Sultan Al Jaber - Président de la COP28
Le Sultan Al Jaber, lors du sommet mondial de la fabrication et de l’industrialisation de Dubaï, le 22 novembre 2021. © AFP
Climat-Énergie
22 mars 2023

COP28 à Dubaï : le non-sens d’une transition confiée à un magnat pétrolier

Le Sultan Ahmed Al-Jaber, Président de la COP28 qui se tiendra du 30/11 au 12/12 à Dubaï, était en visite à Paris la semaine dernière. Al-Jaber étant le patron de la plus grande entreprise d’énergies fossiles des Émirats arabes unis, sa nomination comme Président de la COP est très inquiétante et représente un conflit d’intérêts évident.

Une influence croissante de l’industrie fossile dans les COP

À l’heure où les catastrophes climatiques s’intensifient et où de plus en plus de vies sont en jeu, la nomination d’un représentant de l’industrie des énergies fossiles pour présider la COP28 compromet fortement la crédibilité et l’ambition des COP dans la lutte contre le réchauffement climatique. Aucune COP supervisée par un·e représentant·e de l’industrie des énergies fossiles ne peut être considérée comme légitime.

Cette prise de contrôle de l’industrie fossile sur les COP n’est pas nouvelle et se renforce d’année en année. À la COP27 de 2022 à Sharm El-Sheikh, plus de 630 lobbyistes de l’industrie des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) avaient participé aux négociations, soit une augmentation de plus de 25% par rapport à la COP261. Lors de cette « COP africaine », les lobbyistes du secteur des énergies fossiles étaient plus nombreux que n’importe quelle délégation nationale du continent africain, et plus nombreux que les représentants des dix pays les plus touchés par le changement climatique (Porto Rico, Birmanie, Haïti, Philippines, Mozambique, Bahamas, Bengladesh, Pakistan, Thaïlande, Népal)2.

En vue de la COP28 qui se tiendra aux Émirats arabes unis, il semblerait que le pays hôte soit bien décidé à préserver les intérêts de son industrie pétrolière florissante, quitte à conduire la planète tout droit vers un réchauffement global largement supérieur au 1,5°C fixé par l’Accord de Paris. En témoigne la prise de poste d’une douzaine d’employés de la compagnie pétrolière publique des Émirats arabes unis au sein du bureau de l’envoyé spécial des Émirats arabes unis pour le changement climatique. En clair, une partie de l’équipe de la COP28 vient tout droit de l’industrie pétrolière et gazière.

Anna-Lena Rebaud

Comment la COP28 pourrait-elle prétendre prendre des engagements à la hauteur de la nécessité de réduire radicalement et immédiatement nos émissions mondiales de gaz à effet de serre, si ce sommet international est accueilli et organisé par les représentants de l’industrie fossile, principale coupable des dérèglements climatiques ?

Anna-Lena Rebaud
Chargée de campagne gaz aux Amis de la Terre France

Pas de justice climatique sans respect des droits humains

Les Émirats arabes unis sont connus pour leurs violations des droits humains et la répression qu’ils exercent à l’encontre de leurs citoyen·nes. Le régime s’en prend aux opposants politiques et aux militant·es et criminalise les libertés fondamentales et les droits humains, y compris les droits des personnes LGBTQI+. Comme le rappellent régulièrement les rapports de différentes organisations de défense des droits humains3, le pays a également un passé de pratique de la torture systématique, de disparition forcée et d’arrestation arbitraire, et les femmes et les travailleur·ses domestiques migrant·es continuent d’être discriminé·es et exploité·es. Le régime ne doit pas chercher à se servir de l’accueil de la COP28 pour blanchir son image. Les droits humains et la justice climatique étant intimement liés, il ne peut y avoir de justice climatique sans respect des droits humains.

