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Climat-Énergie
16 juin 2016

Interview croisée nucléaire : c’est par où la sortie ?

L’étau se resserre sur la politique énergétique française : d’un côté, le vieillissement du parc de réacteurs et le risque croissant d’un accident nucléaire majeur et de l’autre, l’impératif climatique et la nécessité de laisser une grande partie des énergies fossiles de côté.

L’étau se resserre sur la politique énergétique française : d’un côté, le vieillissement du parc de réacteurs et le risque croissant d’un accident nucléaire majeur et de l’autre, l’impératif climatique et la nécessité de laisser une grande partie des énergies fossiles dans le sol. Ni nucléaire, ni fossile : c’est possible ?

Marie Christine Gamberini : Oui et non. Il faut cesser de confondre énergie et électricité. L’uranium fournit moins de 2 % de la consommation finale d’énergie planétaire. Le « zéro nucléaire » est donc non seulement vital, mais parfaitement praticable à court terme. C’est une autre affaire de se passer de fossiles dans une civilisation thermo-industrielle qui repose structurellement sur du pétrole, du charbon et du gaz bon marché, et où la consommation d’énergie a doublé depuis 1973. Même en France où, aberration suprême, plus du tiers des logements sont chauffés à l’électricité, produits pétroliers et gaz représentent l’essentiel de la consommation finale d’énergie. Plafonner, puis restreindre l’emploi des fossiles à des usages relevant du bien commun de l’humanité, dans un cadre de coopération internationale équitable, serait déjà un bon début.

Mathieu Le Dû : Depuis 2006, Virage-énergie Nord-Pas-de-Calais réalise des scénarios énergétiques à l’échelle de la Région. Ces scénarios de prospective, focalisés tant sur les solutions techniques que sociétales, démontrent chiffres à l’appui qu’il est possible de se libérer progressivement de la dépendance aux énergies fossiles et fissiles. Si l’on avait suivi le plan d’action proposé en 2008, en 2016 trois des six réacteurs de la région seraient déjà fermés. Nos organisations économiques et sociales conditionnent l’essentiel des consommations d’énergie : elles sont les premiers piliers de cette transition. En cumulant les potentiels considérables de la sobriété (jusqu’à 40 % d’économies d’énergie1), de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables, cette transition est possible. Néanmoins, elle demande une vision et un projet politique bien définis.

Économie d’énergie et développement des énergies renouvelables : est-ce qu’il s’agit de conditions préalables ou de conséquences mécaniques d’une sortie du nucléaire ?

MCG : Rien n’est jamais mécanique. Et en France, c’est plutôt une rupture franche avec l’atôme qui constitue le préalable d’un réel essor des pratiques énergétiques vertueuses. Il suffirait d’une douzaine de centrales à gaz à cycle combiné comme celle de Futtsu au Japon (5 000 MW) pour remplacer très vite les 63 GWe des 58 réacteurs français. La prise de relais par les ENR et les économies d’énergie – bloquées par un parc nucléaire surdimensionné que l’on ne peut arrêter et redémarrer à volonté, et dont on se borne à évacuer la production de chaleur dans l’environnement aux heures où l’on n’utilise pas d’électricité – seraient alors vraiment favorisées par la baisse de la facture de gaz associée. Par contre, la seule injection d’éolien ou de solaire (il en faut au moins 3 MW pour remplacer 1 MW de nucléaire ou de thermique à flamme) est trop progressive : elle ne peut hélas qu’éponger et verdir abusivement les hausses de consommation liées entre autres à l’essor des NTIC.

MLD : Les deux. Une sortie du nucléaire impliquera nécessairement l’adéquation de l’offre et de la demande en énergie, et donc des efforts sur les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables. On peut décider de sortir du nucléaire et s’interroger ensuite sur les moyens d’y parvenir, mais on peut aussi décider plus largement d’une transition vers un modèle de société soutenable sans nucléaire pour des co-bénéfices sur la santé humaine, environnementale ou encore sur les emplois1. La sobriété énergétique, indispensable pour une sortie rapide du nucléaire, peut ainsi devenir une politique d’anticipation structurante qui répondrait en parallèle aux questions sociales (précarité), environnementales (qualité de l’air, dérèglement climatique…) ou encore sanitaires (alimentation et santé). Les enjeux sont systémiques.

Sortir du nucléaire soulève de nombreux enjeux complexes et imbriqués. Par où commencer ? Sur quelle(s) bataille(s) concentrer nos forces pour créer un effet de domino ?

MCG : Toutes les luttes importent. Néanmoins, les REP de l’Hexagone ayant presque tous le même âge, obtenir de premières mises à l’arrêt définitif aurait un effet domino que la fermeture de Superphénix, unique en son genre, ne pouvait entraîner. Par ailleurs, bloquer la porte d’entrée du « combustible » (l’usine de Malvesi à Narbonne, où converge pour transformation tout l’uranium importé) est au moins aussi crucial que s’opposer à l’enfouissement des « déchets ». Car un réacteur ne « brûle » pas la radioactivité, il en produit. Le jour où la France, pays le plus nucléarisé et nucléarisant de la planète, affichera une volonté diplomatique réelle d’arrêter, la trentaine d’États dotés de réacteurs (et les huit autres qui ont « la » bombe) pourront envisager d’y renoncer. Et ceux qui n’en ont pas auront moins de raisons d’essayer d’en acquérir.

MLD : Réduction de la vulnérabilité aux risques technologiques, économies financières, diminution des dépendances à un système centralisé et aux importations, justice sociale, créations d’emplois durables et de qualité… La sortie du nucléaire, initiée par des politiques volontaristes de sobriété, dépasse le seul objectif technique et doit être abordée à l’aune de ses co-bénéfices. L’emploi et la faisabilité technique sont des arguments forts à mobiliser. Les études récentes (scénarios négaWatt, Ademe ou Virage-énergie NordPas-de-Calais) démontrent que non seulement une sortie du nucléaire est techniquement possible, mais c’est aussi un choix économique pour la France avec des effets positifs sur l’emploi. Ces arguments sont des vecteurs à mobiliser pour convaincre les décideurs (politiques et entreprises) et les citoyens d’engager un tel virage énergétique et sociétal. 1 Virage-énergie Nord-Pas-de-Calais, 2016. Mieux vivre en région Nord-Pas-deCalais : pour un virage énergétique et des transformations sociétales.