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Surproduction
29 décembre 2017

L’Union européenne n’avance plus sur l’économie circulaire

Lundi 18 décembre était finalisé un accord entre le Conseil et le Parlement européen sur la révision de la directive cadre "Déchets", de la directive "Emballage" ainsi que de la directive relative à la mise en décharge, contenues dans le Paquet "Économie circulaire".

Après plus d’un an de travail législatif et de négociations tendues- au sein du Parlement et du Conseil des États membres, puis entre ces deux institutions, le résultat final n’est pas à la hauteur des discours… et encore moins des enjeux. Le réemploi et la prévention des déchets sont les grands perdants de mesures qui restent toujours très fortement centrées sur le recyclage, dans la continuité des textes déjà en vigueur. Couplé au refus de la Commission d’envisager des objectifs de réemploi des équipements électriques et électroniques, au relatif manque d’ambition de ses propositions de règlements au titre de la Directive cadre éco-conception et à sa volonté de plafonner la garantie légale à deux ans dans toute l’Europe, cet accord, arraché difficilement, révèle que derrière l’importance donnée à l’économie circulaire dans le narratif politique, les États membres et les Institutions européennes ne sont pas prêtes à prendre les mesures nécessaires pour adapter l’économie européenne à l’épuisement rapide des ressources naturelles.

Lundi 18 décembre était adopté un accord entre le Conseil et le Parlement européen sur la révision de la Directive cadre “Déchets”, de la Directive “emballage” et de la Directive sur la mise en décharge, contenues dans le Paquet Économie circulaire. Après plus d’un an de travail législatif et d’âpres négociations- au sein du Parlement et du Conseil des États membres, puis entre les ces deux institutions – le résultat final est loin de jeter les bases d’une économie véritablement circulaire.

Décidément, le paquet Économie circulaire aura connu beaucoup de rebondissements…ou d’atermoiements, dans le cas présent. On se souvient que la première mouture proposée sous la Commission Barosso avait été retirée rapidement après la nomination de la Commission Juncker, au motif qu’il était trop contraignant et ne faisait pas consensus au sein des États membres. Face au tollé politique, la Commission s’était défendue en invoquant l’insuffisance de la prise en compte de l’amont de l’épuisement des ressources et notamment de la politique sur les produits. 1 Réintroduit sous la pression de plusieurs États membres en 2015 2, le “Paquet économie circulaire” a été érigé à un rang élevé dans les priorités stratégiques de la politique européenne des 3 dernières années. Contenant 6 propositions de directive déchets, et plusieurs plans d’actions notamment sur le plastique et sur l’éco-conception des EEE, la fin des négociations et l’approche de la dernière année de mandat de la législature européenne nous donne suffisamment de recul pour dresser un constat critique. Malgré l’ambition affichée, les mesures concrètes sont très loin de suffire pour enrayer la crise grave de l’épuisement des ressources, des émissions de gaz à effet de serre et de la pollution environnementale et sanitaire causée par nos modes de consommation et nos déchets.

Parmi les avancées les plus notables de ces nouvelles version des directives, une obligation de recyclage des déchets ménagers portée à 65% en 2035 ainsi qu’une obligation de collecte sélective des biodéchets dès décembre 2023 et des textiles en 2025. Ombres au tableau: le maintien de la possibilité ouvertes aux collectivités de déroger à la collecte sélective sous des conditions bien plus strictes qu’auparavant et la non harmonisation de la méthode de calcul de ce recyclage bien que les quatre d’aujourd’hui soient réduites à deux.

Concernant les emballages, l’objectif a été élevé à 70% pour 2030 avec des obligations spécifiques pour chaque matériaux : 75% pour le verre, 80% pour les métaux ferreux, 85% pour les papiers et les cartons, 55% pour le plastique, 60% pour l’aluminium…
Le taux de recyclage des emballages plastiques et l’absence d’objectif de réemploi pour ces dernier restent insuffisants, dans un contexte où la pollution qu’ils engendrent constitue un enjeu environnemental et sanitaire majeur.

Autre avancée significative l’adoption du principe de couverture totale des coûts de traitement des déchets par les metteurs sur le marché, avec néanmoins des dérogations possibles, et la généralisation de l’éco-modulation dans les filières à responsabilité élargie des producteurs. Néanmoins, des critères communs ne sont pas adoptés pour l’ensemble du marché et l’expérience française nous montre que ces modulations peuvent avoir relativement peu d’effet lorsqu’elles représentent 20% d’une éco-contribution très faible par rapport au coût du produit, comme c’est le cas aujourd’hui pour les meubles ou pour les équipements électriques et électroniques.

