Climat-Énergie
25 mars 2014

Un barrage contre le Mozambique

EDF projette d’investir dans le projet de grand barrage de Mphanda Nkuwa sur le fleuve Zambèze au Mozambique, alors que celui-ci menace les modes de vie et l’environnement des communautés et que les négociations sont entachées de conflits d’intérêt.

Les Amis de la Terre et leurs partenaires rappellent la nécessité de suivre les principes directeurs de la Commission Mondiale des Barrages et de favoriser les solutions énergétiques locales, maîtrisées par les citoyens et basées sur des énergies renouvelables non dommageables pour l’environnement.

L’entreprise EDF se targue d’une électricité à 95% décarbonnée en France … masquant une réalité faite de centrales à charbon, de prolifération du nucléaire et de projets massifs d’infrastructures hydrauliques, qui ne sont pas une énergie « verte » puisqu’ils comportent des dommages sociaux et environnementaux irréversibles.

Récemment, le premier énergéticien français s’est montré intéressé par le projet de grand barrage de Mphanda Nkuwa, sur le fleuve Zambèze au Mozambique. Un investissement lourd et disproportionné qui ne répond pas aux besoins des communautés locales mais bien à ceux de quelques entreprises. En ce sens, le barrage Mphanda Nkuwa s’ajoute aux deux grands barrages de Kariba (sur la partie zimbabwéenne du fleuve) et de Cahorra Bassa (à 70 km) et renforce un modèle énergétique centré autour d’intérêts économiques.

Un projet qui affecte les communautés locales…

Le réservoir de Mphanda Nkuwa déplacerait environ 1400 foyers, alors que les expériences précédentes de relocalisation au Mozambique se sont toujours soldées par une détérioration des conditions de vie, et que pour l’heure aucun plan formel de prise en compte des impacts sociaux du projet n’a été mis en place.
De mini-inondations quotidiennes liées à la gestion du débit pour couvrir les pics de demande rendront les cultures agricoles impossibles sur les berges du fleuve, menaçant la sécurité alimentaire de la région. La pêche et l’usage de petites embarcations seront rendues impraticables dans les zones proches du barrage. Ainsi, ce seraient environ 200 000 personnes résidant en aval du barrage, soit l’équivalent de la population de Bordeaux, qui verraient leurs modes de vie bouleversés.
Enfin, le barrage aura des incidences majeures sur le fonctionnement écologique du delta du Zambèze, alors même que celui-ci a été déclaré « Zone humine d’intérêt international » par la Convention Ramsar.

… pour bénéficier aux plus riches

Même si le barrage est supposé produire une grande quantité d’énergie, il s’avère que seule une faible part de celle-ci sera destinée à la consommation locale. La majorité viendra en effet alimenter le secteur industriel, et une grande partie sera vendue aux pays frontaliers, et notamment à l’Afrique du Sud. L’injustice est d’autant plus flagrante qu’en parallèle, les activités économiques des communautés se verront menacées. On estime que les modifications de débit du fleuve dues au barrage couteront environ 10 millions de dollars par an à l’industrie de la crevette dans le delta du Zambèze.

Failles techniques et soupçons de corruption

En plus de ces dommages sociétaux, le projet comporte des failles techniques. Selon les experts, les risques sismiques n’ont pas été correctement pris en compte : les estimations faites se sont basées sur une analyse très courte de l’activité de la zone, contredisant les études révélant l’augmentation de l’activité sismique de la région 1. Or, un tel risque pourrait engendrer des coûts énormes de réparation, voir menacer la vie de milliers de personnes.
Les possibles incidences du changement climatique sur le rendement du barrage n’ont également pas été intégrées : or, des changements de précipitation et de température peuvent modifier la disponibilité en eau et l’envasement, tandis que des événements climatiques extrêmes peuvent menacer l’édifice. Enfin, la société civile mozambicaine dénonce de graves failles institutionnelles. Elle déplore ainsi le manque de transparence et de participation citoyenne dans la conduite d’une étude d’impact environnemental, et l’absence d’un droit de regard de la société civile dans les structures de décision concernant l’approbation du barrage. Plus grave encore : les actuels Présidents de l’Afrique du Sud et du Mozambique ont été accusés de conflit d’intérêt dans sa construction 2. Il est étonnant qu’un géant français de l’énergie qui dit œuvrer pour la transition ait à ce point perdu le Nord…au Mozambique.

Un grand nombre d’associations mozambicaines, africaines, européennes, latino-américaines et internationales ont interpellé EDF pour qu’il se retire d’un projet comportant de si hauts risques sociaux et environnementaux 3. Pour les Amis de la Terre, le gouvernement mozambicain, comme EDF dans ses projets d’investissements à l’étranger, doivent s’assurer que les standards de bonnes pratiques sont respectés. Cela suppose le respect des lignes directrices de la Commission Mondiale des Barrages, notamment la consultation des communautés locales et la prise en compte complète des risques dans l’évaluation de la pertinence de tout projet.

Notes
1

http://www.internationalrivers.org/resources/a-risky-climate-for-southern-african-hydro-7673

2

http://mg.co.za/article/2013-10-25-00-zuma-blood-thickens-hydro-scheme/

3

Une lettre a été envoyée le 25 mars 2014 à l’ensemble des administrateurs d’EDF signée par : African Biodiversity Network (ABN), Alternative Development and Information Centre South Africa (AIDC), Amis de la Terre France, Amigos da Terra Brazil, Carbon Trade Watch, CENSAT Agua Viva – Amigos de la Tierra Colombie, Centre for Civil Society Durban, COECOCEIBA Amigos de la Tierra Costa Rica, Community Action for Nature Conservation- Kenya, Cooperatives & Rural Ecology Sustainability Institute, Earthlife Africa Johannesburg, EcoDoc Africa, ERA – Friends of the Earth Nigeria, France libertés- Fondation Danielle Mitterand, Friends of the Earth Africa, Friends of the Earth International, Friends of the Earth Finland, HOMEF – Health of Mother Earth Foundation, International Rivers, JA ! Justiça Ambiental – FOE Mozambique, Jeunes Volontaires pour l’Environnement (JVE) Togo, NOAH – Friends of the Earth Denmark, No REDD in Africa Network (NRAN), Pro Natura – Friends of the Earth Switzerland, 350.org Africa, World Rainforest Movement (WRM)