Forêt
22 décembre 2007

Géopolitique des Agrocarburants : Manifeste pour un dé-développement

"Le chemin que nous proposons, depuis le Sud" par Sur Global.

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“La reproduction de l’état actuel de la civilisation occidentale prédatrice, dont la doctrine est le néolibéralisme globalisé, a pour base matérielle le pétrole.La transition vers une société post-pétrolière et vers un sens nouveau du mot « développement », la construction d’une Voie pour dépasser le capitalisme, se feront sur des bases écologiques ou ne se feront pas. Une bouffée d’air frais en provenance d’Amérique du Sud et Centrale !
Grand merci à Juanito des Amis de la Terre-Landes pour sa contribution précieuse pour la traduction.

La géopolitique des agrocarburants

Une première réunion des organisations du Sud eut lieu en Equateur (Latitude 0), du 27 Juin au 1 Juillet 2007 pour discuter sur les agrocarburants et le défi du ” développement ” dans une société post-pétrolière. Nous, le Sud Mondial (Sur Global), nous invitons à un débat en ces termes :

Nommés de façon appropriée AGROCARBURANTS par les mouvements sociaux, les ” biocarburants ” – et toute la production d’énergie à partir de la biomasse telle qu’elle a été promue par les gouvernements, les multinationales, les agences d’aide au développement, les Nations Unies, les institutions financières internationales et les autres acteurs intéressés par son développement à grande échelle et sa commercialisation au niveau international – ne changent pas, mais au contraire, perpétuent le modèle de production et de consommation de la civilisation moderne, urbaine et industrielle.

La crise écologique et énergétique qui frappe toute la planète, en particulier l’urgence de freiner le réchauffement planétaire et d’ouvrir la voie à une transition vers une société et une économie post-pétrolières, nous obligent à une analyse plus profonde et à des changements politiques vraiment transformateurs. Tout en reconnaissant qu’il est nécessaire de chercher des énergies renouvelables alternatives, il est indispensable d’analyser en termes structurels, la stratégie mondiale qui fait fébrilement la promotion de l’agro-énergie.

Les hydrocarbures sont la principale force motrice de l’économie mondialisée, où l’extraction et le contrôle des carburants fossiles ont une relation intrinsèque avec les réseaux du pouvoir qui contrôlent le monde en contrôlant l’énergie. De plus, nous pouvons confirmer que dans cette civilisation pétrolière les principaux malheurs, catastrophes climatiques, guerres, famines, déplacements forcés et esclavage sont précisément liés au contrôle militaire des territoires et de l’énergie fossile.

La matrice énergétique/industrielle basée sur les carburants fossiles, qui soutient l’actuelle civilisation urbaine industrielle et l’état de développement, est en crise. Ces sources d’énergies sont en train de s’épuiser, donc le capitalisme cherche désespérément de nouvelles formes de production d’énergie, y compris les agrocarburants. Pour nous, pays agroexportateurs du Sud, soumis à cet état par la logique de la dette externe et de l’histoire coloniale, les agrocarburants incarnent un nouvel ancrage du modèle de l’agrobusiness et de l’agriculture industrielle. Celle-ci rassemble les monocultures, les biotechnologies, les agrotoxiques, le capital financier et l’exportation.

Les agrocarburants représentent la mise en place d’une nouvelle géopolitique mondiale.

Les précédents et les axes de résistance : la Souveraineté Alimentaire.

Le modèle de l’agriculture industrielle, qui a commencé avec la Révolution Verte, est pétro-dépendant pour l’énergie et les facteurs de production. La fin de l’ère des énergies fossiles entrainera la mort de l’agriculture industrielle. De plus, les plantations, une invention coloniale, sont la racine historique des monocultures industrielles actuelles. Cette invention coloniale reproduit et multiplie sa rationalité et sa logique productive.

Le contrôle du système agroalimentaire mondial constitue un des principaux éléments de la mondialisation. Les effets des politiques néolibérales sur les zones rurales, l’expansion de l’agro-biotechnologie, la prolifération des accords de libre-échange, y compris la lutte contre un Accord sur l’Agriculture à l’OMC, tous ces facteurs furent la force catalysatrice d’un mouvement paysan international (la Vía Campesina). De même, la privatisation des ressources et des écosystèmes naturels dans les territoires indigènes a renforcé la résistance des Peuples Autochtones.

