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Groupe localLes Amis de la Terre Midi-Pyrénées5 avril 2014

La plus grande catastrophe technologique de tous les temps se déroule à Fukushima

Analyse de la situation à Fukushima.

Une communication officielle étouffant une vérité lourde

Devant la crise atomique qui sévit au Japon, le lobby atomique mondial s’est contenté de jeter une chape de plomb sur la vérité et une chape de mépris sur la catastrophe de Fukushima qui peut donc se dérouler en silence. Quelques pics de communication surviennent quand l’impact sur l’environnement ou la dimension des problèmes deviennent impossibles à cacher à des observateurs indépendants. Trois mensonges sont répétés en boucle depuis le 11 mars au niveau mondial : – Pas de mort du nucléaire à Fukushima – Aucun effet sanitaire en dessous de 100 mSv/an – Fukushima représente 10 % de rejets de Tchernobyl.
La réalité technique de la situation des réacteurs est impossible à établir aujourd’hui suite au niveau énorme de radiations qui détruit instantanément tous les robots et les caméras. Lors de la lutte contre le feu atomique à Tchernobyl, les russes démontrèrent que seul le cerveau humain résiste à des radiations gigantesques mais quelques minutes seulement.

Une catastrophe toujours non maîtrisée en 31 mois de travaux intenses

En 1986, les russes sacrifièrent des travailleurs de tout le territoire de l’ex-URSS pour réussir à éteindre le feu atomique depuis les airs et directement au sol en une dizaine de jours. Ils réussirent également à construire un bunker sous le réacteur pour préserver la nappe phréatique du cœur fondu. Rien de cela n’a pu être réalisé à Fukushima où de l’eau se contamine en permanence lors de son passage au contact du combustibles des réacteurs 1, 2 et 3 en grande partie à l’état de lave. Une partie de cette eau est probablement « recyclée » en traversant des résines échangeuses d’ions : ces résines se contaminent à leurs tours en radioéléments et viennent grossir les stocks de déchets hautement toxiques. Quand les eaux de recirculation deviennent trop radioactives elles finissent – pour partie (450 000 m3) – stockées dans un millier de réservoirs, conteneurs inadaptés mais qui ont le mérite d’exister, pour partie dans la nappe phréatique et pour partie enfin dans l’océan.

Une menace permanente de séisme

Comme toujours, la difficulté consiste en la prévision de ce qui va advenir pour déterminer l’urgence des actions à conduire . Tepco a, parmi ses travaux d’Hercule, lancé une course contre la montre pour bâtir un dôme sur le réacteur 4 afin d’assurer une protection biologique pour vider la piscine de combustible. Deux experts critiques sur le nucléaire, Yves Lenoir et Kriss Busby ont deux visions diamétralement opposées de ce qu’il adviendrait en cas de séisme et de dénoyage des combustibles : pour le premier, la catastrophe serait terrible mais circonscrite au site et, pour le second, la vie serait menacée sur tout l’hémisphère nord : il ne reste plus qu’à espérer que Tepco réussira son exploit de vider le combustible avant la survenue du prochain séisme majeur. Si ce séisme devait arriver, il pourrait également éventrer les réservoirs de stockage et répandre encore et encore de l’eau hautement contaminée. D’ores et déjà, le 4 septembre dernier, un violent séisme (niveau 6,5 sur l’échelle Richter), une tornade et des pluies diluviennes ont frappé le nord du Japon mais RAS… Pourtant, 2 jours plus tard, Tepco annonçait qu’une grue s’était affaissée sur le réacteur n°3 de Fukushima.

Des expositions à la carte et à la dose

A Fukushima, comme à Tchernobyl un quart de siècle avant, des milliers de travailleurs se relaient 24 h / 24 sur le site pour tenter de limiter les conséquences de la catastrophe. Paul Jobin, sociologue spécialiste du Japon, notait qu’en 7 mois, 18 000 intervenants avaient travaillé sur le site avec 8 niveaux de « qualification » différents et il précisait que les personnels des trois derniers niveaux n’étaient très probablement pas comptabilisés dans ces données. Voici un classement hiérarchique de ces sacrifiés – niveau 1 pour les salariés de Tepco, l’opérateur de la centrale – 2 pour les fabricants de réacteurs à bonne couverture sociale qui constitue le haut du panier – 3 et 4 les ouvriers qualifiés de PME du nucléaire (plombiers, chauffagistes, électriciens, etc.) – et, toujours selon le sociologue, les niveaux 5 à 8 « constituent un monde très opaque, avec des modes de recrutement assez sauvages, via les agences d’intérim ou la pègre ». Pour lui, cette moitié des intervenants ne fait l’objet d’aucun suivi radiologique et de santé.

