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Crédit Photo : Mélia Robinson pour Business Insider
Agriculture
20 septembre 2017

La bouffe « Made in Silicon Valley » sera-t-elle notre nourriture de demain ?

Voulons-nous vraiment produire notre nourriture avec des algues et des champignons brevetés, obtenus par génie génétique extrême, élevés dans des laboratoires et nourris avec des matières premières qui détruisent l'environnement et nécessitent beaucoup de produits chimiques, comme le maïs GM ou la canne à sucre ?

Des levures modifiées par génie génétique extrême produisent de la léghémoglobine de soja pour hamburger végétal

En mars 2017, a eu lieu à San Francisco la “Future Food Biotech Conference” ou conférence sur l’avenir des biotechs dans l’alimentation (Voir site de la conférence). Les multinationales de l’agro-alimentaire et de l’agro-chimie, les investisseurs de la Silicon Valley, les agences de relations publiques, le Top Ten des organisations de lobby de la “Big Agriculture”, les start-ups des biotechnologies étaient réunies pour planifier l’avenir de notre système alimentaire et attirer les investissements dans ce secteur. Des entreprises allant de PepsiCo à Cargill étaient présentes, tout comme Ketchum, l’ancienne agence de relation publique de Wladimir Poutine. Tout aussi remarquable était l’absence des experts de l’agriculture de régénération, des groupes de consommateurs, des association pour la justice alimentaire et des autres organisation qui jouent un rôle important pour l’avenir de notre système alimentaire.

A quoi ressemble donc l’avenir de cette alimentation biotech ? D’après le site de la conférence, il s’agit “d’innovations et d’investissements de la ferme à la fourchette”, mais si l’on en croit le programme, ce futur apparaît plutôt comme allant “du laboratoire à la fourchette”.

Vous avez peut-être entendu parler du nouveau hamburger sans viande 1 l’”Impossible Burger”, de la nouvelle stevia de Cargill obtenue par biologie synthétique et de la pomme transgénique détenue par Intrexon.

Tous ces produits font appel à de nouvelles techniques expérimentales de génie génétique qui soulèvent de nombreuses questions chez les consommateurs, les agriculteurs et les écologistes.

Cette nouvelle génération d’aliments obtenus par génie génétique – que certains appellent OGMs 2.0 – pénètre rapidement notre système alimentaire. De nouvelles méthodes permettent de manipuler génétiquement des organismes comme les algues afin de produire des produits en remplacement d’ingrédients à base de plantes ou d’origine animale. Elles permettent aussi d’intervenir sur l’ADN pour activer ou désactiver des gènes ou tout simplement pour les supprimer. Vous entendrez peut-être aussi parler de “fermentation”, de biologie de synthèse, d’édition de gènes, mais ces nouveaux ingrédients sont tous obtenus par génie génétique et ne sont presque jamais étiquetés comme tels.

Ces nouveaux produits obtenus par génie génétique sont commercialisés avant qu’aucune règlementation ne soit en capacité d’en évaluer les risques sanitaires ou écologiques ou de les contrôler. Alors que les vieux OGM que l’on retrouve sur les rayons de nos magasins sont essentiellement du maïs, du soja ou du colza GM, manipulés génétiquement pour tolérer des doses massives d’herbicides toxiques, une banque de données consacrée à la biologie de synthèse montre que des centaines de produits obtenus par génie génétique sont commercialisés ou sur le point de l’être.

Avant d’accepter cette conception de l’avenir basée sur la “bouffe biotech”, nous devons poser quelques questions importantes sur cette nouvelle vague d’aliments modifiés génétiquement.

Qu’il y a-t-il vraiment dans ces produits ?

A première vue, le but de l’Impossible Burger de réduire la consommation de viande parait important. L’élevage industriel provoque en effet des problèmes urgents et graves. Mais alors que les citoyens font pression pour avoir de vrais aliments produits de façon durable, est-ce que ces produits biotech sont la bonne réponse ?

L’Impossible Burger a reçu une couverture médiatique dithyrambique pour son produit “à base de plantes”.Par contre, les détails sur ce qu’il y a réellement dedans sont restés très flous. L’ingrédient essentiel de l’Impossible Burger est la léghémoglobine de soja (SLH) obtenue par biologie de synthèse à partir d’une levure conçue par génie biologique. D’après le Washington Post, c’est cette protéine qui donne au hamburger son goût de viande. Mais Impossible Foods, la firme qui le produit, ne dit pas ce qu’est réellement ce “sang végétal”, alors qu’il s’agit de l’argument de vente principal de l’Impossible Burger. Impossible Foods ne fournit pas plus d’informations claires sur les études d’innocuité ou sur l’impact environnemental. Attitude tout à fait courante de nombreuses start-ups dans le secteur de la biologie de synthèse.

Nous sommes, avec beaucoup d’autres organisations de la mouvance écologiste et pour le bien être animal, tout à fait favorables à une réduction de cette consommation insoutenable de viande. Les citoyens exigent de plus en plus la transparence et de “vrais” aliments. Les consommateurs s’éloignent à grande vitesse de la nourriture transformée et industrielle. Il semble donc que des alternatives à la viande – sans OGM, biologiques, à base de plantes et présentant beaucoup moins de risques – devraient être une orientation plus judicieuse.

Ces produits sont-ils sans danger ?

Toute modification du génome peut avoir des conséquences sur l’organisme, les espèces ou l’écosystème. C’est pour cela que les études de risques sont importantes. Alors que le ministère de l’Agriculture propose des règlementations et que des évaluations sont suggérées, elles sont truffées de vides juridiques qui permettent à de nombreux aliments obtenus par édition de gènes de se glisser dans les failles de la règlementation.

