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Climat-Énergie
13 avril 2016

Mobilisation à Pau : une réponse à la COP21

Du 5 au 7 avril, à Pau, dans le Sud de la France, des centaines d'activistes ont sérieusement perturbé le sommet du MCEDD, hébergé par Total, qui réunissait de grandes entreprises pétrolières et gazières (Shell, Total, BP,...) pour se mettre d'accord sur des stratégies d'exploitation offshore des hydrocarbures.

Mobilisation en réponse à l’Accord de Paris signé en décembre 2015, la résistance qui s’est menée à Pau marque une nouvelle étape du mouvement global pour la justice climatique, qui n’a pas perdu son souffle après la COP21.

Le rebond de la mobilisation

Trois mois après la fin de la COP21, l’équipe d’animation d’Action Non-Violente COP21, dont fait partie les Amis de la Terre, prend un pari fou : organiser, en moins d’un mois, une action non-violente de masse visant le MCEDD, cette rencontre internationale du secteur offshore qui passe généralement inaperçue. Le défi est de taille : il s’agit de réunir des centaines de militant-e-s, pour une action dont certains aspects exigent un haut niveau de confidentialité et qui respecte des critères strictement énoncés de non-violence. Pendant un mois, des militant-e-s labourent le terrain de la mobilisation localement en sensibilisant la population par du tractage, notamment auprès des lycées, des facultés ou lors des différents événements militants, par des conférences publiques ou encore par l’organisation d’une action symbolique au Palais Beaumont, où se tiendra le MCEDD, mais aussi par la préparation de l’action en tant que telle (repérages, achat de matériel, réflexion sur les actions). Au niveau national, les groupes locaux d’ANV-COP21 et les organisations partenaires (Alternatiba, Amis de la Terre, Attac, Bizi !, Chrétiens Unis pour la Terre, Friends of the Earth International, Nation Océan, Surfrider Foundation Europe, Village Emmaus Lescar-Pau, 350.org) organisent la mobilisation et relaient le formulaire d’inscription pour la mobilisation et le camp Sirène, le camp de formation et de préparation organisé en amont du Sommet. Le samedi 2 avril, à l’ouverture du camp Sirène hébergé grâce à Emmaus Lescar-Pau, plus de 500 personnes s’étaient inscrites. Un mois plus tôt, pour les animatrices et animateurs d’un mouvement ne datant que de quelques mois , il était impensable d’espérer une participation aussi importante pour une mobilisation en pleine semaine. Première surprise.

Pendant trois jours le camp Sirène, qui porte bien son nom tant la pluie ne l’épargne pas, permet de finaliser la préparation des actions et de former les militant-e-s. Ici aussi, le défi est de taille. L’organisation d’une action de masse porte en son sein une contradiction : le besoin de confidentialité et l’envie de réunir un plus grand nombre de participant-e-s. Sous les chapiteaux montés sur le village d’Emmaus, on se forme aux enjeux de la justice climatique lors de conférences publiques, à l’action directe non-violente, à la création de groupes affinitaires, à la communication ou à des techniques plus concrètes de franchissement de lignes policières. Les coordinatrices et coordinateurs, qui pour beaucoup se sont rencontrés lors de la COP21 et débutent dans l’organisation d’actions non-violentes, peaufinent la préparation des premières actions.

S’ouvrent alors 3 jours d’action avec un objectif clair : parvenir à bloquer le sommet ou le perturber très fortement. L’objectif est rempli, puisqu’un sommet qui à l’accoutumée se serait tenu en toute tranquillité dans le coquet Palais Beaumont avec vue sur la chaîne des Pyrénées, s’est retrouvé entouré par un cordon de police et de barrières, et perturbé sans relâche et de toutes parts par les militant-e-s déterminé-e-s s’infiltrant à l’intérieur le premier jour, parvenant à monter sur scène et prendre la parole pendant une dizaine de minutes, forçant les barrages de police de façon spectaculaire, malgré les gazages et la répression policière, perturbant les hôtels où résidaient les congressistes, s’enchaînant devant les portes ou aux attachés case des congressistes, saturant les standards téléphoniques du MCEDD, bloquant à l’extérieur les participant-e-s ou les intervenant-e-s et retardant ainsi de plusieurs heures le début des sessions. En parallèle, des rassemblements étaient organisés pour favoriser le soutien du grand public : une conférence publique, un concert non autorisé, une chaîne humaine, un die in. 450 activistes, plus de 1000 participants aux événements publics, une quinzaine d’actions, des centaines de litres de peintures, des paires de menottes, des chaînes, des bottes de paille, des matelas, des pistolets à eau, des cubes gonflables, des vidéos en live, ont marqué un tournant du mouvement climat français dans l’après-COP21 : l’ère des actions de masse placées sous le critère clair de la non-violence et de la détermination.

Non-violence et détermination

Les trois jours de mobilisation à Pau sont l’occasion pour le mouvement climat porté par ANV-COP21, les Amis de la Terre, Alternatiba et leurs alliés de mettre en œuvre des techniques de désobéissance civile à grande échelle mais également d’éprouver une méthode s’appuyant notamment sur trois marqueurs bien identifiés.

