l’entreprise canadienne Osisko, tandis que ceux de Catamarca s’opposent à la poursuite du projet de Minera Alumbrera, filiale du géant minier suisse Xstrata, après avoir souffert durant quinze ans des impacts sociaux et environnementaux de ses activités. Ces manifestations ont été durement réprimées à Tinogasta, Belén et Amaicha, faisant des dizaines de blessés.

La situation empire aussi à Andalgala, où une répression féroce avait déjà eu lieu il y a tout juste deux ans : depuis quelques jours, un groupe pro-minier bloque l’entrée de la ville, empêchant le passage de journalistes et de personnes venues soutenir l’assemblée locale, tandis que les maisons de plusieurs manifestants sont fouillées sans motif par la police. En décembre 2011, un rapport de l’ONU s’inquiétait déjà de l’utilisation démesurée de la force et de représailles contre les personnes défendant leurs droits économiques, sociaux et culturels en Argentine.

Tinogasta, la répression indigne

Par Carlos Ruiz*

Des centaines de milliers d’habitants de toute la cordillère des Andes résistent, comme l’ont fait toutes les populations tout au long de l’histoire. Mais il y a encore des gens qui vivent dans d’autres régions du pays et qui ne comprennent pas la lutte de ces peuples qui ne veulent pas de l’exploitation minière. Ils n’en veulent pas. Non. Ils n’en veulent pas pour de nombreuses et sérieuses raisons, scientifiques et non scientifiques. Peut-être est-ce difficile à comprendre pour ceux qui ne vivent pas là.

Pourquoi défendre à outrance une modernité périmée, qui arrive à contretemps, avec des promesses de progrès et de développement que personne ne croit ni ne peut soutenir ? Au moins sans toucher d’importants salaires et bénéfices, ou bien sans prendre des postures biaisées ou des visions purement économicistes. Pourquoi mépriser l’immense culture et les savoirs de villages ancestraux, habités par des Argentins qui ont pourtant les mêmes droits et le même statut que ceux qui vivent entassés à Buenos Aires ? Gioja, le gouverneur pro-minier de la province de San Juan, l’a dit très clairement il y a quelques jours (alors qu’il nous traitait de « nazis ») quand il a exprimé sa propre pensée : « Les écologistes ne veulent pas que les pauvres aient accès au progrès ».

L’échec de la politique extractiviste

La répression à Tinogasta, brutale, démesurée, oblige à s’arrêter [1]. Les forces spéciales de la police, montant la garde devant des camions miniers remplis de poison et d’explosifs, ont tiré – littéralement – sur des habitants pacifiques, parmi lesquels des centaines de femmes et d’enfants. Ils ont lâché leurs chiens furieux contre les personnes qui étaient assises sur la route pour empêcher les camions miniers de passer (un chien a mordu une femme et a failli lui arracher un sein). C’est un échec total de la politique.

Les habitants de Tinogasta, de Belén, d’Andalgalá, de Famatina, de Chilecito, de Jáchal, d’Amaicha, de Tilcara, de Tupungato, d’Esquel et de centaines d’autres villages où vivent des Argentins qui travaillent et aiment leur patrie autant que ceux qui vivent au bord de la mer, ne sont ni des envahisseurs, ni des fondamentalistes, ni des subversifs, ni des terroristes, ni même des écologistes. Ils se défendent, non pas contre les entreprises multinationales qui viennent dévaster des territoires entiers, mais contre ceux qui leur ont ouvert les portes. Les entreprises n’attaquent pas les gens, pour cela elles ont les gouvernements provinciaux et leurs « forces spéciales ».

« L’exploitation minière est un sacrifice en échange de rien »

Les gouvernements signent des contrats avec des entreprises étrangères dans le dos des gens, en garantissant un « permis social » [2] qu’ils n’ont pas. Les entreprises établissent dans leurs manuels administratifs internes comment devra se faire la distribution des « fonds sans facture » au sein des communautés, comme c’est le cas d’Osisko, dans la province de La Rioja. Elles n’ont même pas besoin de gagner les élections, dans des démocraties impures, malades du clientélisme. Mais les gens ne sont pas bêtes, ils n’octroieront jamais ce permis social pour mourir à petit feu. Le permis social est la limite. Ils le savent très bien, l’exploitation minière – d’aujourd’hui et celle d’hier aussi – est un sacrifice. Un sacrifice en échange de rien, ou pire encore, en échange de perdre le bien le plus précieux que nous avons : l’eau, les glaciers, « ces réservoirs d’eau » ; c’est changer de mode de vie, c’est brader sa culture, anéantir son identité.

À ceux qui vivent loin de cette problématique nous leur demandons : Pourquoi extraire de l’or ? Pourquoi faire exploser des montagnes entières ? Littéralement, ce n’est pas une métaphore.

La présidente Cristina Fernández de Kirchner a demandé hier « qui accepterait de travailler dans une mine sachant qu’elle contamine ? ». Nous pourrions lui demander : pourquoi croit-elle que des familles entières se jettent au pied d’énormes camions chargés d’explosifs ? Pourquoi croit-elle que les politiciens arrivent au pouvoir avec un discours qui répond aux demandes et aux inquiétudes du peuple et rapidement – comme le gouverneur Beder Herrera [3] – revêtent la chemise du colonisateur ? Il est temps d’écouter le peuple et d’arrêter cette vague répressive qui nous ramène à des époques tristes de notre histoire, qui ne sont pas rares.

*Carlos Ruiz est cinéaste, réalisateur du documentaire Cielo Abierto [4], et membre des Assemblées citoyennes de La Rioja.

Traduction et introduction : Juliette Renaud

Source : article publié en espagnol dans Página12

Photo : TN

Notes

1] [Voir la vidéo qui relate cette répression, éditée par l’assemblée de Tinogasta.

[2] La notion de « permis social » (licencia social) est de plus en plus reconnue dans le domaine des investissements miniers et autres activités d’exploitation de ressources naturelles comme étant un pré requis essentiel pour assurer la stabilité et la prospérité des projets mis en place, mais également pour faire en sorte que ceux-ci respectent les droits des populations locales.

[3] L’actuel gouverneur de la province de La Rioja, Luis Beder Herrera, avait été élu en 2007 pour sa campagne contre les activités minières et contre l’installation de la Barrick Gold. Une fois élu, il a immédiatement dérogé à la loi d’interdiction de mines à ciel ouvert qu’il avait pourtant promue et votée quelques mois plus tôt.

[4] Le documentaire Cielo Abierto raconte comment les populations locales se sont mobilisées contre la Barrick Gold et l’ont obligé à renoncer à son projet dans la province de La Rioja. Ces communautés résistent maintenant à l’arrivée d’une nouvelle entreprise canadienne, Osisko.