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Forêt
19 janvier 2015

La forêt n’est pas inépuisable

L’apparente disponibilité de la forêt est un leurre. Décryptage des Amis de la Terre qui alertent sur la diminution du gisement et les arbitrages à faire dans le cadre d’une transition écologique.

A en croire les chiffres qui circulent, la forêt française serait en danger… de sous exploitation. Le Grenelle de l’Environnement a ainsi fixé à 21 millions de mètres cubes (Mm3) la quantité de bois supplémentaire à mobiliser à l’horizon 2020, un chiffre confirmé depuis par les Assises de la Forêt en 2014. Même le scenario Afterres 2050 – qui constitue le volet territorial du scénario de transition énergétique Negawatt – suggère la possibilité d’augmenter les prélèvements en forêt d’environ 60 Mm3 aujourd’hui à près de 110 Mm3 en 2050. La disponibilité biologique des forêts françaises étant aujourd’hui de l’ordre de 130 Mm3 aujourd’hui, il n’y aurait aucun risque de surexploitation.

Mais pour les Amis de la Terre, ces chiffres masquent une réalité plus complexe. De nombreux rapports alertent déjà sur le déficit de bois en Europe : il irait de 230 Mm3 à 400 Mm3 de bois à l’horizon 2020.  Sur le banc des accusés : le développement des usages énergétiques du bois pour le chauffage, la production d’électricité et peut-être demain d’agrocarburants. En mai 2014, les Amis de la Terre Europe ont publié un rapport alarmant : il estimait qu’à l’horizon 2030, presque 40 % de l’espace productif forestier européen pourrait être mobilisé pour ce type d’usage.

Pour répondre à cette demande, les entreprises mobilisent une quantité croissante de bois d’éclaircie, de petits bois, de rémanents liés à l’abattage ou encore des sous-produits du bois issus du sciage. Même les souches et les brindilles, si importantes pour la fertilité des sols, intéressent les exploitants forestiers ! Jusqu’à présent ces gisements étaient le monopole des industriels de la trituration (industrie du papier et des panneaux) qui voient d’un très mauvais oeil la concurrence nouvelle des énergéticiens. Non seulement, il faut partager mais en plus le gisement diminue avec la crise que connaissent les industriels du sciage. Car en forêt, tout est lié : pour produire 1 m3 de sciage, il faut transformer environ 2 m3 de grumes de qualité, elles-mêmes issues de la découpe d’environ 4 m3 de bois en forêt ; autrement dit, à 1 m3 de sciage correspondent 3 m3 de « déchets » valorisables pour des usages énergétiques ou industriels.

Les forêts soumises à la rentabilité ?

Or les scieries françaises vont mal, en particulier les petites scieries de bois feuillus qui jouent un rôle si important en milieu rural : en vingt-cinq ans, la production de sciages a diminué d’environ 25 %. Une crise si profonde aujourd’hui que des bois de qualité (bois d’oeuvre) qui pourraient être valorisés en sciage partent en fumée dans les cheminées comme le note une étude du ministère de l’Economie : « Près de 28 % de la récolte de bois d’oeuvre n’est pas destinée à la première transformation. C’est un fait : de plus en plus de billes, notamment en hêtre, prennent la direction des industries de la trituration ou sont transformées en bois de chauffage. ».

Le risque est alors d’orienter la gestion des forêts françaises uniquement vers ce qui est économiquement rentable aujourd’hui – le bois d’industrie et d’énergie – et d’abandonner la tradition sylvicole de production de bois de qualité. Les impacts environnementaux et sociaux seraient catastrophiques. Car, avec une sylviculture proche de la nature, gérer une forêt pour produire des gros bois de qualité entraîne une augmentation du volume de gros bois mort, indispensable à de nombreuses espèces animales et végétales. A l’inverse, une monoculture de bois, avec des coupes très rapprochées, est compatible avec une valorisation énergétique ou industrielle, mais ne procure pas les mêmes bénéfices écologiques. En terme d’aménagement du territoire et d’emplois, les conséquences peuvent aussi être lourdes : mieux vaut un maillage de nombreuses petites scieries en milieu rural qu’une grosse usine de transformation.

Pour les Amis de la Terre, l’enjeu est donc de « re-politiser » la forêt c’est-à-dire d’ouvrir le débat aux citoyens et d’intégrer cette réflexion dans le cadre d’une transition vers des sociétés soutenables. La forêt, ça n’est pas que du bois, mais avant tout un écosystème dont le bois est une ressource, certes renouvelable, mais limitée. Des arbitrages sont donc indispensables entre les usages mais aussi les orientations de gestion. Aux arbres, citoyens !

> SYLVAIN ANGERAND

Les Amis de la Terre. Cet article est issu du dossier de la Baleine 178 – Les pièges verts de la biomasse réalisé en partenariat avec Reporterre

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