
Droits environnementaux et sociaux : le grand détricotage
Alerte sur nos droits : une offensive de déréglementation massive est en cours. Voici notre décryptage.
Cette offensive concerne des avancées environnementales et sociales acquises de longue lutte par la société civile en France et au niveau européen. Sous couvert de “simplifier” la vie des PME (petites et moyennes entreprises), un certain nombre de réglementations d’intérêt général encadrant l’activité des entreprises les plus nocives sont menacées.
Attaques brutales contre le Pacte Vert au niveau européen, projet de loi de simplification de la vie économique en France : nous vous décrivons cette frénésie de déréglementation poussée par les lobbies, la droite et l’extrême droite.
Contexte
Face à des enjeux immenses et urgents, le droit s’est particulièrement renforcé ces dernières années pour encadrer les activités des entreprises ou des Etats nuisibles au climat et à la biodiversité.
Ces évolutions ont notamment été permises par une mobilisation constante de la société civile, dont les Amis de la Terre France. Nous argumentons sans répit sur la nécessité d’adopter des législations contraignantes et ambitieuses pour en finir avec une logique économique qui met les profits de certains au-dessus de la protection de l’environnement, des populations et des travailleur·ses.
Mais dans une économie capitaliste mondialisée, ces obligations rencontrent la résistance forte de milieux économiques disposant de ressources colossales dans leur effort d’influence. Leur discours, soulignant la nécessité (voire l’urgence) de “simplifier” les réglementations pour accroître la “compétitivité” des entreprises n’est pas nouveau. Mais ces arguments connaissent un regain inédit. Derrière ces prétextes se cache la volonté pour certaines entreprises de s’affranchir de leurs responsabilités sociales et environnementales. Pour ce faire, certains lobbys poussent pour affaiblir brutalement les contraintes normatives, quitte à s’aligner avec les pays moins-disants.
En France, détruire l’environnement, pour “simplifier la vie économique”
Le gouvernement Bayrou s’active pour faire aboutir la loi de simplification de la vie économique, répondant ainsi aux attentes du patronat. Cette initiative est aussi soutenue activement par l’extrême-droite. Eric Ciotti, qui s’inspire ouvertement de la rhétorique qui a porté l’extrême droite anarcho-capitaliste de Javier Milei au pouvoir en Argentine, en appelait ainsi à une “loi tronçonneuse” pour couper “25% des normes” et le RN dit vouloir organiser des “Etats généraux de la simplification”.
Calendrier du projet de loi simplification
Le 8 avril 2025, les député·es ont commencé à débattre du projet de loi de simplification de la vie économique, un texte déposé en avril 2024 par Bruno Le Maire, et adopté au Sénat après modifications en octobre 2024. Ce texte de 64 articles patientait depuis bientôt un an au Sénat. Alors qu’un vote en séance publique est annoncé le 17 juin prochain à l’Assemblée nationale, l’adoption du texte est imminente.
Ce projet de loi contient notamment des mesures visant à faciliter le développement de certains projets industriels et d’infrastructures. Certains comportent pourtant des risques particulièrement significatifs pour l’environnement. Au nom de la simplification, des dispositifs cruciaux du droit de l’environnement, de l’urbanisme et du code minier pourraient être durablement affaiblis.
En voici quelques exemples :
Il faut également noter que ce projet de loi ouvre la voie à d’autres amendements extrêmement dangereux :
- Le RN a récemment proposé de revenir sur la loi Hulot sur la “fin des hydrocarbures en France” en ré-autorisant l’octroi de nouveaux permis d’exploration pétrolière et gazière en France. Cette proposition, si elle a peu de chances d’être votée, est soutenue par Marine Le Pen et l’ensemble des député·es RN et est à mettre en lien avec les déclarations du gouvernement en faveur des hydrocarbures en Guyane.
- Un autre amendement, déposé par le RN, et qui a finalement été rejeté, proposait même de supprimer le Haut conseil pour le climat et l’OFB (la police de l’environnement) a aussi fait l’objet de nombreuses menaces.
- Le rehaussement significatif des seuils au-delà desquels une installation d’élevage intensif nécessite une autorisation au titre des Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) a été proposé.
- L’affaiblissement proposé des instances de concertation et de débat public : CNDP, CESER, a également été au cœur des débats en commission.
Preuve de l’ingérence continue des lobbys, le patronat souhaite profiter de ce contexte pour pousser un démantèlement plus brutal encore des normes environnementales, attaquant frontalement l’Etat de droit environnemental.
Le MEDEF (premier syndicat patronal) a ainsi proposé un projet de loi « d’accélération économique » qui va encore plus loin pour faciliter l’implantation de projets néfastes et propose de supprimer le droit de faire appel en cas de recours, ce droit découlant pourtant du droit fondamental à un procès équitable. Bercy a jugé la moitié des propositions “excellentes”.
Au niveau européen
Depuis les dernières élections européennes et celle de Donald Trump en 2024, l’Europe s’est lancée dans une course effrénée vers le bas. Ce mouvement est soutenu par des lobbies très actifs qui instrumentalisent ce nouveau contexte géopolitique.
“Simplifier” les normes concernant les entreprises serait justifié par la nécessité de rendre l’Europe à nouveau attractive. Alors que les Etats-Unis et la Chine abaissent ou maintiennent des normes sociales et environnementales plus faibles, d’aucuns prétendent que cette déréglementation pourrait permettre de relocaliser certaines industries en Europe.
Cette pensée n’est pas récente. Le “Critical Raw Material Act” et le volet industriel du Pacte vert avaient déjà pour objectif de simplifier l’implantation de projets néfastes, sous couvert d’être essentiels pour la transition écologique et la souveraineté européenne.
