Brésil Bolsonaro
20 avril 2022

Quels sont les risques d’un gouvernement d’extrême-droite? Les Amis de la Terre Brésil témoignent

À quelques jours du second tour de l'élection présidentielle, nous dénonçons fermement les dangers qu'impliquerait l'extrême-droite au pouvoir. Leticia Paranhos de Oliveira, des Amis de la Terre Brésil, témoigne de son expérience sous le régime de Jair Bolsonaro.

Quels ont été les premiers impacts concrets de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir au Brésil avec l’élection de Jair Bolsonaro en 2019 ?

Les premiers impacts de l’élection de Bolsonaro ont été l’augmentation des politiques d’austérité et de dérégulation de l’économie.

Bolsonaro mène une politique ouvertement anti-climatique et de persécution des idéologies de gauche. En effet, depuis son arrivée au pouvoir, il a promu d’une part le mépris des mouvements sociaux et des communautés autochtones, et d’autre part une augmentation de l’exploitation minière et l’expansion de l’agrobusiness.

Les politiques publiques de protection sociale ont subi d’énormes coupes : -4 % du budget de la santé, -15 % du budget du ministère du travail, -16 % du budget de l’éducation, -10 % du budget de l’environnement et -45 % de celui de la réforme agraire. À l’inverse, le budget dédié à l’agro-industrie a augmenté de 50 % et celui du ministère des mines et de l’énergie de 406 %.

Cette politique a entraîné un taux de chômage extrêmement élevé : plus de 14 millions de Brésiliens sont sans emploi et le taux d’inflation est de 10 % (également un record).

Puis vint la pandémie du covid, qui causa 600 000 morts dans le pays. Une étude de l’Imperial College de Londres montre que la moitié de ces décès auraient pu être évitée sans la mauvaise gestion (fondée sur le négationnisme) de Bolsonaro. Celui-ci considérait d’abord le virus comme inoffensif, puis il s’est positionné contre le vaccin. En refusant de traiter la pandémie comme un problème collectif de santé publique relevant de la responsabilité de l’État, il a aggravé la pandémie au Brésil, pays qui a enregistré le deuxième plus grand nombre de décès et qui est devenu l’épicentre de la crise.

Comment ont évolué les libertés associatives et la capacité d’action des associations et des mouvements sociaux ? Les luttes et les combats des Amis de la Terre Brésil ont-ils dû évoluer ?

Avant même son élection, Bolsonaro a annoncé qu’il persécuterait les mouvements sociaux tels que le mouvement des sans-terre. Les Amis de la Terre Brésil ont fait l’expérience directe de cette persécution.

Le Secrétariat d’État au patrimoine de l’Union (qui gère les biens publics) est devenu le Secrétariat à la désétatisation, au désinvestissement et aux marchés. Ce secrétariat a commencé à vendre les biens de l’État, en commençant par les sièges des organisations sociales et des syndicats. L’ordre d’expulsion du siège des Amis de la Terre Brésil a été le premier document à émaner de ce secrétariat de Rio Grande do Sul. Le secrétaire d’État de la province est venu en personne pour prendre des photos de nos drapeaux et faire pression pour nous expulser.

Des organisations ont dû fermer et être expulsées de leurs locaux. Elles ne peuvent maintenant exister que de manière informelle. Mais le résultat est qu’au lieu de se battre pour plus de droits, nous avons dû commencer à nous battre pour la préservation de nos droits.

Les liens entre les différentes luttes se sont renforcés : dans un premier temps, nous étions uni·es dans le « non à Bolsonaro » pour qu’il n’arrive pas au pouvoir, puis « dehors Bolsonaro » pour voir si un processus de destitution pouvait être mené à bien. Aujourd’hui, nous sommes dans le « plus jamais Bolsonaro », en pensant déjà aux prochaines élections.

Tous les efforts pour résister à la persécution ont considérablement réduit nos forces pour les autres luttes.

Plus généralement, comment les libertés et droits individuels ont-ils évolué au Brésil depuis l’élection de Bolsonaro ?

L’ensemble du gouvernement de Bolsonaro repose sur des fake news et des discours de haine. Les discours de haine à l’encontre des minorités, envers les LGBTQIA+ comme les peuples autochtones, sont beaucoup plus nombreux qu’auparavant.

Le bolsonarisme est néoconservateur. Il promeut des valeurs morales et religieuses de la famille traditionnelle, l’idée selon laquelle il faut punir pour obtenir quelque chose. Il diffuse des discours extrêmement misogynes et de haine, en défendant l’idée d’une « morale sexuelle ». Au ministère des femmes, il a placé une femme très traditionnelle, qui est opposée à la défense de nombreux droits des femmes comme le droit à l’avortement.

