zefaq
Climat-Énergie
Communiqué de presse13 novembre 2021

Décryptage : de la COP du greenwashing à la COP de l’inaction

À l’issue d’une conférence marquée par la mise à l’écart des communautés les plus impactées et l’omniprésence des lobbies, la COP26 accouche une fois de plus d’engagements sans ambition qui repoussent l’action aux calendes grecques.

Appelée “COP de l’exclusion”, “COP du greenwashing” ou “COP des lobbies”, ce rendez-vous international aura dans tous les cas été une nouvelle COP de l’inaction. Avancée notable : la sortie des énergies fossiles finit par s’imposer dans l’agenda politique, mais les mesures prises en la matière restent au stade embryonnaire. Dans ce décryptage, les Amis de la Terre France reviennent sur cette nouvelle échéance manquée pour le gouvernement français, et notamment pour établir une stratégie crédible pour mettre fin à l’expansion pétrolière et gazière.

Fin de l’expansion des pétrole et gaz : la France toujours pas à la hauteur de son ambition affichée

La fin de l’expansion pétrolière et gazière s’est imposée comme une priorité pour maintenir le réchauffement climatique en dessous des + 1,5 °C – notamment après la publication en mai dernier du rapport de l’Agence internationale de l’énergie reconnaissant cet impératif climatique et politique. Loin du compte, une étude publiée le 4 novembre dernier et soutenue par les Amis de la Terre France révèle que 95 % des entreprises productrices de pétrole et gaz prévoient de développer de nouvelles réserves d’hydrocarbures dans les prochaines années 1. Le monde prévoit ainsi d’ici 2030 de produire deux fois plus d’énergies fossiles que ce qui est compatible avec l’objectif de + 1,5 °C d’après les Nations unies 2.

Il aura fallu attendre cette 26ème rencontre des membres de la Convention des Nations unies sur le changement climatique pour que la question même de la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles fasse enfin son apparition dans une déclaration finale. Le texte appelle en effet les États à “accélérer les efforts en vue de la réduction de la production d’électricité à partir du charbon et des subventions inefficaces accordées aux énergies fossiles”. S’il s’agit là d’une évolution positive, cette mention dont la portée a été soigneusement détricotée jusque dans les dernières minutes des négociations 3 ne programme nullement la trajectoire à suivre et le calendrier à tenir pour empêcher la prolifération et garantir la sortie définitive du charbon, du pétrole et du gaz.

De son côté, la France semble reconnaître l’urgence de la fin de l’expansion pétrolière et gazière, mais renonce encore à poser des actes à la hauteur de sa communication.

  • Elle a d’abord annoncé rejoindre la Beyond Oil and Gas Alliance vouée à mettre fin à l’octroi de licences pour l’exploitation et la production d’hydrocarbures et la première initiative diplomatique visant à maintenir les pétrole et gaz dans le sol 4. Mais cet engagement n’est pour Emmanuel Macron rien d’autre que du recyclage : la mesure est mise en œuvre en France depuis 2017. Un premier crash test s’impose néanmoins déjà au gouvernement, qui est sur le point d’autoriser à très court terme l’exploitation de gaz non-conventionnel en Lorraine 5. Mise face à cette contradiction, la ministre Barbara Pompili a préféré se cacher une nouvelle fois derrière les failles actuelles de la loi et a refusé de prendre position contre ce projet d’extraction 6.
  • Alors que le 4 novembre, 25 pays et institutions se sont engagés à cesser de soutenir les énergies fossiles fin 2022, la France s’est fait remarquer par son absence pendant plus d’une semaine. Ce n’est qu’après que tous ses alliés se soient joints à l’initiative et sous la pression de la société civile qu’elle a finalement décidé de signer la déclaration 7. Il s’agit d’une victoire obtenue après plusieurs années de mobilisation, mais celle-ci pourrait avoir un goût amer si la France n’applique pas son engagement de façon ambitieuse. En l’état, il semble que le gouvernement souhaite maintenir son calendrier de sortie des énergies fossiles – extraction pétrolière en 2025, gazière en 2035 – en misant sur une technologie immature et coûteuse, la capture et stockage de carbone (CCS) pour soutenir des projets avant ces dates. Ainsi, si TotalEnergies décidait de développer de la CCS sur son projet gazier Arctic LNG 2, la France pourrait décider d’accorder la garantie de 700 millions d’euros autour de laquelle elle entretient le flou depuis plus d’un an 8. La France doit au contraire pousser l’interprétation la plus ambitieuse de cette déclaration. Elle doit suivre l’exemple du Royaume-Uni qui en est à l’origine et cesser dès aujourd’hui tout soutien direct aux combustibles fossiles à l’étranger, en commençant par acter le refus de soutenir Arctic LNG 2.
  • Sur la sortie des acteurs financiers privés des énergies fossiles, le gouvernement est là encore démissionnaire. Alors qu’à la veille de la COP26 Bruno Le Maire jugeait “insuffisants” les engagements des grandes banques françaises sur les pétrole et gaz non-conventionnels, le ministre n’a donné aucune suite claire à son appel de 2020 à sortir de ces industries nocives 9. Les principaux établissements de Place financière de Paris qui se sont imposés en 2020 comme premiers financeurs d’Europe des énergies fossiles 10 – dépassant Londres – n’ont toujours pas renoncé à alimenter le développement des énergies fossiles 11. La COP26 a préféré célébrer les nombreuses alliances “Net Zéro” formées pas les entreprises financières dont les françaises, même si aucune ne répond à  ce jour à l’enjeu de la fin de l’expansion pétrolière et gazière 12.
  • Finalement, la France n’a pas profité du temps de la COP pour renoncer à saboter la taxonomie verte européenne, en faisant pression à Bruxelles pour y inclure le gaz fossile et le nucléaire 13.