Le projet politique de ces mouvements est la ” Défense de la Souveraineté Alimentaire”. Elle s’exprime par le droit des peuples à décider et à contrôler leurs politiques de production, de distribution et de consommation des aliments, et la commercialisation ou non des excédents, seulement après avoir garanti les besoins de la population par les ressources propres à leur territoire. Cela devrait être en accord avec leurs pratiques culturelles et environnementales. C’est un projet radical qui exige la transformation des économies agro-exportatrices du Sud et la transformation des modèles de consommation du Nord.

Puisque la protection des ressources naturelles comme la terre et l’eau est inséparable de la pratique de l’agriculture, les décisions sur leur utilisation et leur gestion ne peuvent pas être prises par des producteurs individuels en fonction de la propriété privée de la terre. Ainsi, la Souveraineté Alimentaire, en tant que principe politique, propose que l’autodétermination des peuples soit garantie par une décision collective sur la production des aliments et sur les activités agricoles, pastorales, de pêche et de cueillette. Cela fait de la Souveraineté Alimentaire un principe fondamental.

L’industrialisation de l’agriculture, par sa nature même, entraine l’expulsion des paysans et elle incarne une agriculture sans agriculteurs. Elle affecte dés le départ toute la société. Elle implique l’expropriation des communautés et le pillage des territoires, la concentration et la privatisation de la terre et des sources d’eau, l’érosion de la biodiversité, la destruction des écosystèmes naturels, la violence et la militarisation pour le contrôle des ressources naturelles.

En tenant compte de la richesse du débat politique collectif développé par les mouvements sociaux, nous posons le problème des agrocarburants – que nous avons déjà défini comme un renforcement de l’agrobusiness – en termes de Souveraineté Alimentaire.

Ce processus de marginalisation des communautés qui commence dans les zones rurales, est la cause d’une urbanisation accélérée, qui elle-même provoque la crise de l’énergie, des infrastructures, des logements, de l’alimentation, de la santé et autres services de base, de l’emploi et de l’accès à la nourriture dans les villes. La pauvreté urbaine engendre la violence, les conflits et le malaise social qui caractérise les grandes villes du Sud.

C’est un processus mondial, hégémonique et dialectique, qui a conduit à une crise écologique et énergétique incontestable. Cette crise ne peut pas être “résolue “par des réponses technologiques comme les semences transgéniques, présentées comme solution à la ” faim”, alors que leur objectif final est le contrôle de la production agricole, l’imposition des droits de propriété intellectuelle et la commercialisation de la Vie et de la Nature. Les agrocarburants, promus pour résoudre une possible crise énergétique, sont une fausse solution au problème du changement climatique. Ils ne tiennent pas compte des problèmes structurels posés par les agglomérations urbaines qui sont approvisionnées par des marchandises transportées depuis différents points de la Planète. Cela oblige les gens à se déplacer sur des distances de plus en plus grandes et cela engendre une demande d’énergie sans fin.

La solution ne peut pas non plus venir des instruments mercantiles comme le commerce du carbone, la vente de services environnementaux, les certifications “vertes”, les tables rondes “sur la durabilité”, l’introduction des plantations de carbone dans les projets de Mécanisme de Développement Propre du Protocole de Kyoto (MDP) et d’autres trouvailles dont l’environnementalisme de marché fait la promotion. Ces instruments engendrent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent. Nous nous opposons radicalement à ces propositions et à ces positions.

L’idéologie du “développement”, élaborée après la seconde guerre mondiale comme une manière d’étendre le colonialisme, cache la continuité et le renforcement de la logique de pillage. Autour de cette idéologie, on créa des pratiques, des institutions et des structures qui, au nom du développement, ont prolongé et diversifié les façons de piller le Sud. A la fin du XX ème siècle, le développement s’habilla en vert et le terme ” développement soutenable” fut créé pour ” soutenir” la domination du modèle colonial.

