
Dans la Somme, la menace d’une usine d’engrais chimiques déguisée en vert
Heineken et InVivo ont jeté leur dévolu sur le petit village de Languevoisin-Quiquery pour bâtir une usine d’engrais dits « verts », non sans poser de sérieux problèmes sociaux et d’accaparement des ressources.
Les Amis de la Terre France soutiennent le collectif local d’opposition au projet, et invitent les habitant·es à se rendre nombreux et nombreuses à la réunion d’information prévue le 15 septembre.
L’usine Fertighy, en bref
Derrière le projet d’usine Fertighy, soutenu par l’État, se cache un consortium composé notamment des multinationales InVivo et Heineken. Présenté comme un projet vertueux et plus respectueux de l’environnement que les usines produisant des engrais chimiques traditionnels (à partir de gaz ou de charbon), Fertighy est en réalité une opération de greenwashing qui vise à alimenter exclusivement les profits des grands groupes agro-industriels. En effet, les engrais prétendument « verts » produits par l’usine Fertighy seront fabriqués à partir de quantités astronomiques d’électricité renouvelables, d’énergie nucléaire et d’eau douce puisée dans les nappes phréatiques de la région, qui souffre déjà régulièrement de stress hydrique.
Une tromperie signée par l’agro-industrie
L’usine Fertighy compte produire des engrais chimiques à partir d’hydrogène soi-disant « vert », lui-même produit à partir d’énergies nucléaire et renouvelables. Avec cet argument, les porteurs du projet prétendent réduire les émissions de gaz à effet de serre associées aux engrais (souvent fabriqués à partir de gaz fossile).
En réalité, il s’agit ici d’une promesse trompeuse qui n’est autre qu’une tentative de greenwashing. On vous explique :
Limiter l’impact carbone des engrais, un échec annoncé
Les deux tiers des émissions de gaz à effet de serre liées aux engrais de synthèse ont lieu au moment de l’épandage1, et non pendant le processus de fabrication. Ainsi, en prétendant solutionner le problème de l’impact carbone des engrais, l’industrie se trompe de cible et ne fait qu’apposer un pansement sur une jambe de bois. Seule une réduction de la consommation d’engrais de synthèse sera efficace pour espérer réduire une part significative des émissions de gaz à effet de serre causées par l’agriculture.
L’hydrogène, mirage de l’agro-industrie
À l’heure actuelle, la production d’hydrogène reste une technologie immature et très coûteuse2. En effet, seule une minorité d’acteurs pourra s’offrir les engrais produits à Fertighy… Nos yeux se tournent évidemment vers Heineken, membre du consortium Fertighy et qui serait, sans nul doute, ravi de pouvoir se targuer de commercialiser des bières produites dans des conditions « vertueuses pour le climat ».
L’or bleu, comme s’il en pleuvait
Pour fabriquer ses engrais, l’usine Fertighy prévoit de puiser, chaque jour, environ 7 000 m3 d’eau douce dans les nappes phréatiques du territoire3, alors que l’Agence de l’eau régionale alerte sur la nécessité de réduire les prélèvements en eau dans la région4. Sur un an, l’usine Fertighy consommerait ainsi l’équivalent de 3,5 fois la contenance de la méga-bassine de Sainte-Soline ! Ces perspectives font craindre aux agriculteur·ices de la région pour leur capacité à irriguer leurs cultures – des capacités déjà mises à rude épreuve par les dérèglements climatiques et les épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents, sans parler du fait que le projet d’implantation implique l’artificialisation de 20 hectares de terres agricoles parmi les plus fertiles de la région.
Une dangereuse dépendance au nucléaire
L’hydrogène permettant de fabriquer ces engrais prétendument « verts » est lui-même produit en grande partie à partir d’énergie nucléaire. Depuis leurs débuts, les Amis de la Terre s’opposent fermement à cette énergie dangereuse, coûteuse et anti-démocratique. Mines d’uranium exploitées dans des conditions déplorables, problématique d’enfouissement des déchets radioactifs, consommation d’eau dans des quantités colossales pour refroidir les réacteurs, risques industriels à l’aune de l’aggravation des dérèglements climatiques… Il faut se libérer au plus vite de notre dépendance au nucléaire et à son monde, pour privilégier une baisse de la consommation (à travers notamment des mesures d’efficacité d’énergétique et de sobriété) et un développement des énergies renouvelables.
Les habitant·es, simples variables d’ajustement
Engrais trop chers et créations d’emplois limitées : les habitant·es ne bénéficieront pas de ce projet. Par contre, ils en auront tous les effets indésirables : transformation de terres agricoles en zone industrielle, trafics routiers supplémentaires, pollutions, risque explosif… Autant de sujets que les porteurs de projet tentent de minimiser.

Energies fossiles dans nos assiettes : la face cachée des engrais
Une opposition qui ne s’est pas faite attendre
Dès les prémices du projet, un collectif d’opposition, composé d’agriculteur·ices, d’habitant·es, de maires des communes environnantes et d’équipes municipales, s’est formé. Baptisé « Campagnes sacrifiées », ce collectif a déjà le soutien de plusieurs élu·es locaux, d’associations agricoles et écologistes locales et nationales, comme les Amis de la Terre. D’une même voix, celles et ceux qui composent le collectif dénoncent un projet nocif, qui alimente la dépendance française aux engrais chimiques et fait passer les profits privés avant la préservation d’un environnement sain et des ressources naturelles locales.
Faisons entendre notre voix le 15 septembre
Une réunion d’information sur le projet est organisée le lundi soir 15 septembre à 19h, à la salle des fêtes de Brouchy. Les maires et agriculteur·ices mobilisé·es contre le projet, Marc Pitti-Ferrandi (avocat), Gilles Billen (directeur de recherche au CNRS) et Manon Castagné (chargée de campagne agriculture aux Amis de la Terre) seront présent·es pour exposer les impacts du projet et les alternatives envisageables.
Faire pousser demain
Les Amis de la Terre défendent une profonde transformation du modèle agricole pour transitionner vers un modèle agro-écologique. Cela passera nécessairement par une baisse de la consommation des engrais de synthèse5. Pour y arriver, il faut soutenir les agriculteur·ices pour que la prise de risque d’un changement de pratiques ne repose pas sur leurs épaules. Cela nécessite aussi de soutenir particulièrement l’agriculture biologique – qui se passe d’engrais chimiques, et de développer les cultures de légumineuses.
S. Menegat, A. Ledo, R. Tirado, “Greenhouse gas emissions from global production and use of nitrogen synthetic fertilisers in agriculture”, in Scientific Reports, 12:14490, 25/8/2022.
IFP Énergies Nouvelles, « Tout savoir sur l’hydrogène », consulté le 10 septembre 2025.
« Plan d’adaptation au changement climatique du bassin Artois-Picardie – 2023-2030 », Agence de l’eau Artois-Picardie.
Les Amis de la Terre défendent un projet de réduction de 30 % de la consommation d’engrais azotés de synthèse entre 2018 et 2030, un horizon qui doit être inscrit dans la SNBC (Stratégie Nationale Bas Carbone).