Le vide des politiques climatiques françaises résonne une fois encore à la COP26

Le pays hôte de la COP21 et Emmanuel Macron sont venus à Glasgow en dilettante. Alors que la France n’applique toujours pas une politique globale efficace pour atteindre ses propres objectifs de réduction des émissions des gaz à effet de serre compatibles avec le respect de l’Accord de Paris, le chef de l’État s’est offert un nouveau tour de piste devant ses homologues, fait de coups de mentons et de condescendance, avant de plier bagage sans rien avoir apporté à l’effort collectif. Une attitude qui n’est pas sans rappeler la mascarade de la convention citoyenne pour la climat où Emmanuel Macron avait multiplié les postures pour au final enterrer la quasi-totalité des mesures concrètes proposées par les citoyens et citoyennes.

Cette nouvelle échéance manquée de la part du gouvernement d’un État récemment condamné par ses propres tribunaux pour inaction climatique est un aveu d’échec, sinon d’indifférence, et le symptôme, à quelques mois des élections, d’un quinquennat sacrifié pour l’action climatique.

Les États enterrent l’objectif de + 1,5 °C

Six ans après la ratification de l’Accord de Paris, les États persistent et signent : il est crucial de rester sous le seuil critique de + 1,5 °C afin d’éviter les conséquences les plus dramatiques des dérèglements climatiques. Mais derrière cet objectif qui reste imprimé sur le papier, les engagements soumis à ce jour par les États conduisent selon les Nations unies à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre de 14 % d’ici à 2030 par rapport à 2010, quand maintenir le réchauffement à 1,5 °C impose de les réduire de 45 % au cours de la décennie à venir 14. Alors que le monde est déjà à + 1,2 °C, les gouvernements mènent la planète vers un réchauffement de + 2,7 °C d’ici à la fin du siècle.

Greta Thunberg a dénoncé une COP26 du greenwashing 15 : on ne peut que lui donner raison. Malgré les appels à accélérer les mesures d’ici 2030, cette décennie vitale est largement esquivée par les États et les entreprises, qui préfèrent se cacher derrière des promesses de neutralité carbone en 2050 “Net Zéro”. Un mot d’ordre s’impose : rendez-vous dans 30 ans pour constater le chaos. La COP26 a été celle des engagements de long terme, flous et sans contrainte notamment des plus gros pollueurs, quand l’absence dramatique de politiques concrètes à court terme est à déplorer. De la compensation carbone aux solutions fondées sur la nature, Glasgow s’est transformée en festival des fausses solutions.

À la tribune, les multinationales prennent la place des premier·es impacté·es

La Conférence de Glasgow s’est faite une réputation de “COP la plus discriminatoire qui ait jamais été”, tant les minorités, les représentant·es des populations les plus impactées par le changement climatique et les représentant·es de la société civile ont eu de difficultés à accéder aux négociations, quand elles n’en ont tout simplement pas été exclues de fait par les mesures sanitaires et consulaires mises en place.