Les points exposés ci-dessus sont le résultat du débat qui eut lieu durant notre réunion. Ils expriment l’ensemble et la complexité des réflexions que nous avons menées sur le sujet. Nous considérons que ces points ne sont pas négociables. Si vous partagez notre vision, nous vous invitons à continuer la lecture.

La géopolitique des agrocarburants

La soumission des systèmes agricoles locaux au modèle industriel et à une demande énergétique exogène, est une question politique qui suppose des relations de pouvoir sur les écosystèmes et les peuples. Ce pouvoir se manifeste à deux niveaux bien définis :

Premier niveau : On satisfait l’actuelle dépendance mondiale des combustibles fossiles par une géopolitique de guerre.

Pour garantir le contrôle des ressources en hydrocarbures, et maintenant en agrocarburants, les pays industrialisés et leurs sociétés transnationales, ont développé des mécanismes aussi bien économiques et financiers que politiques et militaires. A cet égard, on a élaboré des accords commerciaux internationaux qui permettent un libre accès aux ressources par l’intermédiaire des lois du marché. Ces accords commerciaux, bilatéraux ou multilatéraux vont de pair avec le développement des projets d’infrastructures (canalisations pour transporter le gaz, le pétrole, les minéraux et aujourd’hui les agrocarburants comme l’éthanol ou le biodiesel ; routes, voies fluviales, ports, infrastructure de traitement, de stockage et de vente de carburants, lignes électriques, etc..).
Les institutions financières internationales, en utilisant diverses stratégies et mécanismes, piègent les pays dans une spirale de dépendance et de mort, par exemple par l’intermédiaire de la dette. Quand un gouvernement ou son peuple essaie de rompre avec cette dépendance, il court le risque de subir des représailles économiques, politiques ou militaires. La géopolitique du pétrole est conçue non seulement pour avoir accès aux hydrocarbures, mais aussi pour contrôler leur distribution. Cela explique les nombreux conflits armés au Moyen Orient, en Afghanistan et dans le Caucase, où entre en jeu le contrôle des itinéraires de transport du brut de la mer Caspienne par les entreprises américaines, européennes et russes, et leurs gouvernements.
De même qu’on a construit une nouvelle géopolitique pour assurer l’accès aux carburants fossiles, de même est-on en train de construire autour des agrocarburants un nouveau rapport de forces au niveau mondial. L’exemple le plus clair est l’alliance Lula-Bush (Brésil et Etats-Unis) pour créer un marché mondial de matières premières agroénergétiques, qui se traduit déjà par une nouvelle réorganisation du pouvoir mondial. Ainsi, quand le Brésil a annoncé le redémarrage de son programme nucléaire et du cycle d’enrichissement de l’uranium, il n’a pas suscité l’opposition qu’ont rencontrée des pays comme l’Iran ou la Corée du Nord. C’est que le Brésil fait aujourd’hui partie du cercle des amis de Bush et du pouvoir des intérêts américains.
Nous déclarons, catégoriquement et sans aucune ambigüité, que l’énergie nucléaire est inacceptable, cette position est non-négociable, peut importe la raison pour laquelle on fait la promotion de l’énergie nucléaire. L’humanité et l’environnement ont déjà suffisamment ressenti les impacts et les souffrances de ses conséquences.

Second niveau : La géopolitique des agrocarburants impose, au niveau mondial, une nouvelle réorganisation territoriale.

En premier lieu, cette réorganisation entraine la colonisation des territoires utilisés pour les cultures vivrières en vue de produire des matières premières énergétiques. Il se produira alors des impacts en chaine sur toute l’économie et les coûts, entrainant une évidente concurrence des prix sur les aliments. (On observe déjà la montée des prix du maïs et des huiles dans différentes parties du monde. L’exemple le plus saisissant a été la guerre des ” tortillas ” à Mexico, début 2007).
A un plus large niveau, cette réorganisation, déjà liée à la seconde génération d’agrocarburants provenant d’espèces non alimentaires (eucalyptus, panicum virgatum, miscanthus, entre autres), entrainera l’occupation des terres à une échelle de croissance exponentielle. Ainsi, le remplacement du pétrole par les agrocarburants aura un impact plus grave sur la population rurale, entrainant de forts flux migratoires et une réduction dramatique de la production et de l’offre des espèces alimentaires. Les prix grimperont et l’accès à l’alimentation sera plus aléatoire.

