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FinanceForêt
1 mars 2018

De l’huile de palme à la pompe ? Crédit Agricole et BNP Paribas impliquées

Un rapport publié hier par Tuk Indonesia révèle le rôle joué par BNP Paribas et Crédit Agricole dans la chaîne de financement de la production de l’huile de palme au niveau international.

Car avec 765 millions de dollars accordés à Maybank, une banque malaisienne responsable à elle seule de 11% des financements mondiaux aux 85 plus grandes entreprises d’huile de palme actives en Asie du Sud Est, BNP Paribas et Crédit Agricole soutiennent des entreprises responsables de production illégale d’huile de palme, avec tous les impacts que cela induit en termes de déforestation, perte de biodiversité.

Un rapport publié hier par Tuk Indonesia révélait le rôle joué par BNP Paribas et Crédit Agricole dans la chaîne de financement de la production de l’huile de palme au niveau international 1.

L’huile de palme est connue pour ses impacts délétères sur la santé. Elle est aussi source de nombreux conflits sociaux, en particulier en Indonésie et en Malaisie d’où provient 80% de la production mondiale, et contribue massivement à la perte de biodiversité et au réchauffement de la planète. Si l’Indonésie est un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre au monde, c’est en majeure partie en raison des émissions de gaz à effet de serre induites par la dégradation de ses sols et forêts et par la déforestation, provoquées au premier chef par une production d’huile de palme en croissance rapide.

Si BNP Paribas s’engage à conditionner son financement au respect de toute une batterie de critères, qui engagent davantage les entreprises clientes puisqu’il leur est demandé d’avoir des politiques spécifiques en place, Crédit Agricole est beaucoup moins exigeant vis-à-vis des entreprises. Mais dans les deux cas, il faut noter que toutes deux s’en remettent en grande partie à des systèmes de certification (comme la Table ronde pour une huile de palme durable) qui sont très loin de garantir une véritable réduction des impacts environnementaux et sociaux.

Mais ce n’est pas pour des financements directs à des entreprises productrices d’huile de palme illégale ou controversée que les deux banques françaises sont épinglées par l’ONG. Non, TuK Indonesia met le doigt sur une faille particulière des politiques adoptées par les banques : celles-ci ne couvrent que les entreprises productrices situées en amont. Et si les entreprises situées plus en aval de la chaîne de valeur (producteurs et négociants de produits dérivés de l’huile de palme, fabricants et détaillants d’ingrédients et de produits contenant de l’huile de palme) ne sont pas couvertes par leurs politiques, les intermédiaires financiers situées plus en amont ne le sont pas non plus.

Ainsi, si BNP Paribas et Crédit Agricole pourraient avoir refusé ou ne pas financer certaines entreprises les plus controversées du secteur, ces deux banques contribuent toutefois à leur financement en accordant des prêts et en arrangeant l’émission d’actions et d’obligations pour le compte de Maybank, une banque malaisienne responsable à elle seule de 11% des financements mondiaux aux 85 plus grandes entreprises d’huile de palme actives en Asie du Sud Est entre 2010 et 2016.

Parmi les 5 principaux clients de Maybank figurent des entreprises de nombreuses fois accusées par des ONG mais aussi par les juridictions locales d’être responsables non seulement de déforestation de zones dites à hautes valeurs de conservation et riches en carbone et de production sur des tourbières, mais aussi d’accaparement de terres, de non-respect du droit des populations locales à donner leur consentement libre, préalable et informé ainsi que de travail forcé, y compris d’enfants. En bref, tout ce que les banques françaises, et en particulier BNP Paribas, déclarent ne pas vouloir financer dans leurs politiques.

Or, figurent toutes deux dans le top 10 des financeurs de Maybank Crédit Agricole (6ème place) et BNP Paribas (8ème place), avec respectivement 418 et 347 millions de dollars de prêts, d’actions et d’obligations émis au profit de Maybank entre 2010 et 2016. BNP Paribas détient des obligations de Maybank, pour une valeur totale de 34 millions de dollars, un chiffre assez faible mais qui suffit à faire de la plus grosse banque française le 2ème plus gros détenteur d’obligations de Maybank au niveau international.

Le Parlement européen s’est prononcé en janvier 2018 pour un arrêt de l’usage de l’huile de palme dans la production de “biocarburant” d’ici 2021 2, une bonne nouvelle étant donné que 46% de l’huile de palme importée finit dans le gazole et que les agro-carburants produits en Europe consomment 6% de la production mondiale d’huile de palme. Mais cette décision doit encore être entérinée par les autres autorités européennes, résister au poids des lobbies des industriels du secteur (en France Total et son projet de « bio-raffinerie » à la Mède), et en ce moment même ne pas servir de monnaie d’échange dans le cadre du traité commercial entre l’Union Européenne et l’Indonésie discuté cette semaine 3.

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En plus de jouer sur la consommation, mettre le holà à l’expansion effrénée de l’huile de palme peut aussi passer par le levier financier. En février, le Fonds de pension norvégien, qui vise à éviter la déforestation, a révélé le nom des entreprises auprès desquelles il s’engage ; parmi celles-ci figure Maybank 4. Si les pressions du Fonds n’aboutissent pas, il est fort probable que Maybank rejoigne les 58 entreprises dont le Fonds s’est désinvesti depuis 2012 en raison de leur responsabilité en termes de déforestation.
C’est aujourd’hui ce que demande Tuk Indonesia aux banques françaises : démontrer leur capacité à faire changer Maybank ou désinvestir.

Notes
1

https://www.regnskog.no/en/news/norwayss

2

https://www.reuters.com/article/malaysia-palmoil-eu/european-move-to-ban-palm-oil-from-biofuels-is-crop-apartheid-malaysia-idUSL3N1PD1NJ

4

https://www.regnskog.no/en/news/norwayss