Climat-ÉnergieFinance
20 mai 2013

L’Europe et le charbon, un air de 19e siècle

Lorsqu’il arrive aux mines de houille de Moutsou, Etienne Lantier découvre des « boyaux géants capables de digérer un peuple » et d’en régurgiter le combustible du développement industriel de l’Europe : le charbon. On est au XIXe siècle, son exploitation explose et enclenche la seconde révolution industrielle.

Le charbon permet alors le développement des machines à vapeur qui augmentent la production industrielle. Il alimente les premiers éclairages publics, révolutionnant la salubrité urbaine. Il donne naissance aux premières locomotives à vapeur, abolissant les distances et dynamisant les échanges. Surtout, il produit l’électricité. Mais, en contrepartie, c’est ce même charbon qui a plongé Etienne Lantier et ses camarades de Germinal dans l’enfer des mines, dangereuses et suffocantes, qui a déclenché les pluies acides, qui a accru l’inégalité entre les pays du Nord et du Sud et a activement participé au réchauffement global et à la pollution atmosphérique. Depuis cette époque, les sources de production d’énergie se sont diversifiées ; des plus dangereuses comme le nucléaire, qu’il convient d’abandonner au plus vite, aux plus soutenables d’un point de vue écologique, comme les énergies renouvelables, avec de nombreuses filières (solaire, éolien, micro-barrage, énergie marémotrice…) dont les technologies sont aujourd’hui maitrisées ou en plein développement. La caisse à outils des nouvelles formes de production d’énergie est vaste. Le charbon a-t-il encore sa place ?

Une énergie finie

Le charbon est un combustible largement disponible dans le monde mais c’est le premier contributeur anthropique aux émissions de gaz à effet de serre qui provoquent les changements climatiques[[ Heffa Schucking, Lydia Kroll, Yann Louvel and Regine Richter, Bankrolling Climate Change, December 2011]]. Un quart des émissions de gaz à effet de serre provient des centrales thermiques [[CNRS, Capture par absorption de CO2 dans des gaz de centrales thermiques et leur injection en puits de pétrole, Rapport 2002-2004]]. Les réserves connues sont estimées aujourd’hui à 500 millions de tonnes équivalent pétrole (tep) soit au rythme actuel d’extraction, 230 années de consommation ! Pourtant, avec la crise écologique et le développement des énergies renouvelables, il est temps de tourner le dos au charbon. Sans compter que les conséquences actuelles de l’extraction et de l’utilisation du charbon sous toutes ses formes sont malheureusement les mêmes qu’au XIXe siècle. Particules fines, dioxyde de soufre (SO2), oxydes d’azote (NOX), dioxyde de carbone (CO2), méthane (NH4), gaz acides, métaux lourds, dioxines, s’échappent des mines et des centrales, détruisent les milieux de vie des riverains, les sols, les sources d’eau, et causent l’acidification des pluies dévastant la faune et la flore. Ces pollutions traversent les frontières, voire même parcourent plusieurs milliers de kilomètres.

Les impacts sanitaires et sociaux sont tout aussi dramatiques. Selon un récent rapport de l’Alliance pour la Santé et l’Environnement , la production d’électricité à partir du charbon serait responsable, pour l’année 2009, de 18 247 morts prématurées, 8 580 bronchites chroniques. Elle équivaudrait de plus à 4 140 942 jours de travail perdus. L’implantation d’une mine engendre le déplacement des populations et pour les mineurs, des conditions de travail insoutenables (dangerosité, risques sanitaires, règlementations non respectées, etc). Enfin, les mines de charbon ont une durée d’exploitation limitée : le gisement s’épuise, et la fermeture des mines et des centrales engendre licenciements, appauvrissement social et désœuvrement des régions productrices.

Une renaissance irresponsable

Pourtant, l’extraction et la combustion de charbon en Europe est en pleine renaissance. En 2011, les pays de l’Union européenne (UE) en ont produit 561,4 millions de tonnes [[Selon les données d’Eurocoal]]. La Pologne, l’Allemagne, la République Tchèque, le Royaume-Uni et la Roumanie sont les principaux producteurs. Au total, 25 % de l’électricité consommée par les Européens provient des centrales à charbon. Mais cette demande n’est pas sans conséquences économiques. 13 des Etats membres ne produisent pas le charbon qu’ils consomment : ils sont donc pleinement dépendants des importations. En 2010, 24 des 27 Etats membres ont été importateurs nets de charbon [[Selon les données d’Eurostat]]. Récemment, le développement de l’exploitation des gaz de schiste aux Etats-Unis a engendré une diminution de l’exploitation locale de charbon, et donc une augmentation massive des exportations vers l’Europe. Les pays européens profitent alors de l’aubaine d’un charbon à prix bas, et relancent sur ce prix artificiel les centrales à charbon. En France, les chiffres sont édifiants : entre septembre 2011 et septembre 2012, la consommation de charbon pour la production d’électricité a augmenté de 79 % ! Elle aurait pourtant dû diminuer, comme toutes les énergies fossiles, si la France souhaitait respecter ses obligations de réductions de GES.

En effet, le recours au charbon constitue une violation flagrante de l’engagement de l’Europe à stabiliser le climat. Si l’Union européenne veut effectivement cantonner l’augmentation de la température du globe à 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, alors il faut qu’elle réduise ses émissions de CO2 de 80 à 95 % d’ici 2050 par rapport à leur niveau de 1990. Même la Commission européenne reconnaît que cela suppose une quasi-totale décarbonisation de l’Union européenne [[European Commission, A Roadmap for moving to a competitive low carbon economy in 2050, March 2011]]. Le Postdam Institute for Climate Impact Research estime quant à lui qu’il ne faut pas consommer plus d’un tiers des ressources fossiles connues avant 2050 pour stabiliser le climat. Pour autant, la législation européenne est timide sur le sujet : la Directive sur les grandes installations de combustion de 2001 [[Directive 2001/80/CE du 23 octobre 2001 relative à la limitation des émissions de certains polluants dans l’atmosphère en provenance des grandes installations de combustion]] ne fait qu’établir des seuils de pollution, autorisant les centrales âgées à se moderniser ou de nouvelles centrales équipées de dispositif supposément « propres » de se multiplier.

Manque de volontarisme politique, recherche de solutions économiques court-termistes : et voilà l’Europe qui retombe dans les « boyaux géants » du charbon. « L’énergie produite aujourd’hui est fondamentalement aussi sale qu’il y a 20 ans » annonce Maria van der Hoeven, la présidente de l’AIE . Les grandes perdantes sont les énergies renouvelables. Entre 2001 et 2010, au niveau mondial, l’électricité provenant de sources non fossiles a augmenté de moitié moins que celle du charbon ! Et pourtant, ce sont les énergies renouvelables, alliées à d’importants efforts pour réduire la consommation d’énergie, qui permettent la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, la dynamisation de l’emploi local et qualifié. Surprenant paradoxe que ce renouveau du charbon anthropophage dans un contexte de crise environnementale. Puisqu’on éclaire l’Europe comme au XIXe siècle, alors à un personnage du 19e le soin de porter une conclusion sur la situation actuelle, et l’Etienne Lantier de Zola de s’insurger : « N’était-ce pas effroyable ? un peuple d’hommes crevant au fond de père en fils, pour qu’on paie des pots de vin à des ministres, pour que des générations de grands seigneurs et de bourgeois donnent des fêtes ou s’engraissent au coin de leur feu ! »