Cette pression sur les territoires va s’accentuer au fur et à mesure que le slogan répété par ses promoteurs : ” On plantera les agrocarburants sur les terres prétendues marginales ou arides “. En réalité ses terres sont au-delà de l’actuelle frontière industrielle. Or ces terres alimentent justement avec des cultures non commerciales (plusieurs espèces de tubercules et de plantes potagères) la grande majorité de la population pauvre et paysanne, ainsi que les peuples indigènes d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine. C’est dans ces terres marginales que l’on essaie de planter des millions d’hectares de Jatropha. Ce Jatropha est promu comme culture miraculeuse dans les régions arides de l’Inde, du Sahel et de l’Afrique Occidentale.

Synthèse: La reproduction du capitalisme dans une société en transition vers l’ère post-pétrolière dépend en ce moment de l’appropriation et du contrôle, y compris militaire, de gigantesques étendues de territoire. La résistance doit prendre comme axe, de garantir l’intégrité de la souveraineté sur les territoires, garantissant ainsi la nourriture et l’énergie locale. Résister c’est construire les souverainetés énergétique et alimentaire tout en redéfinissant la souveraineté politique.

Les grands itinéraires des agrocarburants

Actuellement nous avons identifié les grands itinéraires centraux suivants pour les flux d’agrocarburants en provenance du Sud.

L’alliance autour de l’éthanol : Brésil, Etats-Unis et couloir d’Amérique Centrale

L’alliance stratégique et médiatique entre Lula et Bush – les deux pays leaders mondiaux dans la production d’ éthanol à partir, respectivement, de canne à sucre et de maïs – a un objectif évident : définir une nouvelle géopolitique pour l’Amérique Centrale et du Sud (pétrole contre agrocarburants), en poussant à la création d’un marché international de produits énergétiques qui mènerait à la réalisation d’une « Conférence Internationale sur les Agrocarburants », patronnée par l’ ONU et qui aurait lieu au Brésil en juillet 2008.

Dans ce contexte, le Brésil a comme projet politique de devenir le principal fournisseur d’agrocarburants et de technologie pour l’éthanol. Pour ça, le président Lula se présente comme le nouveau leader mondial du Sud. Ainsi, le Brésil a établi des alliances stratégiques avec la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud etc.… dans le but d’accéder au Conseil de Sécurité de l’ONU. Sur le plan économique, l’intérêt du Brésil est d’accéder au marché des Etats-Unis et de l’Europe, via les avantages douaniers qu’ont l’Amérique Centrale et les Caraïbes. Pour ce faire, il veut accroitre la production de canne à sucre et de palmiers à huile et augmenter également les usines de traitements dans ces pays.
Le Plan National d’Agroénergie du Brésil estime à 200 millions d’hectares la surface possible d’expansion des cultures énergétiques. Ce chiffre comprend la « reprise des terres dégradées, la reconversion des pâturages et le « reboisement » de l’Amazonie avec des palmiers ». Pour mettre ce plan en marche, on doit construire un réseau de pipe-lines pour éthanol (éthanolducs), des usines d’approvisionnements et de traitements, des ports, des routes et des hydrovoies (voies fluviales). Cela augmentera l’utilisation du fer provenant des mines du Gran Carajás, la destruction des écosystèmes naturels et du tissu social dans cette partie de l’Amazonie. De plus, cela augmentera de façon spectaculaire la production de ciment et de béton, une des industries consommant le plus d’énergie.

Du grenier du monde à la raffinerie mondiale : le soja transgénique en Argentine et dans le Cône Sud.