Pourquoi il est important malgré tout de ne pas boycotter la COP28

Ce n’est pas parce que nous condamnons le choix de nommer un pétrolier à sa présidence que nous déserterons l’espace de négociations qu’est la COP. Dans ce contexte, il est nécessaire d’être attentifs aux dynamiques géopolitiques, et de refuser de renforcer l’attitude condescendante des pays du Nord vis-à-vis de ceux du Sud. Si la nomination d’un PDG d’une entreprise d’énergies fossiles comme Président d’une COP est plus que contestable, nous nous devons de reconnaître que les régimes politiques de la plupart des pays – y compris les pays du Nord – sont également fortement influencés, voire contrôlés par des entreprises. La COP26 de Glasgow a été l’une des COP les plus inaccessibles jamais organisées pour les délégations de pays pauvres et la société civile, sans parler de l’hypocrisie du Royaume-Uni qui se présente comme champion du climat tout en développant les énergies fossiles.

Il est fréquent que des représentants des pays du Nord traitent avec condescendance et paternalisme les pays du Sud en utilisant l’argument d’une marche à rebours de la transition écologique. Il est essentiel de s’opposer à ces récits teintés de néocolonialisme, pour que les COP soient un espace où les pays les plus pauvres peuvent faire entendre leurs voix.

Lors de cette COP28 à Dubaï, ne laissons pas l’industrie fossile définir notre avenir et n’abandonnons pas les pays du Sud qui subissent de plein fouet les conséquences des dérèglements climatiques. Il est essentiel que la COP28 garantisse et facilite la participation de celles et ceux qui sont les premier·es affecté·es par l’urgence climatique et de faire en sorte que les espaces de négociation soient accessibles et inclusifs. Pour que la société civile refasse confiance en la capacité des COP à faire face au changement climatique, il est primordial de donner toute leur place aux pays du Sud et de refuser la participation des lobbies qui incarnent les causes directes de la crise climatique.

Les Émirats arabes unis particulièrement impactés par le changement climatique

Les Émirats arabes unis sont un des pays les plus vulnérables aux effets du changement climatique. Au programme : explosion des températures, diminution des précipitations, et augmentations de la fréquence des sécheresses, du niveau de la mer et des tempêtes. Ces phénomènes ont d’immenses impacts sur les infrastructures, la santé des populations et les écosystèmes naturels. D’après le gouvernement émirati (UAE State of Climate Report 2021), si le monde reste sur la trajectoire actuelle d’un réchauffement global de 2 à 3 degrés d’ici 2100, les Émirats arabes unis subiront, eux, un réchauffement de 2,5 degrés en hiver à 4 degrés en été. Un tel réchauffement mettrait en péril la vie humaine dans certaines régions du pays.

Nos demandes

Stop aux conflits d’intérêts dans les COP

L’industrie des énergies fossiles étant le principal responsable des émissions de gaz à effet de serre, il est évident que l’accès aux négociations par les lobbies de l’industrie fossile nous éloigne de la possibilité d’engagements et d’accords ambitieux pour le climat. Ainsi, aucun représentant de l’industrie fossile dans les négociations ne doit être toléré. Le Président de la COP28 étant lui-même PDG d’une entreprise pétrolière, nous lui demandons a minima de suspendre ses fonctions de PDG dès maintenant jusqu’à la fin de ses fonctions de Président de la COP et de renoncer à tout intérêt financier dans cette entreprise.

La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques doit d’urgence contraindre les participant·es aux COP à déclarer publiquement leurs intérêts, pour mettre fin à l’influence des entreprises dans ces espaces de négociations. Dans cette perspective, les partenariats ou parrainages des COP avec les entreprises de l’industrie des énergies fossiles doivent être interdits.

Tout cela est possible : en témoigne la Convention cadre de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour la lutte anti-tabac, qui oblige les pays parties à protéger les politiques de santé de l’influence des lobbies du tabac. Les Amis de la Terre font partie de la campagne européenne Fossil Free Politics demandant que des dispositions similaires soient adoptées en matière de lutte contre le changement climatique et influence des lobbies des énergies fossiles.

La nécessaire sortie des énergies fossiles

La communauté scientifique s’accorde sur le fait qu’aucun nouveau champ pétrolier ou gazier ne doit voir le jour si l’on veut espérer limiter le réchauffement global à +1,5°C. Selon le rapport annuel “Production Gap Report” mené entre autres par le Programme Environnement des Nations Unies, nous devrions diminuer la production de pétrole et de gaz respectivement de 4% et 3% chaque année entre 2020 et 20304.

