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Climat-Énergie
8 février 2013

D’audition en débat tronqué, le risque nucléaire grandit

Les Amis de la Terre ont participé à l’audition qui s’est tenue lundi 4 février dernier à l’Assemblée nationale. Ils y ont dénoncé le projet d’enfouissement de déchets radioactifs de Bure (Meuse) qui se justifie par le fait accompli.

Les Amis de la Terre ont participé à l’audition qui s’est tenue lundi 4 février dernier à l’Assemblée nationale. Ils y ont dénoncé le projet d’enfouissement de déchets radioactifs de Bure (Meuse) qui se justifie par le fait accompli. La filière nucléaire ayant montré son incapacité à éliminer ses déchets dangereux, il est urgent d’arrêter d’en produire. De plus, traiter la question du stockage des déchets radioactifs (CIGEO) avant la clôture du débat sur la transition énergétique, nie toute transition dans ce domaine. Pour les Amis de la Terre, ce projet d’enfouissement n’est pas une solution, c’est un leurre.

Avec le prochain débat public sur l’installation de stockage des déchets radioactifs (projet CIGEO à Bure), la question de la gestion des déchets nucléaires va encore être analysée sous l’impérieuse nécessité et le fait accompli. En effet, cette question de déchets est intimement liée au programme électronucléaire français, dont aucune remise en cause n’est sérieusement envisagée.

Le flou des promesses de campagne du président de la République ne font qu’entretenir une ambigüité sur le devenir d’un parc nucléaire vieillissant au risque grandissant. Peu importe, la filière nucléaire s’enfonce dans l’aventureux et l’imprévisible.

Parler des déchets radioactifs de haute activité en faisant le seul constat « qu’ils sont là » est inacceptable ; ils sont là, effectivement, parce qu’un parc de réacteurs conséquent les a produits, un parc nucléaire réalisé indépendamment de tout débat public ou de tout débat parlementaire. Puisque débat public il y a maintenant, c’est l’occasion de se prononcer sur l’opportunité du parc électronucléaire français, de son importance et des perspectives pour l’avenir. En particulier, le débat public sur les déchets nucléaires qui « sont là » ne peut raisonnablement se dérouler que s’il est accompagné d’une remise en question de la production de futurs déchets nucléaires et des centrales qui les produisent : en clair, sortir du nucléaire, pour arrêter la production des déchets radioactifs.

On recense aujourd’hui en France 1 200 sites de déchets radioactifs de catégories diverses, du plus faiblement radioactif au plus fortement radioactif. A cette montagne de déchets radioactifs, il convient d’y rajouter les déchets potentiels de démantèlement des 58 réacteurs en activité. Stop, n’en rajoutons plus.

Un préalable, le débat sur nos modes de société

Si le débat ne porte que sur les aspects techniques, il ne produira que des solutions de techniciens ; en revanche, relier ce débat à celui sur la transition énergétique et l’étendre aux mode sde société que nous voulons, à nos besoins pour nos différents usages, aux modes de production adaptés compatibles avec les limites de la planète, est potentiellement porteur de décisions nouvelles et satisfaisantes pour tous.

Tout d’abord, il convient de rappeler que la première loi sur les déchets nucléaires date de 1991, soit une bonne trentaine d’années après le démarrage des premières centrales nucléaires. Pour une industrie qui se targue « d’excellence » et qui exprime une maitrise pleine et entière du processus de production , cette incapacité à traiter ce problème est un constat d’échec révélateur.

La loi de 1991 – de programmation sur la recherche – était destinée à fournir, dans les 15 ans, un éventail de solutions techniques qui pourraient être mises en œuvre. Force est de constater aujourd’hui, après la loi de 2006, que les solutions ne sont pas au rendez-vous. Techniquement, la seule solution envisagée est le stockage en enfouissement profond, c’est-à-dire cacher la poussière sous le tapis.
La question de l’entreposage – en surface ou en sub-surface – est définitivement écartée par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), pour des raisons techniques.

En revanche, les « solutions de stockage » sont déjà arrêtées dans leurs grandes lignes et le débat ne portera que sur quelques détails, où la « légitimation » par la population est nécessaire.

Un exutoire au coût démesuré et incertain

Du point de vue financier, le coût du stockage varie suivant les sources, mais reste de plusieurs dizaines de milliards d’euros (entre 35,9 milliards d’euros pour l’ANDRA et 14,4 milliards d’euros pour le projet STI, quelles options justifient un tel écart ?).