La transformation du paysage rural argentin en une monoculture de 17 millions d’hectares de soja transgénique n’a pris que 10 ans. Les productions de céréales, de viande et d’autres aliments furent remplacées par la production d’un seul produit pour l’exportation, concentrée dans les mains des principales multinationales du commerce international. Etant maintenant le premier exportateur mondial d’huiles, l’Argentine cherche à devenir le principal fournisseur pour la demande européenne de biodiesel. C’est pour cette raison que le gouvernement argentin a déjà demandé des tarifs douaniers préférentiels à l’Union Européenne.
En pariant sur l’exportation d’agrocarburants, l’agrobusiness a mis en marche une chaîne de production de biodiesel en association avec des capitaux nationaux comme Vicentín, AGD-Bunge S.A et SACEIF–Louis Dreyfus et des capitaux du secteur pétrolier Repsol-YPF et ceux d’une entreprise publique argentine ENARSA. Ces dernières participent à des projets évalués à entre 25 et 30 millions de dollars.
Il faut donc satisfaire la demande d’huiles et de grains pour l’exportation – à laquelle s’ajoute maintenant celle du biodiesel de soja – et respecter les exigences réglementaires domestiques (incorporation obligatoire d’un pourcentage d’agrocarburant dans les combustibles fossiles). Pour y arriver, la déforestation de 4 à 7 millions d’hectares supplémentaires de forêts primaires est programmée afin de faire progresser les plantations de soja et on prévoit aussi le déplacement des arbres fruitiers de montagne, des cultures maraichères et des cultures irriguées de la Patagonie. De plus, 3 à 4 millions de tonnes de soja devront être importées de Bolivie, du Brésil et plus spécialement du Paraguay.

Pour cela, on a accéléré la construction de la voie fluviale Paraguay-Paraná, voie d’écoulement des marchandises produites dans le territoire intérieur et menant au port de Rosario (et sa zone de raffinage). Cette voie fluviale fut projetée dans le cadre de l’Initiative pour l’Intégration de l’Infrastructure Sud-Américaine (IIRSA). L’IIRSA prévoit la construction de routes, de canaux et de barrages, avec des investissements significatifs du secteur privé extractifs et de l’agrobusiness.
Voilà la colonne vertébrale qui soutient le projet politique et territorial de l’agrobusiness dans le Cône Sud et qui transcende les frontières des états pour établir une zone d’expansion de la production et un mouvement des marchandises en vue de l’exportation vers le nord. Cette colonne vertébrale est consolidée par la production des agrocarburants.

La triste histoire de l’huile de palme.

Les plantations de palmiers dans les écosystèmes naturels et les territoires indigènes.

Actuellement, 88% du commerce mondial de l’huile de palme provient de Malaisie et d’Indonésie, chiffre qui suit l’expansion de la surface couverte par cette culture. Ces 20 dernières années la production a doublé en Malaisie et a triplé en Indonésie, entrainant la disparition de leurs forêts tropicales. L’augmentation des plantations de palmiers en Malaisie et en Indonésie fait suite à la demande croissante d’huile de palme pour le marché européen.
Malgré les discours officiels, certifiant que l’industrie du palmier à huile n’a pas provoqué de déforestation, le gouvernement du Sarawak, en Malaisie orientale, a admis qu’il a concédé 2,4 millions d’hectares de forêts pour les palmiers à huile, la pâte à papier et le papier. Ce chiffre peut atteindre 3 millions d’hectares fin 2007, représentant le quart de la surface du Sarawak. Les plantations industrielles de palmiers sont souvent la propriété d’entreprises multinationales du bois. Celles-ci, après avoir déboisé leurs concessions pour l’extraction du bois, en feront des monocultures de palmiers, transformant la forêt en huile.

Même si ces forêts sont réclamées par les communautés indigènes comme faisant partie de leurs territoires traditionnels, et bien que de nombreuses communautés dépendent des ressources de la forêt pour leur subsistance, ni la législation, ni le gouvernement n’ont reconnu totalement leur droit coutumier; et malgré leurs protestations incessantes, les plantations de palmiers continuent de s’étendre.
Dans d’autres pays tropicaux, aussi, l’huile de palme représente la principale source de production de biodiesel, aux dépens des écosystèmes naturels et des territoires indigènes. Le cas le plus préoccupant est celui de la Colombie, où les plantations de palmiers sont aux mains des paramilitaires qui déplacent des populations entières.

