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Agriculture
29 septembre 2021

Fini les engrais pour les usages non-agricoles !

Rencontre avec Joël Labbé, sénateur du Morbihan, qui a introduit dans la Loi Climat l’interdiction d’utiliser des engrais de synthèse pour les usages non-agricoles à partir de 2024.

Joel Labbé - agriculture - interview engrais
Joël Labbé a répondu à quelques-unes de nos questions sur les avancées en matière de régulation du secteur des engrais chimiques.

 Pourquoi êtes-vous particulièrement mobilisé sur la question des engrais ?

Mon engagement politique est en grande partie lié au combat contre l’industrialisation de l’agriculture et pour une transition vers une agroécologie paysanne, rémunératrice pour les producteurs·rices, et qui permettent à toutes et tous d’accéder à une alimentation saine.

Je travaille donc beaucoup sur les impacts négatifs du système agricole conventionnel, et donc, naturellement, sur les pesticides et les engrais.

Sur la question des pesticides, même s’il reste beaucoup à faire, la mobilisation politique et citoyenne commence à apporter des résultats : par exemple nous avons réussi à faire interdire les néonicotinoïdes (ces fameux pesticides tueurs d’abeilles) et cela malgré un grave recul sur le secteur de la betterave qui a bénéficié d’une autorisation exceptionnelle pour continuer à utiliser ces pesticides. C’est un combat sur lequel il ne faut jamais baisser la garde, mais où l’on sent une réelle pression citoyenne.

Les engrais sont une problématique moins connue du grand public mais tout aussi importante !

Les engrais azotés sont des « bombes climatiques »

Ils émettent du protoxyde d’azote, 300 fois plus impactant pour le climat que le CO2. Ils sont aussi à l’origine de pics de pollution de l’air au printemps, liés aux émissions d’ammoniac. Ils sont néfastes pour la vie du sol et affaiblissent, notamment, sa capacité à stocker du carbone.

La convention citoyenne pour le climat a bien identifié le sujet en faisant de la taxation des engrais azoté une de ses propositions – à ce jour non retenue par le gouvernement. Pourtant les alternatives existent, notamment l’agriculture biologique, qui se passe complètement d’engrais chimiques.

Il est donc essentiel que des associations comme les Amis de la Terre se mobilisent sur ces sujets. Je saisi d’ailleurs cette occasion pour vous remercier pour le travail important que vous fournissez !

Pourquoi c’est intéressant de mettre un terme aux usages non-agricoles d’engrais de synthèse  ?

Sur les pesticides, j’ai fait adopter, en 2014,  la « loi Labbé » qui interdit leur usage pour les espaces verts des collectivités à partir de 2017 et pour les particuliers à partir de 2019. J’avais choisi de travailler spécifiquement sur les usages non-agricoles parce que, même s’ils représentent de petits volumes, ils permettent de mettre un pied dans la porte en évacuant les blocages politiques qui existent sur l’agriculture. En plus d’avoir un intérêt réel pour l’environnement, cette mesure a permis de sensibiliser le grand public sur la question des pesticides et donc de faire avancer le combat plus global contre ces molécules.

Avec les engrais, j’ai voulu adopter la même stratégie : les alternatives sont déjà là pour les collectivités, les paysagistes, comme les particuliers pour se passer de ces produits polluants ! Cette mesure permet une diminution d’utilisation sur des volumes qui restent limités, mais pour lesquels il y a potentiellement des mésusages très impactant (erreur de dosage par des particuliers par exemple) et qui permet de créer une culture commune sur la question des pollutions liées aux engrais et des alternatives.

Qu’entend-t-on exactement par « usages non-agricoles » ? Quels sont les secteurs impactés ?

Il s’agit de l’ensemble des espaces verts, publics ou privés, comme les parcs publics, les espaces verts sur les voiries, mais aussi les parcs d’entreprises, les campings, les espaces verts du secteur de l’hôtellerie, des centres commerciaux… Il s’agit aussi de l’ensemble des jardins des particuliers. Les secteurs concernés sont donc les fabricants d’engrais, les collectivités et leurs services techniques, les paysagistes, et les jardineries.

Quels impacts cela pourrait-il avoir concrètement pour le climat et l’environnement ?

Il y aura déjà une diminution des volumes, même si elle reste très faible par rapport aux usages agricoles. Mais il y a aussi des conséquences en chaîne.