L’Organisation mondiale de la santé précise qu’il n’est pas possible de déclarer une innocuité générale des OGM, mais qu’il faut au contraire décider au cas par cas. En l’absence de telles études, nous tâtonnons dans le noir et prenons des décisions capitales pour notre système alimentaire. Les entreprises qui mettent sur le marché ces produits s’auto-règlementent

Les entreprises qui mettent sur le marché ces produits s’auto-règlementent en fait et demandent à leurs clients de leur faire aveuglément confiance.

Mais au vu de notre expériences avec les premiers OGM pourquoi les citoyens devraient-ils les considérer dignes de leur confiance ?

Les premiers OGM ont été marqués par toute une série de problèmes et de promesses non tenues. Nous serions d’autant plus avisés de ne permettre aucune nouvelle vague d’aliments obtenus par génie génétique, sans que ne soient prises des mesures nécessaires pour mener une évaluation des risques rigoureuse, transparente et indépendante.

Où sont les données sur la durabilité ?

Pendant deux décennies on nous a rabâché les bienfaits des OGM, promesses jamais réalisées, et aujourd’hui nous devons supporter la même rengaine à propos des OGM 2.0, sans aucune preuve pour l’étayer. Terra Via qui produit l’huile de cuisine Thrive affirme qu’elle est durable, bien qu’elle soit obtenue à partir d’algues modifiées par génie génétique et élevées dans des cuves avec comme principaux éléments nutritifs du sucre de canne ou du maïs GM.

Sur quelles données repose cette affirmation ? Quel est le bilan écologique des matières premières nécessaires pour nourrir les algues obtenues pas génie génétique ? Quel est l’impact de ce produit durant tout son cycle de vie ? Comment les ingrédients obtenus par génie génétiques sont-ils confinés ? Voici quelque unes des questions qui doivent trouver des réponses transparentes avant que ces produits ne puissent raisonnablement se parer du terme de durables.

Où est l’étiquetage ?

Les investisseurs et les entreprises frétillent à l’idée d’utiliser ces nouvelles techniques de génie génétique, mais font tout leur possible pour tromper les consommateurs. Certains de leurs nouveaux produits sont même trompeusement étiquetés comme non-OGM ou naturels, bien qu’ils proviennent d’organismes obtenus par génie génétique et cultivés en laboratoire.

Alors que ces entreprises se concentrent sur la commercialisation de leurs produits, la transparence passe aux oubliettes. Est-ce que Impossible Foods, la firme qui vend l’Impossible Burger, va dire à ses clients que l’ingrédient secret de ce hamburger est une protéine obtenue par génie génétique ? Les enquêtes d’opinion montrent invariablement que les consommateurs veulent que les OGM soient étiquetés en tant que tels sur les emballages. Pourtant, jusqu’à présent les entreprises qui vendent des produits contenant de nouveaux OGMs le taisent, y compris Impossible Foods. Les consommateurs vont-ils faire confiance à des entreprises comme PepsiCo qui fait partie de ces entreprises qui ont dépensé des millions de dollars pour empêcher les consommateurs de savoir s’ils mangeaient des OGMs anciens ? Et est-ce que les entreprises qui font la promotion de ces nouveaux OGM ont compris qu’elles ne peuvent cacher la vérité sur ce quelle donnent à manger aux citoyens ?

Est-ce que quelqu’un veut de ces produits ?

Est-ce que les consommateurs demandent des pommes qui ne pourrissent pas ou des hamburgers avec du sang végétal obtenu par génie génétique ? Les statistiques du marché montrent que les consommateurs veulent savoir d’où vient leur nourriture et comment elle a été produite.

Comme l’écrivait Beth Kowitt dans le magazine Fortune en 2015 : “Ce que veulent les gens est pourtant simple : simplicité… et moins d’ingrédients dont ils ne peuvent se faire idée de ce qu’ils sont”.

Voulons-nous vraiment produire notre nourriture avec des algues et des champignons brevetés, obtenus par génie génétique extrême, élevés dans des laboratoires et nourris avec des matières premières qui détruisent l’environnement et nécessitent beaucoup de produits chimiques, comme le maïs GM ou la canne à sucre ? Ou voulons plutôt aller vers un système alimentaire qui repose sur une agriculture transparente, biologique, régénérant les sols, durable et bonne pour la santé des agriculteurs, des ouvriers agricoles, de notre planète et des consommateurs

D’après la FAO, l’organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation, les dégâts écologiques que provoquent l’agriculture industrielle coûtent au niveau mondial 3000 milliards de dollars chaque années. Cela va de l’érosion des sols, l’épuisement des réserves en eau, des “zones mortes” dans les océans provoquées par le ruissellement des engrais, à la production de certains des principaux gaz à effet de serre. Ces nouvelles techniques alimentaires sont risquées et peuvent poser des problèmes alors qu’on nous les présente trompeusement comme des solutions. Ne devrions pas plutôt investir dans des techniques agricoles reconnues, bénéfiques et qui régénèrent les sols, et des aliments transparents et biologiques comme le demandent en fait les consommateurs ? Il y a toute une série de rapport parus ces dix dernières années, dans lesquels les experts d’accord pour affirmer que l’approche agro-écologique de l’agriculture est fondamentale pour nourrir tous les humains, aujourd’hui et à l’avenir.

A quoi devrait ressembler le système alimentaire que nous souhaitons à l’avenir et est-ce qu’on ne devrait pas tous avoir notre mot à dire ?

Article de Dana Perls, responsable de la campagne “Alimentation et technologies” des Amis de la Terre Etats-Unis, paru en mars 2017, sur le site de SynBioWatch sous le titre “Is ‘Food-Tech’ the Future of Food ?”

Crédits photo : Mélia Robinson pour Business Insider