Mais aujourd’hui, cette tendance s’accélère. La Commission européenne a publié une “Boussole de l’UE” plaçant en son centre l’impératif d’accroître la “compétitivité” de l’économie européenne. Ce prétexte se décline désormais dans la plupart des politiques européennes.
La multiplication des offensives
Le premier volet de ce mouvement de dérégulation prend la forme d’un projet de directive “Omnibus” : une initiative législative destinée à modifier plusieurs textes existants dans une seule et même proposition. Tout comme en France, cette simplification est synonyme de retour en arrière. Notamment, elle attaque frontalement la Directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises (CS3D). Cette dernière introduit pourtant, au niveau européen, l’obligation pour les multinationales, d’identifier, prévenir et atténuer les impacts négatifs de leurs activités sur les droits humains et l’environnement sur leurs chaînes de valeur.
Désormais, l’Omnibus propose d’affaiblir les plans de transition climatique, réduire le champ d’application du texte, et menace les mécanismes de réparation pour les victimes.

Recommandations sur la directive « Omnibus I » proposée par la Commission européenne
Par ailleurs, les textes de dérégulation de la Commission visent aussi :
- La directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD), imposant des obligations accrues de transparence aux entreprises sur leurs impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
- Le règlement sur la taxonomie verte, définissant des critères clairs pour identifier les activités économiques durables afin de guider les investisseurs et promouvoir une finance durable.
- Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), qui met en place une « taxe carbone » pour les produits importés en Europe, dans certains secteurs industriels (fer, acier, aluminium, ciment, engrais, hydrogène, électricité…)
À cela s’ajoutent d’autres modifications de textes qui menaçaient déjà les droits :
- Le Critical Raw Materials Act qui concerne les matières premières dites “critiques”. Ce texte participe à l’accélération du développement de projets d’extraction minière, ce qui implique des changements dans notre droit national, notamment au niveau du code minier. La France est particulièrement concernée avec plusieurs projets reconnus comme “stratégiques”.
- Le Clean Industrial Deal, qui constitue un piège puisqu’il lie la transition des entreprises à leur compétitivité. Il vise à favoriser massivement le financement public de ces entreprises, au détriment d’autres objectifs.
- La déréglementation des plantes issues des nouvelles techniques génomiques (on parle ici des nouveaux OGMs), exonérant la majorité de ces OGM de toute évaluation des risques. Cette décision menace l’avenir de l’agriculture et pose des risques sanitaires évidents.
Dans le contexte politique actuel, se lancer dans une telle déconstruction normative est incendiaire. La nouvelle composition du Parlement européen promet une remise en question plus large encore de ces textes : il n’y a jamais eu autant d’élu·es d’extrême-droite et le PPE (droite) est devenu central. Or ces partis ne cachent pas leur opposition au Pacte Vert et au devoir de vigilance en particulier, ou leur souhait de les affaiblir durablement.
Dans ce contexte, les textes de régulation, et notamment le premier Omnibus, pourraient servir de test pour former des alliances politiques inédites entre droite et extrême droite, au détriment des protections sociales et environnementales.
L’alliance des lobbies, de l’extrême-droite et de la droite
Cet agenda est poussé par l’influence des lobbies (et notamment l’AFEP, le MEDEF et le BDI – syndicat patronal allemand), avec des alliances transnationales. Toutes les mesures visant un report ou un démantèlement de la directive devoir de vigilance sont alignées, au moins en partie, avec les demandes des lobbies.
La Commission européenne a repris 70% des demandes envoyées par les organisations patronales et 62% des demandes envoyées par la Fédération Française Bancaire. Capturé par les lobbies, ce texte a été rédigé à la suite d’un processus opaque, sans respect des règles de gouvernance et de démocratie européennes. Cette opacité a justifié le dépôt d’une plainte contre la Commission européenne par huit associations, dont les Amis de la Terre Europe, auprès du médiateur européen.
L’extrême droite française est également très mobilisée contre ces textes qualifiés de « woke », s’alignant ainsi sur le modèle trumpiste. Le programme du député européen Jordan Bardella se dit en effet “contre le Pacte Vert”, pour une “pause réglementaire afin d’engager un grand chantier de simplification”. Il veut aussi “soutenir [les] entreprises en abrogeant les directives CSRD et devoir de vigilance”. Pire, l’extrême droite européenne s’unit derrière Jordan Bardella, Président du groupe “Patriots for Europe”, pour torpiller le Pacte Vert. Il a lui-même envoyé un courrier aux eurodéputé·es de droite (PPE) appelant à détruire ensemble le Pacte Vert. La tentation de cette alliance est extrêmement dangereuse étant donné le rôle pivot de ce groupe au Parlement.
La France, championne du détricotage européen
Comme durant les négociations laborieuses de la directive sur le devoir de vigilance, la France joue un rôle de premier plan dans cette offensive. Comme l’ont révélé Mediapart et Contexte en janvier 2025, le gouvernement français a porté des propositions visant à affaiblir une vingtaine de textes européens ! Très récemment, Emmanuel Macron a lui-même affirmé qu’il fallait “écarter” définitivement la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises.
Et maintenant, que faire ?
Cette offensive n’est qu’un début, d’autres lois de dérégulation vont suivre à l’échelon national et européen. Face à ces attaques brutales contre nos droits, nous ne pouvons pas laisser faire !
Nous allons continuer à dénoncer cette dérégulation et à vous informer sur les prochaines étapes. Cela commence dès le 17 juin prochain : les député·es voteront sur le projet de loi de simplification à l’Assemblée nationale.