Si les Émirats arabes unis se sont engagés à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, nous attendons du pays qu’il annonce au plus tard lors de la COP28 un plan concret de sortie des énergies fossiles. Par ailleurs, le bilan mondial de l’action climatique – dont l’initiative est une grande première et qui sera élaboré lors de la COP28 – devra être un texte ambitieux, incluant une sortie mondiale et équitable des énergies fossiles avant 2050.

La France, elle, doit venir à la COP28 avec un plan de sortie des énergies fossiles et de baisse d’au moins 55% des ses émissions brutes de gaz à effet de serre en 2030 (par rapport à 1990), accompagné d’un plan d’actions robuste et d’une mise en cohérence des financements publics. Nous attendons également de la France qu’elle fasse des annonces sur un encadrement renforcé des activités des entreprises énergéticiennes françaises comme Total afin de stopper leur expansion dans de nouveaux projets d’énergies fossiles.

Ne pas céder à la tentation des fausses solutions

Les marchés du carbone (autrement dit les politiques de « compensation carbone ») et les techniques de capture et stockage du carbone ne constituent pas à une réponse crédible à la crise climatique. S’il pourrait paraître aisé de penser que « pourquoi réduire nos émissions de gaz à effet de serre, si désormais nous pouvons les capturer et les stocker ? », rappelons que ces technologies coûteuses et peu fiables favorisent avant tout les profits des plus gros pollueurs et nous enferment dans des décennies supplémentaires de consommation d’énergies fossiles.

L’énergie nucléaire constitue elle aussi un piège dangereux. En effet, la problématique de gestion des déchets, d’approvisionnement en uranium5 et les risques accidentels et géopolitiques qu’implique le nucléaire ne sont plus à prouver. Nous l’avons vu récemment avec les centrales nucléaires en Ukraine, et le risque géopolitique qu’elles représentent une fois gérées par l’armée russe.

La sortie des énergies fossiles ne doit pas ouvrir la voie au développement de ces techniques, qui ne sont que le cache-misère de problèmes plus systémiques. Tous les efforts doivent être dirigés vers le développement des énergies renouvelables (notamment le solaire et l’éolien, dont l’efficacité a été prouvée par la science) et vers une réduction globale et effective des émissions de gaz à effet de serre, grâce à des politiques d’efficacité énergétique et de sobriété.

Une transition juste et équitable

Lors de la COP28, les pays les plus riches devront augmenter leurs objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, en cohérence avec leurs capacités financières et leur lourde responsabilité dans la crise climatique. Ces engagements devront expliciter les moyens concrets de mise en œuvre (financement, technologie, calendrier).

Par ailleurs, les pays les plus riches doivent soutenir financièrement les pays en développement dans leur transition. Dans cette perspective, il faut consolider le mécanisme de financement des pertes et dommages, établi lors de la COP27 pour permettre aux pays les plus vulnérables aux dérèglements climatiques de protéger leurs habitant·es et reconstruire leurs infrastructures après une catastrophe climatique. Actuellement, le financement de la lutte contre le changement climatique reste bien en deçà des besoins et de ce qui est dû par les pays développés. Des progrès substantiels doivent être réalisés lors de la COP28, pour convenir d’un nouvel accord collectif quantifié et ambitieux.

La nécessité d’une COP accessible à la société civile

L’action climatique doit être centrée sur l’expérience vécue des populations, en particulier celles qui se trouvent en première ligne des impacts des dérèglements climatiques. Or, il est de plus en plus difficile pour les ONG et la société civile de faire entendre leurs voix lors des COP. C’est pourquoi nous demandons à la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques) de mettre en place un fonds de solidarité pour faciliter la participation de la société civile du Sud en particulier. Une accessibilité suffisante aux visas et aux logements sur place devra être garantie, pour permettre une participation libre et complète de chacun·e.