Un tel investissement public interpelle car il s’ajoutera au « prix du kWh » d’une façon ou d’une autre : soit par l’impôt, soit par la facture énergétique. Or, il convient de noter que depuis le début de la filière nucléaire – et pour en faire tacitement avaliser le programme par les citoyens – le prix du kWh nucléaire a toujours été largement sous-évalué car soutenu par les finances publiques. Il en est ainsi de l’investissement (aucun producteur nucléaire ne s’aventurerait sans la caution illimité d’un Etat), de l’assurance en cas d’accident (qui est supportée par l’Etat, donc par le contribuable et plus particulièrement par la victime de l’accident), du fonctionnement (le coût de la recherche incombe au CEA, celui des déchets à l’Andra, établissements publics), de l’expertise (IRSN, établissement public) et du contrôle (ASN, autorité indépendante financée par l’Etat).

Sans ces subventions publiques généreuses (estimée entre 1 et 3 milliard d’euros par an), jamais l’industrie nucléaire ne se serait développée ici, comme nulle part ailleurs. Et il faudrait aujourd’hui financer ce projet démesuré et risqué pour une énergie que les citoyens n’ont pas validée?

Le pari de l’évaluation de longévité

La question temporelle est la plus délicate, car la notion de temps, la notion d’évolution des sociétés et des civilisations, la notion de la mémoire pour les générations futures est difficile à appréhender et n’est pas une affaire d’ingénieurs ; elle leur est même tout à fait inconnue. On nous parle ici d’un siècle de production, de trois siècles de surveillance, de dizaines de milliers d’années de mémoire, des durées de temps qui dépassent largement les modèles prédictifs.

Comment imaginer que les caractéristiques du sous-sol resteront stables pour une durée de temps aussi longue ?

Comment garantir que les emballages des déchets résisteront dans le temps ?

Sur le comportement mécanique à très long terme même l’IEER évoque un « optimisme excessif et généralisé » de l’Andra et donne des « exemple frappants ».

Une réversibilité hypothétique

La question de la réversibilité écartée antérieurement pour des raisons techniques – revient à nouveau dans le débat, sous la pression de la société civile.
Comment supposer que les conditions de manutention seront préservées sur une durée aussi longue ? Que l’intégrité des colis ou futs stockés ne sera pas altérée ?

Des moyens financiers conséquents pour faire taire les réticences

Il faut ajouter aux différents moyens financiers accordés par l’Etat pour faire accepter ce programme nucléaire à la population en baissant le prix du Kwh, des mesures d’accompagnement conséquentes aux collectivités territoriales.

Des mesures d’accompagnement hors normes, qui représentent plusieurs dizaines de milliards d’euros par an, pour les collectivités de la zone concernée.

La démarche interpelle et scandalise sur la manière dont les pouvoirs publics imaginent pouvoir compenser les risques et faire taire les réticences. Ceci ressemble plus à des méthodes réprouvées par la démocratie qu’a des choix responsables partagés.

Un choix implicite de dimensionnement qui conforte la filière nucléaire

Le dimensionnement d’un stockage qui permettrait la production future de déchets nucléaires ne servirait qu’à légitimer la poursuite du programme électronucléaire. En ce sens, un tel dimensionnement interdit tout débat futur sur l’opportunité de ce type d’énergie pour deux raisons : on a une « solution » pour les déchets (aussi mauvaise soit-elle) et surtout, il faut « amortir » le stockage qui est construit. Pour ces raisons, tout débat qui porterait sur un dimensionnement supérieur aux déchets actuel est, par nature, démocratiquement inacceptable. Enfin, les choix qui seront faits à l’issue du débat sur la transition énergétique qui se déroule actuellement sont ignorés par ce projet.

Plutôt que d’imaginer un dispositif de stockage des déchets nucléaires démesuré qui inclut les déchets futurs, il est urgent d’arrêter d’en produire. Il convient en parallèle, de lancer un grand programme de fermeture des centrales françaises en commençant rapidement par les plus anciennes , celles ayant dépassé les 30 ans d’exploitation, durée de vie validée à la conception-réalisation de ces installations. Et, bien sûr de renoncer à la mise en service de l’EPR.


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