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Multinationales
12 octobre 2017

Non à l’APE en Afrique de l’Ouest

En 2016, quarante organisations de la société civile du Nord et du Sud (dont ActionAid France et Les Amis de la Terre) ont lancé une pétition pour stopper l’Accord de partenariat économique (APE) initié par l’Union européenne en 2000 et censé favoriser le développement économique et réduire la pauvreté en Afrique de l’Ouest.

Mais en contraignant cette dernière à supprimer la plupart de ses protections commerciales vis-à-vis des importations de produits européens, l’APE servirait avant tout les intérêts d’une poignée de multinationales européennes au détriment des populations les plus vulnérables d’Afrique de l’Ouest.

Jusqu’à maintenant, l’Afrique de l’Ouest peut exporter librement ses productions – sans acquitter de droits de douane – vers le marché européen. En revanche les États ouest-africains conservent la possibilité de taxer les importations venant d’Europe. L’Union européenne exige désormais laréciprocité : pour continuer à bénéficier du traitement préférentiel européen, l’Afrique de l’Ouest devrait supprimer ses droits de douane sur 82% des importations d’origine européenne. Ce chantage s’appelle « APE ». Cette libéralisation des échanges consacrerait la liberté du renard européen dans le poulailler ouest-africain. L’APE mettrait en compétition la zone économique la plus riche avec une des régions les plus pauvres du monde : seuls 6 % des produits ouest-africains sont plus compétitifs que ceux de l’Union européenne ! C’est tout le tissu économique local de l’Afrique de l’Ouest, constitué de petites et moyennes entreprises et d’exploitations agricoles familiales, qui serait alors mis en danger par cet accord. De plus, l’Afrique de l’Ouest perdrait des recettes fiscales colossales, ce qui serait un handicap gigantesque pour
l’investissement des États dans le développement, y compris pour le soutien aux agricultures familiales et paysannes.

La pétition a récolté plusieurs dizaine de milliers de signatures mais depuis, des APE intérimaires ont été mis en oeuvre avec la Côte d’Ivoire et le Ghana. ActionAid France demande l’annulation de ces accords intérimaires et la non-ratification de tout autre APE. L’organisation a récemment fait venir en France, Ousmane Diallo, pour qu’il témoigne des impacts néfastes de ces accords de libre-échange.

Comment êtes-vous devenu paysan ?

Tout a commencé lorsque mon père est décédé. Je vivais alors à la capitale et rien ne me prédestinait à travailler au village, mais j’y suis revenu m’installer comme éleveur. J’ai hérité d’un troupeau et de 3
hectares de terre sur lesquels mon père faisait pousser du riz, auxquels j’ai ajouté un demi-hectare pour faire pousser des arachides et un demi-hectare pour du niébé (variété de haricot à graines). On m’a proposé d’animer l’association locale des agriculteurs et j’ai souhaité que nous adhérions à l’Association des organisations professionnelles paysannes (créée en 1995, l’AOPP) regroupe plus de 200 organisations paysannes, coopératives, unions, syndicats et organisations de femmes), qui m’a recruté au bureau régional, puis national.

Pourquoi êtes-vous venu récemment en France ?

Je suis venu pour parler des Accords de partenariat économique (APE) entre l’Europe et l’Afrique qui risquent de provoquer une catastrophe car on nous demande d’ouvrir nos marchés alors que les forces sont trop inégales. Nous luttons pour la dignité de notre profession et les APE risquent de faire disparaître les productions locales dans le domaine de l’agriculture. Nous demandons à l’Europe de laisser nos marchés devenir solides, comme l’Europe l’a fait avec la préférence communautaire après la seconde guerre mondiale. En France, très peu de personnes ont entendu parler des APE, même les parlementaires qui doivent voter les accords. Comme ActionAid France mène un combat sur ce sujet, j’ai naturellement accepté l’invitation de venir témoigner pour sensibiliser le public et des élu·e·s.

Qu’attendez-vous de la société civile française ?

Il n’y a malheureusement rien à espérer des gouvernements qui ont presque tous signé les accords. Mais pour entrer en vigueur, les APE doivent être votés par les parlements qui sont élus par nous, et donc plus attentifs à nos demandes. Dans les pays africains concernés, nous sommes très mobilisé·e·s pour empêcher la ratification (notamment des organisations telles la Coalition nationale sénégalaise contre
les APE, le ROPPA, la POSCAO, les Amis de la Terre Nigeria etc.). Nous comptons beaucoup sur la société civile européenne, notamment française, pour qu’elle agisse auprès de l’opinion publique et des parlementaires en Europe. Il faut que chacun·e sache les vraies conséquences de ces accords, qui ne sont pas celles qui sont affichées.

Interview de Ousmane Diallo de l’Association des organisations professionnelles paysannes du Mali.

Crédit photo : Eva-Lotta Jansson : ActionAid