Victoire ! Le tribunal ordonne la communication de preuves dans l’affaire Total Ouganda
Suite à l’audience du 15 mai dernier dans l’affaire “Total Ouganda”, le tribunal judiciaire de Paris vient de rendre une décision cruciale enjoignant à Total de communiquer des documents considérés comme des éléments de preuve essentiels à la procédure par les demandeurs.
Pour les communautés affectées et les associations, c’est une victoire d’étape importante dans l’action en justice lancée il y a deux ans contre Total pour obtenir réparation pour les violations des droits humains causées par les méga-projets pétroliers Tilenga et EACOP en Ouganda.
Pour rappel, cette action initiée en juin 2023 sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance, oppose 26 personnes directement affectées par les projets Tilenga et EACOP, le défenseur des droits humains Maxwell Atuhura, et cinq associations ougandaises et françaises (AFIEGO, les Amis de la Terre France, NAPE/Amis de la Terre Ouganda, Survie et TASHA Research Institute) au géant pétrolier Total.
Devant le refus de l’entreprise de communiquer certains documents essentiels pour démontrer la responsabilité de l’entreprise, les demandeurs ont dû saisir le juge pour contraindre cette dernière à le faire. Cette demande avait été présentée lors d’une audience du 15 mai 2025 devant le Tribunal judiciaire de Paris 1.
Pour les associations et les communautés affectées, la décision rendue aujourd’hui 2 est une réelle avancée. Elle contribue à remédier à la profonde asymétrie d’information qui existe entre les multinationales, qui sont souvent les seules à détenir certaines preuves déterminantes dans l’examen de leur responsabilité, et les personnes affectées, sur lesquelles repose pourtant la charge de la preuve.
C’est donc un pas important vers un indispensable rééquilibrage qui vient en partie pallier l’absence de renversement de la charge de la preuve, revendication historique des associations pour surmonter l’un des principaux obstacles à un accès effectif à la justice.
Alors que Total avait essayé de se réfugier derrière ses filiales en disant que la majorité des documents leur appartenaient, le tribunal a également souligné que les demandeurs étaient bien fondés à diriger leur demande à la maison-mère, dans le cadre de son devoir de vigilance.
« Cette décision marque ainsi une victoire décisive dans la lutte contre l’opacité derrière laquelle les multinationales – et Total en particulier – se réfugient trop souvent pour éviter de voir leur responsabilité juridique engagée. Ce fut une dure bataille d’un an pour accéder à ces preuves donc nous sommes soulagés qu’elle ait été gagnée ».
Juliette Renaud poursuit : « C’était un préalable important pour que le fond de l’affaire puisse enfin être examiné ».
Ces documents devraient permettre d’évaluer plus précisément le respect, ou non, par Total de ses obligations au titre de la loi sur le devoir de vigilance et d’aider à déterminer l’étendue des préjudices subis par les demandeurs.
Sous la pression de cette demande judiciaire, et à la suite de courriers envoyés par les avocats des demandeurs, les filiales de Total, TotalEnergies E&P Uganda et EACOP Ltd, avaient finalement communiqué, quelques jours avant l’audience, puis juste avant l’été, la quasi-totalité des formulaires individuels des personnes affectées détaillant notamment le montant des compensations versées, ainsi que les rations alimentaires reçues. Par ailleurs, Total avait également fini par transmettre une partie des rapports 3, demandés depuis près d’un an par les demandeurs, via un courrier amiable, puis une sommation de communiquer 4, et enfin via la saisine du juge.
La transmission de la majorité de ces documents est intervenue quelques jours seulement avant le délibéré initialement fixé au 3 juillet 2025, entraînant son report de plus de deux mois 5. En effet, trois semaines après l’audience de mai, Total avait demandé en catastrophe à ses filiales de transmettre des documents concernés par la procédure et non transmis jusque-là. La multinationale ne s’est pas expliquée sur ce revirement de situation, ni les raisons pour lesquelles elle n’avait pas transmis cette instruction à ses filiales dès les mois de juillet 2024, lorsque les demandeurs avaient demandé à Total ces documents à l’amiable, ni depuis la saisine du juge.
Selon Pauline Tétillon, porte parole de Survie, « il semblerait que Total, pressentant peut-être une décision qui lui serait défavorable, ait cherché à faire bonne figure en dernière minute en demandant à ses filiales de communiquer plusieurs rapports et l’essentiel des formulaires. Pourtant cela faisait des mois qu’elle s’y refusait, se cachant derrière leur prétendue indépendance, malgré le contrôle effectif qu’elle exerce sur elles, argument qui n’a pas convaincu le tribunal ».
Les demandeurs saluent l’injonction faite par le juge à Total de communiquer les dernières preuves que l’entreprise refusait de transmettre jusque là. En particulier, Total avait résisté jusqu’au bout pour ne pas communiquer les rapports établissant les taux de compensation.
Total dispose d’un délai d’un mois pour transmettre les documents manquants, sous peine d’une astreinte de 1 000€ par jour de retard. Nourris de ces nouveaux documents, les échanges d’écriture vont donc reprendre, avant la fixation d’une audience sur le fond, probablement en 2026.
Voir la note de presse de mai 2025 : “Total au Tribunal : le dur combat pour l’accès aux preuves”
La décision du tribunal judiciaire est disponible ici.
Les rapports transmis par Total le 25 juin 2025 sont les suivants : les rapports d’achèvement des projets de distribution alimentaire, le suivi de la capacité des populations à produire leur propre nourriture, une partie des comptes rendus du Comité des droits de l’Homme mis en place par TEPU, l’étude sur les inondations réalisée en 2021, ainsi que le rapport du « District Land Board » définissant les taux de compensation pour les cultures.
La sommation de communiquer est accessible ici.
La juge avait également convoqué une nouvelle audience le 10 juillet 2025 pour faire le point avec les deux parties suite aux derniers documents communiqués par Total.