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Multinationales
6 septembre 2022

Les droits humains avant les profits !

Plus de 100 associations et syndicats lancent une campagne afin de pousser l’Union européenne à inscrire dans son droit l’obligation pour les multinationales de respecter les droits humains et l’environnement.

La campagne « De la justice dans les affaires » vise à mettre fin à l’exploitation des travailleur·ses, aux violations des droits des populations et à la destruction de l’environnement et du climat par les pratiques néfastes des multinationales européennes, ainsi qu’à faciliter l’accès à la justice pour les personnes affectées. Mais rien n’est gagné car les lobbies sont déjà à l’œuvre pour saper l’ambition de cette initiative. Face à cette occasion historique, l’UE doit prendre ses responsabilités !

Signez la pétition pour nous aider à exiger une législation européenne ambitieuse sur le devoir de vigilance ! 👇

Une proposition insuffisante

Que ce soit à la commission ou au Parlement, le devoir de vigilance des multinationales est bien à l’agenda des institutions européennes depuis deux ans, suite à la campagne européenne que les Amis de la Terre avaient contribué à coordonner en 2019. En février 2022, après de multiples reports, la Commission européenne a enfin dévoilé sa proposition de directive, enclenchant ainsi le début du processus décisionnel vers l’adoption du texte.

Mais cette première proposition est loin d’être assez ambitieuse et contraignante. Les lobbies ont déjà laissé leurs marques pour réduire au maximum sa portée. Ainsi la version actuelle ne permettra pas de prévenir les dommages au-delà du premier rang de la chaîne d’approvisionnement alors que les violations des droits humains se produisent souvent au début des chaînes d’approvisionnement, à plusieurs étapes et chez les sous-traitants des entreprises européennes. Les possibilités qui seront données aux personnes affectées d’avoir accès à la justice et aux réparations devant les tribunaux des pays membres de l’UE sont également bien trop restreintes, tandis que les entreprises, elles, bénéficieront de clauses pour continuer d’échapper à leurs responsabilités. La copie doit être revue afin que ce texte atteigne ses objectifs.

C’est d’ailleurs la volonté d’une large majorité des citoyen·nes : Un sondage réalisé dans neuf pays de l’UE l’année dernière a indiqué que plus de 80% des citoyen·nes européen·nes souhaitent des législations ambitieuses pour tenir les entreprises responsables des violations des droits humains et de l’environnement à l’étranger. L’année dernière, plus d’un demi million de citoyens ont également exprimé leur soutien aux demandes des associations concernant le contenu de la future législation.

Les enseignements de la loi française

En 2017, la France a adoptée une loi pionnière, introduisant un devoir de vigilance pour les entreprises, c’est-à-dire une obligation pour les plus grandes d’entre elles de s’assurer que toutes leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs, dans le monde entier, ne violent ni les droits humains, ni ne portent atteinte à l’environnement. Elle instaure ainsi une responsabilité juridique des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre tout au long de leurs chaînes de valeur mondiales.

Cette loi, fruit d’un long combat de la société civile, est un premier pas inédit pour lutter contre l’impunité des multinationales qui, partout dans le monde, violent les droits des travailleurs·ses et des populations locales, et détruisent l’environnement.

C’est sur cette loi que se fonde déjà notre action en justice contre le pétrolier français Total pour les impacts humains et environnementaux de ses activités en Ouganda et en Tanzanie (mégaprojet d’extraction pétrolière dans l’aire naturelle protégée des Murchison Falls en Ouganda, et la construction d’un oléoduc de 1445 km de long traversant l’Ouganda et la Tanzanie). Mais cette action en justice reste un vrai parcours du combattant, révélant certaines faiblesses de la loi que nous avions identifiées dès son adoption, comme le fait que la charge de la preuve continue de peser sur les victimes et non les entreprises.

Une norme internationale nécessaire pour les victimes

Notre objectif n’a jamais été de s’arrêter à une loi française, mais bien que cette première législation nationale impulse un mouvement à l’échelle européenne, et internationale, avec l’adoption d’un traité à l’ONU. En effet, le propre des multinationales est d’avoir des activités dans plusieurs pays et de jouer des différences de législations pour échapper à leurs responsabilités. Les violations de droits humains ou les atteintes à l’environnement ne se limitant pas aux entreprises présentes sur le marché français, la législation doit être étendue au niveau européen pour protéger toutes les victimes.

