Multinationales
Communiqué de presse19 mars 2021

Birmanie : Total doit cesser de financer la junte

Plusieurs associations, dont les Amis de la Terre France, exhortent Total à suspendre tout paiement à la junte Birmane, coupable de multiples violations des droits humains, et à placer les millions d’euros en jeu sur un compte bloqué.

Communiqué des Amis de la Terre France, Greenpeace France, Info Birmanie, la Ligue des droits de l’Homme, Notre Affaire à Tous, Sherpa et 350.org.

Paris, le 19 mars 2021 – Depuis le coup d’état en Birmanie du 1er février, Total est redevenu l’un des plus importants contributeurs financiers de la junte militaire, qui a repris les pleins pouvoirs par la force et réprime le mouvement de protestation de la population dans le sang. Plus de 200 morts, des centaines de blessés et plus de 2 000 personnes interpellées. Meurtres, torture, persécutions, exécutions extra-judiciaires, arrestations arbitraires…: le Rapporteur spécial de l’Onu sur la Birmanie évoque de probables crimes contre l’Humanité.

Aujourd’hui, nous – Greenpeace France, Les Amis de la Terre France, la Ligue des droits de l’Homme, Info Birmanie, Notre Affaire à Tous, Sherpa et 350.org – exhortons Total à suspendre tout paiement à la junte en plaçant les millions d’euros en jeu sur un compte bloqué1.

Selon Justice for Myanmar, Total a notamment versé plus de 229 millions de dollars à l’État birman en 2019 en taxes et en parts du gouvernement dans la production de gaz2. Le Monde rapporte qu’en août 2020, sa filiale Moattama Gas Transportation Co, enregistrée aux Bermudes, a reçu le « prix du plus gros contribuable » dans la catégorie « entreprises étrangères » pour l’année fiscale 2018-2019. Cet argent transite principalement par l’entreprise publique Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), dont les liens avec les milieux d’affaires militaires sont pointés du doigt par la société civile3. Mise en cause pour son opacité4, cette entreprise représente la source de revenus la plus importante de l’État birman et se trouve désormais placée sous le contrôle direct de la junte. Le Rapporteur spécial de l’Onu sur la Birmanie demande d’ailleurs que des sanctions internationales soient prises à l’encontre de la MOGE.

Pendant que la junte tue, Total “évalue la situation”, se dit “préoccupée”, mais maintient le statu quo. Pourtant, d’autres entreprises ont réagi à la situation sur place: l’entreprise singapourienne Puma Energy a suspendu ses activités et l’australienne Woodside annonce qu’elle va démobiliser ses opérations offshore.

Interpellée par des citoyens birmans, Total met en avant la fourniture d’électricité qu’elle apporte à une partie de la population, des arguments repris par l’Ambassade de France. Mais la multinationale n’apporte pas de réponse face à l’enjeu central des paiements versés à la junte, et s’en remet aux sanctions décidées par les États5. Cette posture revient à alimenter un régime militaire brutal et illégitime.

Pourtant, des Birmans ont manifesté à Kanbauk le 12 février 2021 pour demander à Total et aux autres compagnies gazières de ne pas financer la junte. Des employés de Total en Birmanie ont également rejoint le mouvement de désobéissance civile. Et MATA (Myanmar Alliance for Transparency and Accountability), qui regroupe 445 organisations de la société civile birmane, appelle les compagnies pétrolières et gazières à cesser immédiatement tout paiement à la junte, seule mesure à même de garantir le respect des Principes directeurs de l’Onu sur les entreprises et les droits humains, ainsi que de la loi française sur le devoir de vigilance de mars 2017. Nous rappelons d’ailleurs que le plan de vigilance de Total est largement insuffisant, tant dans son contenu que sa mise en œuvre, et que l’entreprise fait l’objet de deux actions en justice en France sur le fondement de cette loi6.

Le message de la société civile birmane est clair : “Si vous continuez le “business as usual”, nous vous tiendrons pour responsables de la violence infligée par la junte au peuple birman.” A son tour, le Ministre de la planification, des finances et de l’industrie nommé par le CRPH (Committee Representing Pyidaungsu Hluttaw) – le parlement en résistance – demande à Total de ne plus collaborer avec le régime de la junte.

Le gouvernement français doit quant à lui agir pour que des sanctions soient adoptées contre les dirigeants de la junte et contre les entreprises, notamment la MOGE, dont les revenus financent la répression. Ne pas agir en ce sens revient à renforcer la junte dans sa volonté de se maintenir au pouvoir par la force des armes et au prix d’une répression sanglante.

Notes
1

Total doit utiliser ses participations et son rôle d’opérateur dans des coentreprises pour suspendre les paiements effectués à la MOGE.

2

Voir aussi le document d’enregistrement universel 2019 de Total, publié en mars 2020, p. 422, dans lequel figure le chiffre de 229 597 000 USD, dont 51 millions d’impôts et taxes, et 178 597 millions de droits à la production. L’association Publish What You Pay Australia affirme que Total  a versé, dans le cadre du bloc Yadana (M5/M6),  768 millions USD en 10 paiements aux entités gouvernementales depuis 2015, Military or the people. Who will benefit from Myanmar’s offshore gas projects? mars 2021.

4

The economic interests of the Myanmar military, Rapport de la Mission d’établissement des faits de l’Onu, A/HRC/42/CRP.3, 16 septembre 2019, p. 27.