Un début de changement de système

On remarque qu’on a souvent un changement systémique lorsque l’on se passe d’intrant : on revient vers une gestion du jardin ou des espaces verts plus naturel, avec des espaces plus rustiques, plus adaptées à leur environnement, moins gourmande en eau, avec plus de place pour la végétation spontanée et donc pour une biodiversité locale.

Se passer d’engrais chimique, cela veut dire travailler sur la vie du sol, sur sa biodiversité. Cela peut vouloir dire travailler avec du compost, et donc pour des particuliers, repenser son rapport aux déchets organiques…C’est tout un retour au naturel, avec des conséquences qui, mises bout à bout, peuvent avoir un impact non négligeable pour l’environnement.

C’est la poursuite de la révolution culturelle amorcée avec la loi Labbé : le passage à un jardinage et un entretien des espaces verts sans intrants chimiques, c’est le retour de la nature en ville avec tous ses aspects positifs, paysagés, pour la biodiversité, la lutte contre les ilots de chaleurs urbains, etc. C’est une petite révolution culturelle sur le rapport à la nature : par exemple les cimetières avaient été écartés initialement de la loi Labbé, car on n’acceptait pas la végétation spontanée dans ces espaces. Aujourd’hui les cimetières sont de plus en plus végétaux et c’est de plus en plus apprécié par la population.

Avez-vous rencontré des résistances en portant cette mesure ?

Beaucoup de producteurs d’engrais pour les particuliers ou de collectivités travaillaient déjà sur des alternatives plus écologiques, de même que les paysagistes.

Nous avons donc eu certaines résistances mais, globalement, la loi Labbé avait préparé le terrain. La mesure a été vue comme contraignante par certains acteurs, mais cohérente avec l’interdiction de l’usage non-agricole des pesticides et l’aspiration de plus en plus forte des citoyen·nes pour le jardinage et des espaces verts naturels. Des jardineries comme Botanic avaient déjà bannit depuis des années ces produits de leurs rayons, et des collectivités avaient profité de la loi Labbé pour arrêter, en même temps que les pesticides, les engrais chimiques.

La loi va venir accélérer une tendance à l’œuvre, ce qui est bon signe et permettra je l’espère d’accélérer aussi la nécessaire transition pour l’utilisation des engrais agricoles.

Un point particulier a concerné le milieu du sport, pour lequel on constate encore des impasses techniques : des personnes très engagées nous ont confirmé avoir tenter de se passer d’engrais de synthèse pour l’entretien des terrains de foot ou de golf, mais avoir dû faire marche arrière car elles n’avaient pas encore les solutions. Nous avons donc proposé une dérogation mais avec un engagement contraignant de leur part à travailler sur des alternatives.

Quelles sont les prochaines étapes dans la lutte contre les engrais ?

Le projet de loi de finance, qui arrive au Sénat en novembre sera une prochaine étape. Comme l’année dernière et l’année précédente, nous porteront l’inscription dans la loi de finance de la taxation des engrais azoté, sur le modèle de ce qui était proposé par la Convention Citoyenne pour le climat.

Nous porterons également dans ce projet de loi le financement de mesures d’accompagnement pour le développement d’alternatives. Car pour nous la transition agricole se doit d’être accompagnée. Dans un contexte ou de nombreux agriculteurs et agricultrices sont en difficulté pour gagner leur vie, la transition vers un modèle vertueux et in fine, plus rémunérateur, peut temporairement représenter un surcoût, que les politiques publiques doivent permettre d’absorber.

Par exemple, nous souhaitons renforcer les soutiens au développement de filières de légumineuses diversifiées : ces cultures fixent l’azote dans le sol et permettent donc de se passer d’engrais.

Nous souhaitons aussi donner des moyens à l’Institut Technique d’Agriculture Biologique, sous-financé, alors qu’il est plus à même de proposer des innovations efficaces pour accélérer la transition. En effet, nous ne souhaitons pas que les alternatives proposées aux agriculteurs portent sur la robotique ou l’agriculture de précision, qui ne permettent pas une véritable sortie de ces engrais, et contribuent à l’endettement et à la perte d’autonomie des paysan·nes.

Autre combat, le cadmium, véritable poison présent dans certains engrais phosphaté, puis dans les sols et qui se retrouve parfois dans notre alimentation !