Publication
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Note de plaidoyer

Pourquoi une législation européenne et un traité onusien sur la responsabilité des multinationales doivent être complémentaires

Depuis de nombreuses années, aux côtés d’autres associations et syndicats en France, en Europe et dans le monde, nous dénonçons les violations de droits humains et graves atteintes à l’environnement perpétrées par les multinationales, en toute impunité. De nombreuses entreprises détruisent l’environnement, violent les droits des travailleur·ses et des syndicats, expulsent les peuples autochtones de leurs terres ou tirent profit de l’esclavage moderne. Le naufrage de l’Erika en Bretagne, l’effondrement des usines textile du Rana Plaza au Bangladesh, la rupture de barrages miniers à Brumadinho au Brésil, la pollution causée par Chevron en Équateur, les cas sont légions et démontrent que les cadres juridiques nationaux et internationaux existants ne permettent pas de sanctionner les entreprises responsables et de garantir l’accès des victimes à la justice, quel que soit l’endroit où sont commises ces violations. L’impunité dont jouissent les multinationales au mépris de l’environnement, des populations locales et des travailleur·ses doit cesser !

Cette loi devra être contraignante et ambitieuse

Les normes non contraignantes ne permettent pas d’empêcher efficacement les violations des droits humains et des libertés fondamentales, de préserver la santé et la sécurité des personnes, ni de remédier aux dommages environnementaux causés par les entreprises tout au long de leurs chaînes de valeur mondiales.

Il est donc primordial que les sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre européennes puissent être reconnues légalement responsables des dommages humains et environnementaux que peuvent provoquer leurs activités ainsi que celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs à l’étranger, et aient à en répondre devant un·e juge le cas échéant, afin que les personnes affectées puissent obtenir justice et réparation. A ce titre, la proposition dévoilée par la commission reste trop insuffisante et doit être renforcée.

Pour que cette loi remplisse ses objectifs, elle devra :

  • Garantir la protection de tous les droits humains et de l’environnement tout au long des chaînes de valeur mondiales,
  • Inclure des sanctions : les entreprises doivent être fortement sanctionnées si elles ne respectent pas les règles, 
  • La responsabilité juridique des entreprises doit pouvoir être engagée, au civil et au pénal, pour les violations et dommages qu’elles causent tant sur le territoire national qu’à l’étranger, et pour leurs manquements à leur obligation de prévenir ces violations,
  • Garantir un accès à l’information et aux preuves, et faire peser la charge de la preuve sur les entreprises, et non sur les personnes affectées et les associations et syndicats qui les soutiennent,
  • S’assurer que les entreprises consultent toujours les populations et individus (potentiellement) affectés — et que leur droit au consentement libre préalable et informé soit garanti,
  • Faciliter l’accès aux tribunaux européens pour les personnes affectées, les syndicats, et les associations.
  • Assurer les droits des syndicats à négocier des conventions collectives et inclure des représentants des travailleur·ses dans toutes les étapes du processus de vigilance.

Ces objectifs doivent guider les législateurs européens. Avec nos partenaires français, nous avons publié des recommandations qui vont dans ce sens et que devra contenir la législation européenne pour être véritablement efficace.

Publication
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Note de plaidoyer

Recommandations des organisations françaises pour un devoir de vigilance européen ambitieux

Le risque d’une coquille vide

Si le sujet est bien inscrit à l’agenda européen, l’enjeu maintenant est le débat sur le contenu de cette future loi, qui, si nous ne faisons rien face à ceux qui s’y attaquent, pourrait rester une coquille vide.

Les institutions européennes doivent résister aux lobbies. L’Afep (association française des entreprises privées) a annoncé dès le départ qu’elle était réticente à la mise en cause de la responsabilité juridique des entreprises. Comme elle l’avait fait à l’époque contre l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance en France, elle déploiera tous les moyens possibles et imaginables pour retarder l’adoption de cette législation et en limiter la portée.

En 2021, une enquête réalisée avec nos partenaires européens a révélé les multiples manœuvres déjà déployées par les lobbies pour tuer cette législation dans l’œuf. Une nouvelle enquête en 2022 a montré comment ils ont réussi à retarder la publication de la proposition de texte par la Commission européenne et en affaiblir le contenu.

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Couv-tirées-d-affaire
Rapport

Tirées d’affaire ? Le lobbying des multinationales contre une législation européenne sur le devoir de vigilance

Des eurodéputés allemands conservateurs ont aussi appelé le Commissaire européen Reynders à réduire l’ambition de cette loi, en la limitant à un simple registre qui ne concernerait que certains secteurs industriels, et que pour certaines violations comme les “pires formes de travail des enfants”.

Enfin, le gouvernement français, loin de pousser vers le haut les discussions européennes, semble s’inquiéter d’une potentielle définition “trop large” du devoir de vigilance.

Ne laissons pas les multinationales faire la loi !

L’UE doit prendre ses responsabilités en régulant réellement leurs activités, et en garantissant un accès effectif à la justice et aux réparations pour les personnes affectées !

Aidez-nous à exiger une législation européenne ambitieuse sur le devoir de vigilance ! 👇