Le réemploi et la prévention des déchets sont les grands perdants de mesures qui restent très lourdement centrées sur le recyclage. Une simple clause de réexamen charge la Commission européenne de fixer des objectifs de prévention des déchets alimentaires en 2023. La version actuelle du texte ne permet pas d’établir si ces objectifs seront véritablement contraignants ou de simples objectifs “aspirationnels”. L’inclusion de cette obligation au récital et non dans les articles même de la Directive augurent plutôt de la seconde option. Pour comprendre le manque d’ambition du texte final en la matière, il faut le comparer avec la position initiale du Parlement – pourtant dominé par une majorité libérale : un objectif de réduction des déchets alimentaires et des déchets marins de 30% en 2025 et 50% en 2030!
Enfin, une autre clause de réexamen reporte à 2024 l’analyse par la Commission de l’opportunité de fixer un objectif de préparation pour réutilisation des déchets ménagers. Pour rappel, on estime un potentiel de réemploi tournant autour de 25% pour ce gisement.

Or, on a vu dans le cas de la Directive Déchets d’équipements électriques et électroniques, que les clauses de réexamen sur l’opportunité d’adopter des objectifs de préparation à la réutilisation distincts ou de collecte par type d’équipement ont donné lieu à un rejet par la Commission, alors que le réemploi des D3E tourne autour de 1% en moyenne dans les États Membres et n’est que de 2% en France! 3
La demande en EEE d’occasion est pourtant potentiellement très élevée, comme en témoigne le boom de l’activité des reconditionneurs dans la téléphonie ou la vente d’électroménager par les structures solidaires ou sur des sites de peer-to-peer comme Le bon coin. La seule réparation des téléphones, des tablettes et des ordinateurs emploie aujourd’hui 35 000 personnes dans l’hexagone. 4 Une obligation de récupération des pièces détachées fonctionnelles pourrait également venir soutenir le secteur de la réparation fortement impacté par le coût de plus en plus élevé de ces dernières.  5

Ce refus de renforcer le réemploi et de renforcer la hiérarchie de traitement des déchets est symptomatique de l’incapacité des États Membres à imprimer une réelle transformation au modèle économique productiviste et linéaire. Pour l’ONG Zero Waste Europe “Quasiment toutes les objectifs importants proposés par la Commission et le Parlement ont été démantelés ou retardés par le Conseil” 6

Sur ce dossier, qui génère des obligations pour les États membres, le Parlement et la Commission se sont montrés des forces progressistes. Rappelons néanmoins qu’ils sont beaucoup plus frileux lorsqu’il s’agit de réglementer directement l’activité économique.
En effet, il faut relier à ces maigres avancées, la relative faiblesse de l’ambition des propositions de règlements dans le cadre de la directive Éco-conception et notamment de l’exclusion des Smartphones de la réglementation 7, alors qu’ils constituent une des premières mises sur le marché d’EEE aujourd’hui8! Le motif avancé est pour le moins perturbant : les évolutions technologiques et esthétiques sont trop rapides dans ce secteur pour la régulation dont l’adoption prend a minima 4 ans. Cet aveu d’échec provient à notre sens de l’inadéquation de la conception de la Commission du rôle de cette réglementation, qui ne devrait pas viser à simplement refléter ce qui existe déjà sur le marché, et définir un seuil d’élimination des plus mauvais produits mais devrait fixer des normes ambitieuses à un horizon temporel défini afin d’encadrer et de flécher les investissements et les innovations futures.

Une claire priorité donnée au marché sur l’environnement que l’on retrouve dans la volonté de la Commission de plafonner la garantie légale à deux ans dans toute l’Europe pour stimuler les échanges inter-étatiques. Un nivellement par le bas redoutable pour l’épuisement des ressources et pour la protection des consommateurs européens.  9

Notes
2

Institut de l’économie circulaire, décembre 2014, « L’Allemagne défend le projet de la Commission sur l’économie circulaire ».

 

3

Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur le réexamen des objectifs de valorisation des DEEE, sur l’éventuel établissement d’objectifs séparés pour les DEEE à préparer en vue de leur réemploi et sur le réexamen de la méthode de calcul des objectifs de valorisation fixés à l’article 11, paragraphe 6, de la directive 2012/19/UE relative aux DEEE

4

ADEME, Réemploi, réutilisation et réparation Edition 2015

7

Commission européenne, Communication from the Commission : Ecodesign Working Plan 2016-2019

8

ADEME, Rapport annuel du registre des Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques. Données 2016.

 

9

Les Amis de la Terre, décembre 2017, La proposition de Directive « Ventes en ligne » : ou comment l’achèvement du marché unique prime toujours sur l’épuisement des ressources