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MultinationalesSurproduction
19 décembre 2017

Le Salvador face aux géants miniers

Fin mars dernier, le Salvador a écrit une page d’histoire en devenant le premier pays au monde à interdire les mines métallifères. Le succès de cette lutte de plusieurs décennies est la preuve que des citoyen.ne.s peuvent gagner face aux intérêts des multinationales.

Voici comment le peuple du Salvador s’est attaqué aux géants de l’industrie minière.

L’ILLUSION

Au Salvador, l’industrie minière a longtemps été vendue comme
un rêve à la population : une industrie idéale qui allait favoriser le
développement, créer des emplois et générer des revenus fiscaux
pour financer les écoles et les hôpitaux dont le pays a tant besoin.
En 2004, en signant le Traité de libre-échange entre les États-Unis
et les pays d’Amérique centrale (CAFTA), le Salvador a choisi de
favoriser l’essor de cette industrie. Des multinationales comme
Holcim, Monsanto et Pacific Rim se sont vues autoriser le droit
d’intensifier leurs opérations dans le pays. Soutenues par les élites
dirigeantes locales, elles ont commencé à monopoliser le territoire
pour en extraire les ressources naturelles. Entre 1992 et 2008, les
investissements directs étrangers sont passés de 30 millions à 5,9
milliards de dollars. La majeure partie de cet argent a été investie
dans de nouvelles opérations minières.

ENTRE RÉSISTANCE ET RÉPRESSION

Dès le début de l’expansion minière et en défense de leurs terres
accaparées, les populations locales résistèrent. Elles ont organisé
des réunions communautaires, ont déposé des recours en justice,
ont organisé des manifestations. Les Amis de la Terre Salvador
/ CESTA ont soutenu la résistance des communautés locales.
De nombreux dirigeants locaux furent formés à l’École d’Écologie
Politique de CESTA sur la question des impacts des opérations
minières et sur le développement de stratégies de résistance.
Un groupe de citoyen.ne.s organisé.e.s et uni.e.s commença alors
à défier le pouvoir des multinationales. Les entreprises répondirent
par la violence : le président des Amis de San Isidro Cabañas (ASIC),
un centre de la résistance contre les mines, fut assassiné ainsi que
trois autres militants anti-mines, tandis que beaucoup d’autres
furent menacés et harcelés.

D’autres coalitions populaires se formèrent : citons le Mouvement
des personnes victimes des changements climatiques et des
multinationales (MOVIAC) et la Table Ronde nationale contre
l’extraction des métaux. Ces coalitions ont réussi à faire de
l’industrie minière un enjeu politique national, en diffusant dans
les médias des informations sur les impacts des mines, mais aussi
au travers d’actions d’éducation populaire. Les Amis de la Terre
International ont, quant à eux, fourni un soutien aux familles de
militant.e.s menacé.e.s. Par ailleurs, ils ont porté le cas de l’industrie
minière au Salvador devant les Nations unies, dans le cadre de
l’appel pour un traité international sur les droits humains et les
sociétés transnationales. La solidarité et le partage des expériences
avec les mouvements d’autres pays (Costa Rica, Argentine ou
Colombie) où des interdictions partielles de l’exploitation minière
ont été prononcées, ont aussi joué un rôle essentiel.

RICHE MULTINATIONALE MINIÈRE CONTRE ÉTAT PAUVRE

En 2008, le président Antonio Saca rejeta finalement un projet de
mine de Pacific Rim. Ce projet aurait entraîné l’utilisation de produits
chimiques toxiques – y compris du cyanure – pour récupérer les
métaux, à moins de 65 km de la capitale. La réponse de Pacific
Rim consista à réclamer au gouvernement du Salvador 301
millions de dollars dans un recours devant un tribunal d’arbitrage
privé. À l’inverse des droits humains, les droits des entreprises
sont très bien protégés au niveau international, au travers de
différents mécanismes, tels que celui de règlement des différends
investisseurs-États (mécanisme RDIE ou ISDS en anglais), inclus
dans les accords de libre-échange et d’investissements. Cela
permettait donc à Pacific Rim de poursuivre le Salvador, à partir du
moment où la compagnie considérait que le rejet de sa demande
d’exploitation minière avait une incidence négative sur ses profits.
Mais dans ce cas précis, la tentative d’intimidation de la multinationale
se retourna contre elle. Elle suscita une vaste opposition contre
l’industrie minière. Même des responsables politiques peu enclins
à protéger l’environnement furent scandalisés par cet abus
de pouvoir de la part de l’entreprise qui réclamait une somme
exorbitante pour un pays confronté à la pauvreté. Le Salvador
obtint finalement une décision favorable dans ce litige, mais dut
quand même payer des millions de dollars de frais de justice. Suite
à cela, l’Église catholique – une institution importante au Salvador –
commença à plaider activement en faveur d’une interdiction
des activités minières. Lors des messes du dimanche, dans tout
le pays, les prêtres prêchaient la nécessité de protéger le monde
naturel et collectaient des signatures pour une pétition adressée
au gouvernement.

EPILOGUE – UNE LOI HISTORIQUE

En mars 2017, lorsque le Parlement s’est prononcé sur la loi
d’interdiction des mines métallifères, la mobilisation citoyenne
était telle que les responsables politiques rivalisaient pour montrer
leur soutien. Le vote a été quasiment unanime à quelques
abstentions près. Le Salvador a voté pour une interdiction totale
des exploitations minières afin de protéger sa population, son eau
et ses terres. Alors que le Salvador fête sa victoire, la lutte pour un
monde meilleur et durable n’est pas finie. Mais l’espoir est de notre
côté et nous continuons nos actions en sachant que lorsque des
citoyen.ne.s ordinaires unissent leurs forces, ils peuvent changer
le monde.

Ricardo Navarro, de CESTA / Les Amis de la Terre Salvador.