Le développement des cultures de palmiers en Malaisie, en Indonésie et dans d’autres pays tropicaux, suit l’augmentation de la demande d’huile de palme sur le marché mondial, surtout depuis que l’Union Européenne s’est fixé des objectifs obligatoires pour remplacer les combustibles fossiles par les agrocarburants .

Afrique et agrocarburants : en route vers un pillage encore plus grand

Il y a un grand nombre d’acteurs impliqués dans la promotion des agrocarburants en Afrique. Le Brésil se présente comme le stratège le plus fin et le plus rapace.

Le Brésil s’est tourné vers le continent africain. Il le voit comme une pièce importante dans son ambition de créer un marché mondial pour l’éthanol. Ce pays a réussi, avec succès, à obtenir l’appui de plusieurs pays africains, comme le Sénégal et le Bénin par l’intermédiaire d’accords bilatéraux et trilatéraux de coopération. Le Brésil a pris pour cible l’Union Africaine, laissant de côté plusieurs agences des Nations Unies, pour s’assurer de la mise en application d’instruments légaux et économiques harmonisés, en vue de maintenir un marché viable d’agrocarburants. Par l’intermédiaire du Forum International des “Bio”carburants, le Brésil et ses associés (la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud, les Etats-Unis et l’Union Européenne), encourageront de manière agressive un marché international pour les agrocarburants, sans s’occuper du reste du monde, de façon que l’éthanol devienne une matière première sur le marché international. Pour atteindre ces objectifs, des plantations de canne à sucre, silencieuses et stériles prolifèreront sur les sols africains, autrefois consacrés à la culture des aliments.

Dans ce contexte, plusieurs transnationales de l’énergie comme BP, D1 Engrasa et Petrobras ont entrepris des projets d’agrocarburants en Afrique, pour produire de manière indistincte soit des carburants fossiles ou des agrocarburants, dans des pays aussi petits que le Swaziland ou des puissances pétrolières comme le Nigéria. Ces entreprises prédatrices soutiendront n’importe quelle aventure, à n’importe quel coût social ou environnemental, si cela contribue à leur stratégie mondiale de prolongement du pic pétrolier. Dans des pays comme le Ghana, les grandes plantations de jatropha sont fortement liées au marché du carbone dans le cadre des accords de Kyoto.

Le cadre politique en Afrique est maintenant près pour la production à grande échelle d’agrocarburants. Le Mozambique a été choisi comme le leader de l’Afrique australe. Par l’intermédiaire de l’entreprise pétrolière d’Etat, on espère obtenir un investissement de 55 millions de dollars pour des projets concernant la canne à sucre et le Jatropha, dans le but de fournir de l’éthanol et du biodiesel au marché régional et mondial.

Manifeste pour le dé-développement

Le chemin que nous proposons depuis le Sud

Les agrocarburants

Les agrocarburants et toute la production d’énergie à partir de la biomasse, telle qu’elle a été promue par les gouvernements, les grandes entreprises, les agences d’aide au développement, les Nations Unies, les institutions financières internationales et les autres acteurs intéressés par sa production à grande échelle et son commerce international – n’ont pas pour but de changer, mais bien de perpétuer le modèle de production et de consommation de la civilisation moderne, urbaine et industrielle qui a engendré les injustices, les guerres et la destruction de l’environnement.

Le Déclin de la civilisation pétrolière et la reproduction du capitalisme.

La reproduction de l’état actuel de la civilisation occidentale prédatrice, dont la doctrine est le néolibéralisme globalisé, a pour base matérielle le pétrole. Toutes les forces actives qui sont derrière la production, la circulation et la commercialisation mondiale des marchandises dépendent des hydrocarbures : l’industrie des hydrocarbures elle-même, l’industrie agroalimentaire, les compagnies pharmaceutiques, les compagnies de fibres textiles, les industries impliquées dans la production de détergents, de cosmétiques, d’explosifs, de cellulose, de plastiques en général, de matériaux de construction, d’emballages, d’appareils ménagers, etc. De la même façon, le transport mondial des personnes et des matériaux, la mobilité et la vitesse à laquelle les travailleurs se déplacent et les produits s’échangent autour du globe, dépendent aussi des carburants fossiles, que ce soit par la dépendance qui s’est créée autour de l’automobile, par la façon dont les mégapoles ont été dessinées, construites et étendues ou par la façon d’occuper l’espace urbain et les autres territoires.

