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12 novembre 2012

Des boues toxiques en Méditerranée

Depuis près de 50 ans, le site de production d'alumine de Gardanne (Bouches-du-Rhône) déverse des boues toxiques, les boues rouges, dans la mer Méditerranée. Les Amis de la Terre réclament l'arrêt immédiat de cette pratique aux conséquences désastreuses pour l'environnement.

Environ 30 millions de tonnes de boues rouges ont été déversées au large de Cassis, au coeur du Parc national des Calanques. Ces boues rouges produites à Gardanne (Nord de Marseille) sont des résidus industriels issus de la fabrication d’alumine chargés en métaux lourds1. Acheminées par une conduite longue de 47 km reliant l’usine de Gardanne à la mer, elles se déversent à 320 mètres de profondeur dans le canyon sous-marin de Cassidaigne. Suite à la convention de Barcelone de 1976, qui vise à réduire la pollution et protéger le milieu marin en mer Méditerranée, à la directive-cadre sur l’eau et à divers arrêtés préfectoraux, les propriétaires du site se sont engagés à réduire progressivement les émissions de boues, avec un arrêt total prévu pour la fin de l’année 2015.

Clause de confidentialité

Dans les années 1990, le groupe Pechiney alors propriétaire du site de Gardanne, finance une étude d’impact de ses rejets en mer. Le rapport de cette étude réalisée par la Créocéan, agence de service et conseil en environnement, établit que les boues rouges sont toxiques pour plusieurs espèces. Le rapport est protégé à la demande de Pechiney par une clause de confidentialité pour une durée de 15 ans, arrivée à terme en 2008. Entre 1994 et 1995 Pechiney se dote d’un comité scientifique de suivi pour contrôler les rejets en mer. Depuis sa création, le comité affirme que les boues rouges sont des résidus inertes ne présentant aucun risque pour l’environnement.

Mais selon les données de l’association Robin des bois, voici approximativement comment se décomposent ces 30 millions de tonnes de boues rouges : 9 300 000 t de fer, 2 200 000 t de résidus d’aluminium, 1 900 000 t de titane, 61 300 t de chrome, 2 600 t de zinc, 1 700 t de plomb, 900 t de cuivre, 700 t de nickel, 20 600 kg d’arsenic, du vanadium, du mercure, etc.

Les boues rouges rejetées au large de Cassis sont brassées par des courants marins dont la dérive Ligure. Ce courant disperse en Méditerranée les particules les plus fines tels que les métaux lourds. Suite à l’arrêt des rejets en mer des boues rouges de Gardanne, quelle sera l’évolution chimique de ces résidus au contact de la matière organique ?

Et après ?

Selon plusieurs chercheurs qui tiennent à rester anonymes car tenus à la confidentialité, la vie va se développer sur les fonds marins couverts de boues rouges. Le plancton, les espèces pélagiques, les poissons pourraient absorber et concentrer les métaux lourds toxiques présents dans ces rejets par bioaccumulation. Quels seraient alors les risques sanitaires pour l’homme ? S’il est actuellement précisé que fin 2015 la conduite ne servira plus à rejeter des boues rouges en mer, une interrogation plane autour de son éventuelle utilisation pour rejeter d’autres déchets non spécifiés. 80 % des déchets produits par l’usine de Gardanne sont actuellement rejetés en mer et devront être stockés à terre début 2016.

C’est pourquoi Rio Tinto Alcan, précédent propriétaire du site et actuel partenaire du nouveau propriétaire, le fonds d’investissement HIG dans un nouveau groupe appelé ALTEO [2] , a initié une pression sur la commune de Bouc-Bel-Air, visant à déclasser des zones boisées afin de stocker les boues rouges en attente de transformation sous forme de Bauxaline ou de Bauxsol, produits commerciaux vendus dans les secteurs des travaux publics, du bâtiment, de l’horticulture et plus globalement dans des applications environnementales. Selon le comité scientifique de suivi cité en début de texte ces produits composés de boues rouges sont totalement inoffensifs. Mais pour les Amis de la Terre, il semble nécessaire de réaliser des études d’impacts scientifiques et radiologiques indépendantes sur les boues rouges et les produits commerciaux issus de la valorisation de ces déchets. Dans l’attente des ces résultats, l’arrêt immédiat des rejets en mer devient obligatoire afin de limiter cette catastrophe écologique, en marche depuis trop longtemps.

> LES AMIS DE LA TERRE

Photo : Des millions de tonnes de boues rouges chargées en métaux lourds sont rejetées au large de la calanque de Port-Miou. (c) O D

1/ « L’étape de nettoyage de l’alumine génère les boues rouges composées d’eau, de soude métaux lourds que de l’arsenic, du mercure, du plomb, du chrome et du titane ». source : Pascaline Minet, « Quel avenir après les boues rouges ? », La Recherche, décembre 2011, n° 458, p. 56-57.

2/ RioTinto/Alteo est nominé aux Prix Pinocchio 2012 dans la catégorie « Une pour tous, tout pour moi ».