Le premier est la volonté très forte de faire changer les points de vue, de ne pas se contenter de dénoncer le pouvoir dominant et ses agents qui s’expriment en la qualité des forces de l’ordre ou des congressistes en costumes et attachés case qui, chaque jour, cherchent à se rendre au sommet. Le mot d’ordre avec la police est très clair : ne pas répondre à la violence par la violence, et ce malgré les nombreux tirs de gaz lacrymogènes ou de gaz au poivre. Même après s’être fait gazés et molestés parfois violemment, c’est avec humour que des manifestants cherchaient encore à ouvrir le dialogue avec les policier-e-s, expliquant le sens de leur présence ici ou plaisantant sur le fait que, policier-e-s sans protection et manifestant-e-s se trouvaient logés à la même enseigne face aux effets des gaz. Certains CRS et policiers se sont même dit surpris par le degré d’organisation de l’action, et dans les échanges, certains ont exprimé, à demi-mot ou plus, des marques de soutien.
Les quelques huées qu’ont pu subir les congressistes, ou autres gestes déplacés, ont été collectivement critiqués lors des débriefings. L’approche retenue par le groupe était celle du maintien du dialogue, et les congressistes ont dû être surpris deux fois. La première, en voyant leur tranquille Palais des congrès littéralement pris d’assaut par des centaines de militant-e-s déterminé-e-s. La deuxième, en se retrouvant face à face avec ces mêmes militant-e-s qui cherchaient à discuter des enjeux climatiques et de la nécessaire sortie des énergies fossiles, sans agressivité. Car, selon la méthode non-violente retenue pour cette action de masse, l’enjeu n’est pas que de renverser le rapport de forces, mais bien également de renverser le rapport de conscience. Pour exemple, en décembre 2013, à Turin, des policiers anti-émeute avaient retiré leurs casques en signe de solidarité

Le second marqueur fort de cette mobilisation fut la puissance et la détermination des actions et de l’esprit des participant-e-s. Pau a permis de prouver que la non-violence telle qu’adoptée par ANV-COP21 ou les Amis de la Terre n’est pas « bisounours », perception parfois attribuée à tort lorsque l’on évoque la non-violence. Les images de Pau sont celles de colonnes de militant-e-s, rembourré-e-s de paille et armé-e-s de matelas, qui percent avec une force spectaculaire les lignes policières démunies, renversant les barrières malgré le gazage intempestif des policier-e-s et les coups de matraque. Ce que montrent ces images, ce sont des centaines de personnes en lutte, qui ont réellement fait le choix d’engager jusqu’à leur corps et leur responsabilité pénale dans une bataille de résistance, déterminées à résister. Or, tel était l’un des enjeux de la construction du mouvement pour la justice climatique : faire prendre conscience de l’urgence à agir, de ces 5 à 10 années qu’il nous reste pour enrayer la trajectoire climatique, et cheviller au corps des gens les envies de justice et de résistance.

Les participant-e-s de Pau qui, pendant les premiers jours du camp sirène pouvaient être un peu déboussolé-e-s par le programme ou le fait que certaines informations étaient tenues confidentielles, sont devenu-e-s – pour celles et ceux qui ne l’étaient pas déjà comme Mathieu qui perce seul en déambulateur les lignes policières – des militant-e-s acharné-e-s. C’est le troisième marqueur : l’effet centrifugeuse. A l’« entretien » d’entrée du camp Sirène pour évaluer le degré d’engagement auquel chacun-e était prêt-e, beaucoup des nouvelles et nouveaux qui avaient exprimé une certaine réticence à se retrouver en première ligne se sont finalement retrouvé-e-s parmi les plus tenaces et les plus déterminé-e-s à bloquer les entrées du palais. Petite anecdote révélatrice : après trois jours de gazage, de pluie, de froid, de long moments d’inaction, de manque de sommeil, alors qu’ils étaient amochés, exténués, couverts de gaz extrêmement urticants, les participant-e-s à l’action ont eu la très désagréable surprise de tomber, une fois rentrés au camp, sur un chauffe-eau cassé. Et c’est peut-être à la bonne humeur qui résonnait quand même dans les douches, malgré l’eau glacée et les conditions laborieuses, que l’on peut réellement éprouver le degré de détermination de militant-e-s. Le deuxième aspect centrifugeuse se trouve au niveau des postes de coordination. Dans l’optique de faire « monter » de plus en plus de responsables capables d’animer le mouvement et de mailler le territoire, un processus de cooptation et de formation par la pratique a permis de faire émerger depuis la COP21 et le tour en tandem Alternatiba celles et ceux qui se sont retrouvés aux manettes de la mobilisation de Pau. La volonté de participation et de formation a permis pendant les six jours de camp et de mobilisation de faire émerger de nouvelles coordinatrices et nouveaux coordinateurs potentiels pour les prochaines mobilisations.