C’est la demande en énergie et en matières premières pour fournir et maintenir le mode de vie des sociétés du Nord – ce qui se traduit quotidiennement en alimentation, vêtements, logement et mobilité – qui donne corps à l’idéal universel du mode de vie, du bien-être et du « progrès » promu agressivement par la globalisation, comme modèle universel pour l’humanité.

Dans le paradigme actuel de la « croissance », visant l’intégration du marché et du commerce mondial, les agrocarburants sont présentés comme les remplaçants progressifs du pétrole afin de maintenir les modèles non viables écologiquement, de production et de consommation du Nord. Face à cela, nous pensons que ce que l’on doit transformer, c’est le style de vie dont le Nord et les élites du Sud font la promotion et qui s’exprime le mieux par le terme bien nommé d’ « american way of life ». Les principaux consommateurs d’énergie sont les Etats-Unis, l’Europe de l’Ouest, auxquels s’ajoutent aujourd’hui la Chine et les élites minoritaires du Sud.

La Chine, la grande usine du monde, reproduit le modèle de production et de consommation créé par le Nord, en même temps qu’elle approvisionne le marché mondial, surtout celui du Nord, de tout ce que celui-ci consomme. Nous, les gens du Sud, nous considérons que le modèle de croissance de la Chine n’est pas un modèle pour nous.

Le côté matériel de tout ce qui fait partie de la vie quotidienne des pays « développés » (ces mêmes pays qui sont les promoteurs dans le monde du modèle universel de bien-être matériel, de qualité de la vie et de progrès humain) dépend entièrement d’une demande énergétique et écologique irrationnelle, construite historiquement sur le pillage continu de la nature et des peuples du Sud. Pour le Sud du monde, ce modèle « pétrolier » a permis de perpétuer les inégalités, la dépendance technologique, l’endettement, l’appauvrissement des peuples, l’expropriation de leurs territoires et la désacralisation de leurs lieux sacrés. Depuis notre Sud, nous avons fait l’expérience que le mode de vie dont profite une minorité de la Planète est maintenu par l’exploitation de la Nature et du travail humain, de façon à alimenter les flux de marchandises et de services qui ont historiquement causés les changements climatiques, le réchauffement planétaire et la domination du Nord sur le Sud.

Synthèse : Si on pousse les agrocarburants pour remplacer progressivement le pétrole, c’est dans le but prioritaire de maintenir la circulation mondiale des marchandises et la demande écologiquement non-viable d’énergie et de matières premières et ce, afin de promouvoir comme idéal universel, le mode de vie des sociétés du Nord, tout en restant dans leur logique historique de soumission et d’exploitation coloniale des écosystèmes et des peuples du Sud.

Pour contrer le bilan énergétique trompeusement positif des agrocarburants, il nous suffit de faire le bilan historique des dégâts écologiques et sociaux provoqués par la Révolution Verte – elle aussi dépendante du pétrole – et des conséquences de l’agriculture industrielle. Selon la FAO, elle a entraîné la perte de 75% de la biodiversité au cours du siècle dernier, à quoi il faut ajouter le démantèlement des agricultures et marchés locaux. Ainsi, le système agroalimentaire mondial a pu s’imposer par l’intermédiaire des sociétés qui contrôlent la chaine de production et qui ont la plus grande concentration de pouvoir dans le monde : les compagnies de l’agroalimentaire.

Nous, nous pensons que l’unique façon de surmonter la crise climatique et énergétique qui menace définitivement la continuité de toute la Vie sur la planète, est de dépasser le capitalisme.

