Climat-Énergie
14 août 2012

Durban : l’Union européenne signe un accord criminel

Sous les concerts d’autosatisfaction joués par l’Union européenne au lendemain de la 17e Conférence de l’ONU sur le climat se cachent des renoncements et de graves compromis.

Au retour d’Afrique du Sud, les violons n’ont pas tardé à se faire entendre dans les médias. Tandis que l’Union européenne saluait l’accord comme “une percée historique dans la lutte contre le changement climatique”, Connie Hedegaard, la commissaire européenne pour le climat, commentait : “Nous pensons que nous avons adopté la bonne stratégie et cela a marché”. Et la ministre française de l’Ecologie de féliciter la délégation européenne d’avoir joué un “rôle moteur”…

Le grand renoncement

Pourtant, les résultats obtenus sont très loin des ambitions affichées au départ. L’Union européenne est arrivée à Durban avec une feuille de route visant à ce que tous les pays s’engagent sur un accord qui succède au Protocole de Kyoto. C’est sur un coin de table, au terme d’une dernière nuit électrique, que des représentants de l’Europe, de l’Inde, de la Chine et des États-Unis se sont mis d’accord sur trois formules juridiques (“protocole”, “instrument légal” ou “solution concertée ayant force légale”). Autrement dit, tout reste ouvert dans les futures négociations puisque rien ne garantit que les pays seront légalement contraints. Comment l’Union européenne peut-elle s’en satisfaire ?

Plus grave, ce nouvel instrument ne verra pas le jour avant 2015 et ne sera mis en oeuvre, dans le meilleur des cas, qu’en 2020. Selon Nnimmo Bassey, président des Amis de la Terre International, “retarder toute action réelle après 2020 est un crime aux proportions mondiales. Une augmentation de 4 °C de la température mondiale, permise par ce plan, est une condamnation à mort pour l’Afrique, les petits États insulaires, les pauvres et les personnes vulnérables de l’ensemble de la planète”. Attac ajoute : “Au moment où les rapports scientifiques convergent pour dire l’urgence des changements à mettre en oeuvre, ce sommet des Nations unies restera celui du grand renoncement.” Lors de ces vingt dernières années, les émissions globales ont augmenté de 50 % – plus 6 % pour la seule année 2010. Attendre 2015 n’est donc pas seulement irresponsable, mais bien criminel.

A bon compte…

Autre fait marquant : le principe de responsabilité historique commune mais différenciée, qui avait introduit des dimensions de justice dans les négociations, disparaît du nouveau mandat issu de Durban. La nouvelle feuille de route met ainsi au même niveau de responsabilité victimes et acteurs du réchauffement climatique. Comme si l’Inde, avec 1,4 tonne de CO2 par personne, ou même la Chine (5,2 tonnes par personne), et, surtout, leurs populations, devaient satisfaire aux mêmes exigences que les États-Unis (17,5 tonnes) ou, plus généralement, les pays de l’OCDE (10 tonnes en moyenne). Pour Martine Laplante, présidente des Amis de la Terre France, “ce nouveau traité est une ruse pour détourner l’attention du monde de l’échec des pays développés à respecter les engagements existants de réduction des émissions”.

Procrastination forcenée

Quid du devenir du Protocole de Kyoto ? Ce traité, entré en vigueur en 2005, reconnaît la responsabilité historique des pays industrialisés et assigne des objectifs obligatoires de réduction des émissions jusqu’en 2012. La conférence de Durban a seulement “pris note” de la nécessité d’examiner une nouvelle période d’engagements à la prochaine conférence – qui aura lieu à la fin de l’année à Doha, au Qatar. Toutes les décisions importantes (durée des engagements, règles de fonctionnement, etc.) ont été repoussées, sans certitude d’aboutir. Et on sait déjà que la conférence se tiendra sans le Canada, la Russie ni le Japon. Dès lors, se satisfaire du résultat de Durban, comme le font l’Union européenne et le gouvernement français, est assez déconcertant.

Face à une diplomatie climatique soumise plus que jamais aux intérêts géopolitiques et aux lobbies économiques et financiers, les populations doivent imposer d’autres choix.

> SOPHIE CHAPELLE ET MAXIME COMBES

Dans le cadre du projet Alter-Echos.

L’accord qui touche le fonds – Le Fonds vert pour le climat a été mis sur pied à Durban. Mais c’est une coquille vide puisqu’aucun financement n’a été prévu. Les seuls moyens de financement concrètement envisagés sont des fonds privés attirés par les marchés du carbone. Quant à la gestion de ce fonds, elle sera confiée pour l’essentiel à la Banque mondiale. Un groupe de travail va par ailleurs préparer l’éventuelle entrée de l’agriculture dans les mécanismes de marché, en la considérant comme un puits de carbone et non comme un moyen d’assurer la souveraineté alimentaire. La séquestration et le stockage du carbone ont également été reconnus à Durban comme “mécanismes de développement propre” : les entreprises pourront ainsi gagner des crédits d’émission en continuant à extraire les énergies fossiles.