Des souffrances et des morts en devenir

Pour les seuls travailleurs qui ont reçu un suivi sanitaire, 1 973 d’entre eux ont reçu une dose à la thyroïde supérieure à 100 mSv/an et seront affectés par des problèmes de santé (Le Monde du 19/07/2013). Selon le quotidien japonais Asahi Shimbum, la société de construction Build-Up aurait demandé à une dizaine de ses ouvriers de recouvrir de plomb leurs dosimètres. Pour les travailleurs qui ne disposent d’aucun suivi, il s’agit d’étrangers, en particulier de philippins et de « burakumin », descendants d’une caste de parias ou plus généralement de travailleurs issus de familles pauvres. Pour les travailleurs décédés comme le directeur, qui est resté en permanence sur le site pour coordonner les actions à mener, Tepco affirme que la mort n’est jamais liée au travail sur la centrale dévastée ni aux radiations. Le nucléaire semble être le seul secteur industriel dans lequel un employeur peut s’auto-déclarer hors de cause sur des atteintes physiques dont sont victimes ses salariés…

Des inégalités sociales exacerbées par la crise atomique

Alors que quelques japonais aisés sont partis se reconstruire un nid douillet en Inde avec golf et piscines loin des radiations de Fukushima, la grosse majorité de la population est condamnée à vivre dans des territoires hautement contaminés. Femmes, enfants et hommes ont leurs cellules qui se désintègrent en silence avec pour principal effet visible de grandes fatigues chroniques.


Des médecins qui font retourner Hippocrate dans sa tombe

Conformément à son engagement auprès de l’AIE, l’Organisation Mondiale de la Santé qui fait toujours passer l’intérêt de l’atome avant la préservation de la santé humaine, annonçait, 3 jours après la catastrophe, que les risques pour la santé publique causés par les fuites radioactives survenues dans les centrales nucléaires au Japon étaient minimes. Lors d’un congrès de l’IRSN, en novembre 2012, plusieurs scientifiques se sont succédés à la tribune pour affirmer qu’en dessous de 100 mSv/an il n’y avait aucun problème sanitaire. Pourtant, la réglementation européenne fixe cette limite à 1 mSv par an tout en reconnaissant que, même à ce niveau, il peut y avoir un impact sanitaire.
Un impact au Japon mais aussi au niveau mondial D’énormes quantités de radionucléides de toutes sortes ont été rejetées dans les premiers jours de la catastrophe. Parallèlement, l’Océan Pacifique a reçu des quantités gigantesques de radioactivité. Les chiffres de rejets depuis la centrale dévastée sont toujours inconnus et des données les plus fantaisistes ne cessent de circuler. Des éléments sur des contaminations énormes concernant la faune sortent épisodiquement dans les médias : le 21 août dernier c’était une truite qui était annoncée à 150 000 becquerels par kilogramme et une rascasse à 254 000 Bq/kg – alors que la norme japonaise est de 100bq/kg Dans la communication, il est essentiellement question d’iodes et de césiums et parfois de tritium alors que plus d’un millier de radioéléments contaminent la planète. Il a été affirmé que la contamination était locale et que l’océan était suffisamment grand pour diluer la radioactivité. Pourtant des phénomènes de concentration existent et les courants ont transporté la radioactivité sur les côtes américaines en quelques semaines seulement. Toujours en pointe sur le mensonge un responsable français annonçait que les 300 m3 rejetés en mer quotidiennement n’étaient rien de plus qu’une lance d’incendie de pompier. Quand on sait que cela correspond à la quantité rejetée quotidiennement par l’usine de retraitement de La Hague (486 t/jour de déchets radioactif en moyenne en 1994) dans la Manche on comprend mieux la manipulation.

Des coûts exorbitants

En plus des coûts humains inestimables déjà abordés, il faut souligner les coûts financiers de la catastrophe. Tepco a été sauvé de la faillite par l’Etat japonais et continue de recevoir des aides financières par dizaines de milliards.
Il est affirmé que le Japon se ruinerait pour importer massivement des matières fossiles pour compenser la mise à l’arrêt de tous ses réacteurs atomiques. Ceci est faux puisque, avant la catastrophe, 92 % de l’énergie finale consommée au Japon était d’origine fossile et renouvelable. La dure vérité est incontournable : c’est bien la crise atomique qui enfonce
inexorablement le Japon comme le fit Tchernobyl pour l’Ex-URSS. Le nouveau premier ministre japonais et l’AIEA tentent une impossible communication pour redémarrer les réacteurs mais les faits sont incontournables et la vérité fuit autant que le site dévasté.

Pour demain, une seule solution s’impose : la mise en place d’une solidarité financière et technique mondiale – non pas pour une impossible gestion de la catastrophe – mais pour une limitation maximale de ses dégâts avec une accélération de la réalisation des travaux. En parallèle, il y a nécessité de mise à l’arrêt d’urgence du nucléaire civil et militaire au niveau mondial.