La transition vers une société post-pétrolière et vers un sens nouveau du mot « développement », la construction d’une Voie de dépassement du capitalisme, se feront sur des bases écologiques ou ne se feront pas. La question énergétique ainsi que celle de la production alimentaire sont les axes de résistance concrets et inséparables pour la construction d’un autre projet de société, de nouvelles relations entre les peuples de l’humanité et entre les peuples et la nature ; c’est grâce à ces axes que l’on pourra, dans les faits, enrayer la logique coloniale et la soumission, inhérentes au capitalisme.

La transition vers cette nouvelle société mondiale – et la stratégie d’autonomie des peuples sur leurs territoires – ainsi que la logique politique qui la sous-tend, devront reposer sur deux principes fondamentaux : garantir la Souveraineté énergétique en accord et en complémentarité avec la défense radicale de la Souveraineté alimentaire.

Le débat sur les agrocarburants doit donc porter sur le paradigme nouveau de dé-développement, c’est à dire d’une transformation structurelle radicale de toute l’économie et de nos modes de vie ainsi que du démantèlement des macro-systèmes énergétiques qui soutiennent et garantissent le pouvoir global.

Voici les axes du dé-développement :

Dés-urbaniser

pour redonner à la population une échelle humaine, en satisfaisant les besoins par le marché local et par des sources d’énergie locales.

Dé-mondialiser le commerce et le transport des marchandises

(surtout agricoles et alimentaires), pour s’attaquer à la principale source de consommation de combustibles liquides : les camions réfrigérés qui transportent toute la chaîne des viandes et de produits lactés, les avions qui transportent des fleurs et des fruits tropicaux, les gigantesques navires céréaliers qui marchent au diesel pour emmener le soja en Europe ou en Chine, etc… Ces transports ont un bilan énergétique vraiment négatif, soutenu par le discours illusoire de “la croissance”.

Dé-technologiser la production alimentaire

en remplaçant l’actuel agrobusiness, la révolution verte, les systèmes de production alimentaire génétiquement modifiés par des agro-écosystèmes où la biodiversité et la nutrition des sols remplacent les technologies ponctuelles et polluantes des dérivés du pétrole.

Dé-pétroliser l’économie

la meilleure politique contre le changement climatique est l’élimination des combustibles fossiles, laissant pétrole, gaz et charbon dans le sous-sol. On ne doit pas confondre cela avec des solutions fictives comme « décarboniser l’économie », c’est à dire promouvoir le marché du carbone, les mécanismes de développement propre et l’”application conjointe” qui perpétuent le modèle pétrolier destructeur dans le contexte de la logique d’un marché libre.

Dé-centraliser la génération et la distribution d’énergie

par des technologies qui ne recréent pas la dépendance et qui garantissent l’approvisionnement des populations locales selon leurs besoins. C’est différent de promouvoir la privatisation de l’énergie, même de sources « alternatives » avec pour argument de « fournir l’accès de l’énergie pour les pauvres ». En d’autres mots : retrouver et défendre le principe que l’énergie est un service et non objet de commerce, ni une marchandise offerte à la vente

Il s’agit ouvrir une série de débats, au sein des secteurs de la « gauche » dans les différentes régions du globe, en reconsidérant dans ces termes radicaux, le sens d’un projet d’affrontement et de dépassement du capitalisme en accord avec les contradictions de l’accumulation, en ce moment historique.

Etant donné le rôle stratégique des régions centre et sud-américaine dans la promotion et l’installation du modèle mondial d’Agroénergie, et en vue de la Conférence Internationale des « Bio »carburants, patronnée par l’ONU et qui aura lieu au Brésil en juillet 2008, nous réaffirmons que notre tâche est de questionner les gouvernements promoteurs du “Socialisme du XXIème siècle”, sur le modèle énergétique qu’ils comptent mettre en place pour soutenir ce projet, tout en refusant des cooptations nationales au modèle proposé par le capital.

Pour que cette vision soit le fondement d’un programme politique de l’ère post-pétrolière, nous, les signataires ci-dessous, nous engageons à reformuler nos positions – sans aucune concession – comme l’impose la radicalité des crises écologique et énergétique actuelles.