Nous assistons à une augmentation des meurtres, des persécutions, mais aussi de la criminalisation des personnes proches des idéologies de gauche.

Comment la politique de Bolsonaro affecte-t-elle la protection de l’environnement et du climat ?

On observe une très forte expansion de l’agrobusiness et de l’exploitation minière sous le gouvernement de Bolsonaro. En ce qui concerne l’Amazonie, Bolsonaro a déclaré que « le Brésil est comme une femme vierge que tous les pervers étrangers veulent ». Même son ministre de l’environnement a déclaré qu’il fallait profiter de la situation du Covid pour faire passer des lois favorables à l’avancée des entreprises multinationales.

Il y a eu de nombreux licenciements de techniciens dans les institutions publiques de protection de l’environnement en charge de contrôler les violations et infractions à la législation environnementale (déforestation, etc.). Ils ont été remplacés par des officiers militaires qui informent les entreprises des dates de contrôle, ceux-ci étant donc rendus totalement inutiles.

Cette politique favorise les entreprises, au détriment des populations. Par exemple, il existe une nouvelle loi-cadre qui implique que les peuples autochtones ne verront pas leurs terres reconnues comme autochtones.

En termes d’exercice du pouvoir, les institutions qui servent de contrepoids à l’exécutif peuvent-elles continuer à exercer le même rôle d’opposition et de contrôle qu’avant l’élection de Bolsonaro ?

Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, Bolsonaro a effectué de nombreux changements dans les ministères, plaçant les militaires aux commandes. Il s’est accaparé toutes les institutions, nommant à leur tête des militaires ou des personnes d’extrême droite. 

De plus, les contre-pouvoirs ont été affaiblis : Bolsonaro délégitime le pouvoir judiciaire, en particulier la Cour suprême fédérale, et gouverne beaucoup par décrets. Il a totalement sapé la démocratie au Brésil.

Bolsonaro défend la dictature qu’il y a eu au Brésil, y compris sur la question des violences policières. Il aime les systèmes dictatoriaux, point qu’il a en commun avec l’extrême-droite d’autres pays.

Sa campagne électorale s’était appuyée sur des discours anti-corruption, suite aux scandales qui avaient touché des gouvernements progressistes en Amérique latine. Pourtant, dès son accession au pouvoir, lui et des membres de sa famille ont été impliqués dans des affaires de corruption. La droite et l’extrême-droite ont toujours été corrompues, mais seuls les cas concernant la gauche sont rendus publics via des poursuites judiciaires et des persécutions.

Aujourd’hui, Bolsonaro fait pression pour un retour au vote papier (plus sûr contre la fraude), en remplacement du vote électronique. Il a déjà annoncé qu’il n’accepterait pas les résultats des élections sans le retour du vote papier : en disant cela, il anticipe déjà son éventuelle défaite électorale et sa volonté de remettre en cause les résultats. Lorsque l’extrême-droite accède au pouvoir, elle ne veut plus le quitter et elle utilisera tous les moyens possibles pour y rester.

Que dirais-tu aux personnes qui sont tentées par le vote Le Pen ?

Avant Bolsonaro, il y avait un discours fort selon lequel il n’y avait plus de droite et de gauche, que tout était pareil, et cela a poussé les gens à s’éloigner de la politique. Mais c’est faux, il y a une grande différence entre la gauche et la droite, et il y a aussi une grande différence entre la droite et l’extrême-droite.

Au Brésil, nous avons connu un gouvernement progressiste, puis un coup d’État avec un gouvernement de droite, puis, suite à une communication fondée sur des fake news, l’élection d’un gouvernement d’extrême-droite.

Nous savons que ce discours, selon lequel aucun parti n’est utile et que tout se vaut, sert la droite et l’extrême-droite. L’extrême-droite n’est pas seulement une personne ou un parti. Elle travaille sur l’imaginaire collectif avec l’utilisation de fake news et la propagation de discours de haine, ce qui fait qu’une partie de la population se convertit et commence à reproduire elle-même ces discours de haine.

L’extrême-droite sera toujours le pire scénario et fera résonner dans la population le pire du racisme, de l’homophobie, etc. Des choses que les gens avaient honte de penser ou de dire sont maintenant propagées ouvertement, nous ne devons pas laisser cela se produire.

Propos recueillis par Juliette Renaud, des Amis de la Terre France.