De leur côté, les représentants des lobbies de l’industrie fossile se sont vus dérouler le tapis rouge 16. Avec 503 représentants, ces lobbyistes sont plus nombreux que le total des 8 délégations des pays les plus touchés par le changement climatique au cours des deux dernières décennies : Porto Rico, Myanmar, Haïti, Philippines, Mozambique, Bahamas, Bangladesh, Pakistan. Ils devancent même des délégations parmi les plus fournies, telles que le Brésil (479) et la Turquie (376).

La conférence aura également été marquée par le cabotinage de Jeff Bezos, P-.D.G. d’Amazon qui a pris la parole à la tribune aux côtés d’Emmanuel Macron 17. Amazon est le grand champion du “Net Zéro” – comprendre zéro émission net de carbone, c’est-à-dire des émissions de gaz à effet de serre compensées par une quantité équivalente de carbone “capturée”, qu’elle promet même d’atteindre dès 2040. Ce discours grandiloquent détourne l’attention et lui permet de ne rien changer à son modèle économique, très émetteur de gaz à effet de serre. En réalité, les émissions d’Amazon ont augmenté de 19 % l’année dernière. Côté compensation, Jeff Bezos a promis d’investir 1 milliard de dollars dans le projet de grande muraille verte sur la scène de la COP26, un système de compensation basé sur la plantation d’arbres qui est loin de faire l’unanimité, véritable “permis de polluer” trop souvent accordé aux acteurs déjà parmi les plus responsables de la crise climatique.

Au final, ces dysfonctionnements sont emblématiques du processus qui nous a conduit au désastre climatique : les conclusions de la COP26 ne peuvent pas être jugées justes et légitimes alors que les principales victimes des effets du dérèglement climatique n’ont pas eu la possibilité d’y faire entendre leurs voix, tandis que les portes étaient ouvertes en grand pour les plus gros pollueurs de la planète.

Citations :

Pour Alma Dufour, chargée de campagne surproduction aux Amis de la Terre France :
“Ce qu’il se passe aujourd’hui est effrayant. Nous sommes collectivement en train de foncer dans le mur avec une inconscience qui laisse sans voix. En six ans, l’Accord de Paris n’a eu aucun effet visible sur les émissions. Les engagements des États pendant la COP26 nous emmènent vers un réchauffement de 2,4 à 2,7 °C en 2100. Et encore, sur le papier ! La majorité des États ne respectent pas ces engagements, dont la France. Le gouvernement, qui donne des leçons sur la scène internationale, vient d’être condamné par la justice, pour ne pas avoir respecté ses engagements de réduction de gaz à effet de serre. Or que fait-on ? On demande aux États de prendre des engagements plus sérieux… l’année prochaine. Le manque de volonté politique de la majorité des dirigeants est patent. Ils sont enfermés dans un modèle économique productiviste du passé et une idéologie de la dérégulation, qui les empêche de nous sauver de la catastrophe qui vient. Pour que cela change, les populations doivent changer leurs représentants. En France, l’échec de la COP26 nous montre que nous devrons faire des élections de 2022 des élections pour le climat.” 

Pour Lorette Philippot, chargée de campagne finance aux Amis de la Terre France :
“Après les alertes unanimes et répétées des scientifiques, des Nations unies et de l’Agence internationale de l’énergie, la COP26 marque une première reconnaissance qu’empêcher le désastre climatique ne sera possible qu’à condition de stopper le développement sans borne des énergies fossiles. Mais face à cette menace, les intérêts des pays et multinationales les plus polluants s’en sortent largement indemnes, protégés par un manque patent de mesures immédiates. Derrière un leadership sans cesse exhibé sur ce sujet, la France s’est également rendue les mains vides à ce sommet. Sous pression diplomatique et de la société civile, elle a fini par signer in extremis la déclaration inédite en faveur de la fin des subventions aux pétrole et gaz dès 2022. Pourtant là encore, le gouvernement s’est empressé par un tour de passe-passe macronien de dévoyer la portée de cet engagement. Il a préféré réitérer sa volonté de maintenir des financements export aux énergies fossiles jusqu’en 2035, et a laissé la porte ouverte à un soutien de l’État au méga-projet gazier Arctic LNG 2 de Total.”

Contacts presse :

Notes
2

Nations unies. Production Gap Report.

11

Les Amis de la Terre France et Reclaim Finance. COP26 : la finance française face à l’expansion du pétrole et du gaz.

17

Les Amis de la Terre France. Jeff Bezos à Glasgow : la COP est pleine.