Cette image donnée à la non-violence, la détermination de toujours plus de militant-e-s pour la justice climatique et la multiplication exponentielle des animatrices et animateurs de ce mouvement permettent de constater que, malgré les atermoiements de l’Accord de Paris, les jalons pour la bataille de la justice climatique semblent définitivement ancrés en France

Répondre à un besoin : lancer le signal de fin de COP

Pour beaucoup, ce qui s’est passé à Pau a comblé un vide : achever la séquence de la COP21 par une action de désobéissance civile de masse pour dénoncer le décalage entre les déclarations d’intention faites par les dirigeant-e-s du monde et la réalité tragique du dérèglement climatique. A Paris, une conjonction de facteurs comprenant les conséquences des attentats du 13 novembre et la difficile coordination entre les organisations, n’ont pas permis de mettre sur pied une action de ce type. A l’issue de la COP, deux militants logés au Quartier Génial d’Alternatiba avaient d’ailleurs envoyé une lettre pour tancer vertement les organisatrices et organisateurs du Quartier Génial et faire preuve de leur déception. Or, dès les premières heures de la mobilisation à Pau, le constat était clair : quatre mois après, on était en train de mettre le point final de la mobilisation pendant la COP21. L’action de Pau était désobéissante,politiquement forte, ultra-déterminée : elle permettait de créer un climat d’anormalité pour les politiques et les entreprises responsables du changement climatique. Que se passera-t-il désormais si, à chaque fois que le secteur pétrolier, gazier ou nucléaire cherche à se réunir, des nuées de militant-e-s se mobilisent pour perturber la bonne tenue de leurs réunions et mettre l’accent sur des événements qui jusque là, faisaient partie de l’ordre normal des choses ? Un basculement de la norme, en faveur de la fin des énergies fossiles et fissiles nocives pour le climat et l’humanité.

La mobilisation de Pau apporte ainsi sa contribution au mouvement pour la justice climatique français, et s’inscrit plus largement dans le mouvement social et global. La première semaine d’avril 2016 est marquée par un bouillonnement social au niveau français. La mobilisation contre la loi du travail El Khomri a donné naissance au mouvement « Nuit Debout » et plus d’une centaine de collectifs se réunissent chaque nuit sur les places centrales pour tenir des assemblées générales. Dans de nombreux endroits, des commissions climat sont créées. Dimension similaire de la mobilisation : l’usage généralisé des réseaux sociaux. Des applications vidéo permettant de suivre en direct les assemblées générales ou les étapes de la progression des militants sur le site du Palais Beaumont donnent un nouveau visage aux mobilisations. A Pau, on peut désormais vivre par procuration l’action tandis que l’oeil de la caméra apporte une garantie aux militants face aux violences policières. Les deux mouvements se répondent et s’interpellent sur twitter. Dans les deux cas, on retrouve les ingrédients similaires de l’expérimentation de nouvelles formes de démocratie, tant dans la tenue de débats, la prise de décision que le rapport aux médias et à l’auto-média.

La mobilisation de Pau s’ancre également fermement dans le mouvement global pour la justice climatique, en atteste notamment le soutien de la première fédération écologiste internationale, Friends of the Earth International (les Amis de la Terre International), ou la présence au camp Sirène de Bente Lorentzen, représentante du Peoples Movement for Oilfree aux Iles Lofoten, ou de Ursie du mouvement allemand Ende Gelande contre le charbon. La simple volonté de développer des stratégies permettant d’exploiter encore plus de ressources hydrocarbures, ici à Pau en offshore, est en totale contradiction avec les engagements de l’Accord de Paris à limiter l’augmentation de la température du globe en dessous de la barre fatidique des 1,5 °C, voire 2 °C, puisque la science recommande de laisser plus des 2/3 des ressources fossiles prouvées dans le sol ! Les militant-e-s dénoncent le fait que le dérèglement climatique provoque déjà de nombreuses victimes, principalement au Sud et que, si rien n’est fait, c’est un véritable crime climatique avec préméditation qui s’annonce. A Pau, l’angle est résolument celui de la justice climatique : la désobéissance civile met à nu l’anormalité d’un système où les multinationales du Nord comme Total, Shell, Exxon, ou BP, sont responsables du pillage des ressources et du dérèglement climatique qui impacte en premier lieu les communautés du Sud. Ces dénonciations sont en résonance avec les luttes menées, partout dans le monde, par les communautés contre ces multinationales et leur monde, en Norvège, au Honduras, au Bangladesh, au Nigéria… C’est la richesse de ce mouvement climat, qui s’irrigue de multiples luttes qui se connectent et se renforcent. Prochaine étape en Europe : la mobilisation d’Ende Gelande contre une mine à charbon en Lusitanie, en Allemagne.

Ce type de mobilisations de masse, désobéissantes et strictement non-violentes est à même de permettre une prise de conscience collective de l’anormalité de la situation, car ce sont bien les rapports de force qu’il faut inverser et des victoires qu’il faut gagner. Il est de notre responsabilité de renforcer et de contribuer au mouvement pour la justice climatique. Ce n’est autre que l’avenir de l’humanité qui se joue ici.