Russie Poutine
21 avril 2022

Les dangers de l’extrême-droite en France, vus par les Amis de la Terre Russie

À quelques jours du second tour de l'élection présidentielle, le danger d'un gouvernement d'extrême-droite n'a jamais été aussi proche. Vitaly Servetnik, coordinateur du programme sur les défenseurs de l’environnement et des droits humains des Amis de la Terre Russie, témoigne de son expérience sous le régime de Vladimir Poutine.

Comment les droits des organisations de la société civile et leur capacité d’action sont-ils limités depuis que Poutine est au pouvoir ?

Les droits des associations et des citoyen·nes ont été progressivement restreints depuis l’arrivée au pouvoir de Poutine en 2000. Progressivement, année après année, une législation de plus en plus restrictive a été imposée. La législation sur les « agents étrangers » a entraîné la fermeture de plus de 20 ONG. Ces dernières années, des dizaines de défenseur·ses de l’environnement ont été emprisonné·es, blessé·es ou condamné·es à des amendes.

L’Union sociale écologique russe (RSEU) / les Amis de la Terre Russie ont publié un rapport sur la persécution des militant·es écologistes en 2021. Notre organisation a enregistré 135 cas de pression contre 181 militant·es écologistes dans 44 régions de Russie. 28 militant·es ont été attaqué·es et/ou leurs biens endommagés. 12 nouvelles affaires pénales ont été ouvertes et plus de 70 rapports d’enquête administratifs ont été rédigés. Le montant total des amendes individuelles a atteint 866 000 roubles. Une personne est décédée.

Il est cependant parfois difficile de déterminer si les persécutions visent le militantisme écologiste ou un autre militantisme civil ou politique. Ce qui est certain, c’est que nous ne sommes pas attaqué·es sans raison. Nous sommes attaqué·es parce que nous touchons à certains problèmes et à certains intérêts.

Lire des témoignages de militant·es persécuté·es, en cliquant sur ce rapport.

Plus généralement, comment les libertés et droits individuels sont-ils affectés, notamment pour les minorités ?

Un exemple significatif est la législation de 2013 sur la « propagande anti-gay », qui interdit de qualifier les relations et les personnes LGBTQIA+ de « normales ».

En ce qui concerne la liberté d’expression, de nombreux médias ont été fermés. Novaya Gazeta, dont le rédacteur en chef a reçu le prix Nobel de la Paix l’année dernière pour son soutien au journalisme indépendant, a été suspendu ses activités après avoir reçu plusieurs avertissements, car il craignait d’être également fermé.

Les cas de pression sur les médias couvrant les problématiques environnementales sont de plus en plus nombreux, tout comme le nombre d’inscriptions de journalistes indépendant·es sur les listes d’agents étrangers.

Comment la politique de Poutine affecte-t-elle la protection de l’environnement et du climat ?

L’un des premiers ordres de Poutine a été de fermer les agences environnementales gouvernementales pour faciliter les activités des entreprises. Depuis, la législation environnementale a été affaiblie chaque année et à l’inverse, la législation sur la participation citoyenne a été durcie. La législation restante n’est pas respectée et les simulacres de consultation publique sont souvent de mise pour de nombreux projets de développement.

De plus, la forte dépendance à l’égard des industries extractives et la concentration du pouvoir et des bénéfices entre les mains de quelques-uns ne permettent pas une transition juste et appropriée au défi climatique. La critique de la politique russe actuelle est souvent jugée par le régime comme anti-nationale et conduit à la répression.

En France, l’extrême-droite est qualifiée pour le second tour de l’élection présidentielle. Marine Le Pen se présente comme la candidate du peuple et des plus pauvres, prétendant avoir un programme de justice sociale. Que peux-tu dire de la politique et du régime de Poutine concernant les inégalités et les questions sociales ?

Pendant les années prospères des prix élevés du pétrole, les inégalités ont énormément augmenté. Les plus précaires n’avaient que les miettes de ces profits et en parallèle, les services sociaux et les dépenses pour l’éducation et les soins médicaux ont diminué, tandis que les dépenses pour les services militaires et de sécurité ont augmenté.

Une grande partie des bénéfices tirés des ressources naturelles nationales russes a atterri dans les manoirs des Russes en Europe et aux États-Unis, ainsi que dans les poches des amis européens de Poutine. Tout cet argent et la corruption qui l’entoure en Russie et en Europe ont également ouvert la voie à la tragédie que nous vivons actuellement.

Quant à l’exercice du pouvoir, les institutions qui servent de contrepoids à l’exécutif peuvent-elles continuer à exercer le même rôle d’opposition et de contrôle depuis que Poutine est au pouvoir ?

Il n’y a plus de contrepouvoir en Russie. Le pouvoir est tellement centralisé que le Parlement ne fait qu’approuver les lois, parfois en une seule journée pour toutes les auditions et le vote des deux chambres du Parlement.

Seules les protestations de masse peuvent parfois faire reculer les autorités, mais le coût de ces protestations est très élevé. Une seule interpellation peut entraîner une forte amende ou une détention.

Que dirais-tu aux citoyen·nes français·es qui sont tenté·es de voter pour Le Pen ? Celle-ci dit que si elle est élue, elle veut se rapprocher de la Russie et de Poutine. Que penses-tu de cette alliance ?

Le financement de l’extrême-droite à travers l’Europe par l’argent des ressources naturelles russes volé par les oligarques de Poutine a permis la montée des populistes de droite et leur soutien à la politique actuelle de Poutine.

Aux citoyen·nes français·es tenté·es de voter pour Le Pen, je dirais que je comprends que vous n’aimiez pas l’état actuel des choses. En revanche, voter pour l’extrême-droite pourrait amener à une situation sans retour en arrière possible. Ne faites pas cette erreur, s’il vous plaît.

CAS CONNUS DE MEURTRES DE MILITANT·ES ÉCOLOGISTES RUSSES (DEPUIS 2012) :

  • Mikhail Beketov : journaliste écologiste mort des suites de coups cruels en 2013. Les assassins ont été condamnés.
  • Igor Sapatov : abattu dans la forêt près de Kazan en 2013. Il se battait contre la construction de bâtiments dans des zones naturelles spécialement protégées le long des rives de la Volga et de la Kama.
  • Nikolai Podolskiy et Sergei Malashenko : inspecteurs publics de l’environnement abattus dans le district de Terskiy (région de Mourmansk) en 2013. Le tueur s’est suicidé.
  • Irina Zelenina et sa fille : cruellement abattues à Vidny (région de Moscou) en 2014, alors qu’elles protégeaient les forêts de la ville.
  • Zemfira Gallyamova : responsable d’un refuge public pour animaux « Dobrota » (« Bonté »), étranglée avec un collier de chien à Ufa en 2014.
  • Vadim Volodin : militant d’Utrish tué le 2 mars 2018.
  • Sergei Paholkov : blessé lors de son arrestation pendant une manifestation en 2020, il est décédé au commissariat. Il défendait un jardin de la rue Yaroslavskaya à Vologda.

Propos recueillis par Juliette Renaud, des Amis de la Terre France.