Le Grand Inga en République démocratique du Congo
Les Amis de la Terre France publient en partenariat avec trois organisations belges la traduction en français d’un rapport sur le méga-projet du Grand Inga en République démocratique du Congo et l’implication de la Banque européenne d’investissement dans les grands barrages.
« Sous couvert de fournir de l’énergie aux populations africaines, les institutions financières internationales cherchent à investir des dizaines de milliards d’argent public dans un projet qui ne profitera qu’à de grandes entreprises multinationales et enverra peut être l’énergie africaine alimenter les foyers européens » explique l’auteur du rapport Anders Lustgarten de la Coalition CounterBalance et de Bretton Woods Project.
Ce rapport raconte l’histoire de ce qui pourrait être le plus grand barrage du monde : un mégaprojet d’un coût estimé à 80 ou 100 milliards de dollars qui produirait 40 000 mégawatts, soit plus de deux fois la puissance du tristement célèbre barrage des Trois Gorges en Chine. Ce projet appelé Grand Inga alimente les rêves les plus fous comme celui de construire une ligne de près de 6 000 km de long traversant les jungles équatoriales du Congo-Brazzaville et de la République Centrafricaine, le Darfour, le Soudan et le désert du Sahara jusqu’en Égypte avant de franchir la mer Méditerranée pour fournir de l’électricité non pas aux populations africaines pauvres mais aux riches consommateurs européens.
Pourtant la RDC s’est déjà endettée massivement dans les grands projets hydrauliques sans que cela ne profite aux populations. Par exemple, en 2008 la Banque européenne d’investissement a signé deux prêts d’un montant de 110 millions d’euros en faveur de la réhabilitation des centrales hydroélectriques d’Inga I et II et des infrastructures connexes de transport et de distribution. Or le manque de suivi de ces travaux par les financeurs n’a pas permis d’obtenir des résultats positifs de ce projet de réhabilitation pour la population congolaise. De plus, la compensation des personnes déplacées par Inga I et II est aujourd’hui loin d’être équitable : les personnes déplacées vivant sur le Camp Kinshasa ne bénéficient toujours pas d’eau potable, d’assainissement, d’électricité, d’école ou d’établissements de santé… De plus dans un pays où seuls 11 % de la population a accès à l’électricité, ces barrages sont principalement reliés aux mines du Katanga… Ce bilan désastreux n’empêche pas l’éternel recommencement des erreurs du passé.
La sécurité énergétique de l’Europe comme objectif ?
En dehors de la perspective d’énormes bénéfices, ce qui motive vraiment le projet du Grand Inga est la peur de l’Union européenne de manquer d’énergie.
En effet l’Union européenne consomme plus de 1 700 millions de tonnes équivalent pétrole (Tep) par an et selon la Commission européenne : « Le défi de l’énergie est l’une des épreuves les plus périlleuses que l’Europe doit affronter »[1]. La consommation européenne ne cesse d’augmenter tandis que la production diminue, rendant l’UE de plus en plus dépendante. Elle importe ainsi plus de 52 % de son énergie totale et sa dépendance envers le pétrole et le gaz s’élève jusqu’à 83,5 % et 64,2 % respectivement .
Désormais inscrite dans le traité de Lisbonne, « la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie vise la sécurité de l’approvisionnement énergétique dans l’Union [2] ». L’une des priorités de cette nouvelle stratégie énergétique, étroitement liée aux objectifs de la politique étrangère et de sécurité de l’UE, est de » renforcer la dimension extérieure du marché de l’énergie de l’UE. »
En d’autres termes : s’assurer que les projets d’infrastructures stratégiques dans les pays tiers (tel que le présent barrage du Grand Inga en RDC) soient mis en œuvre, le plus souvent au nom des visées louables du « développement », de l’éradication de la pauvreté et/ou du développement durable. De fait le projet du Grand Inga s’inscrit dans un ensemble colossal d’oléoducs et de gazoducs, de panneaux solaires et de lignes à haute tension dont le coût total s’élève à des centaines de milliards de dollars, que l’Union européenne cherche à construire en Afrique, en Asie centrale et dans le Caucase afin d’assurer l’approvisionnement en énergie de son territoire.
On retrouve cette course à l’approvisionnement également pour les minerais et les agrocarburants en vue de « sécuriser notre mobilité future [3] » en faisant fi des conséquences sociales et environnementales des projets miniers et des nombreuses études qui démontrent que les agrocarburants ne sont en rien bénéfiques à la lutte contre les changements climatiques et font flamber le prix des matières agricoles.
Alors que les modèles de consommation des pays développés requièrent 10 fois plus de ressources naturelles par habitant que celles des pays pauvres, l’Union européenne reste très réticente à l’idée de réduire sa consommation et continue à privilégier le concept de « sécurisation à l’accès ». Conséquence : l’Europe continue à exercer une pression insoutenable et un accaparement inacceptable de l’espace écologique des pays du Sud. Ceci est d’autant plus choquant que des institutions financières internationales telles que la Banque mondiale ou la Banque européenne d’investissement, au nom d’impulser le « développement » dans les pays du Sud, participent à de tels projets alors qu’on sait bien qu’in fine ces derniers ne font que servir les intérêts des pays et entreprises occidentales.
Les projets de développement dans les pays du Sud doivent être orientés vers les besoins des populations locales et mis en en œuvre par et avec celles-ci. Dans le même temps, il est urgent que l’Union européenne entame une réduction de sa consommation de ressources naturelles et engage une transition plus juste, et écologiquement soutenable, vers un meilleur partage des ressources naturelles.
Sommaire du rapport
Préface
Introduction : A cette époque il y avait pas mal d’espaces blancs sur la terre
Première partie : Aux origines
Deuxième partie : Le cœur des ténèbres
– Le projet
– Une très, très, très longue ligne
– « On s’occupe déjà de votre vie, attendez un peu ! »
– Un mauvais jour pour un baptême
– L’attaque des vautours
– Station de lavage italienne et fièvre de cheval
Troisième partie : Le nouvel impérialisme de l’énergie
Quatrième partie : Une fin (presque) heureuse ?
Annexe : Développements Récents
Remerciement
Notes :
– [1] Commission européenne, Energie 2020 Stratégie pour une énergie compétitive, durable et sûre, 2011, p.2.
– [2] Article 194 du Traité de Lisbonne
– [3] Commission Européenne, Biofuels in the European Union A vision for 2030 and beyond, 2006
Télécharger le rapport complet ici :