Manifestation le 22 janvier 2023 dans le Gers, Occitanie. - © Patrick Batard / AFP
Manifestation le 22 janvier 2023 dans le Gers, Occitanie. - © Patrick Batard / AFP
Agriculture
8 février 2024

Agriculture : quand l’agro-industrie récolte ce que sème le gouvernement

Suite au mouvement des agriculteur·ices, nous réaffirmons notre soutien au monde paysan : le travail agricole doit être justement rémunéré. Mais la colère légitime du monde agricole est instrumentalisée par certains syndicats (FNSEA, Coordination Rurale et JA) et le gouvernement, pour servir les intérêts de l'agro-industrie. Explications.

Le modèle agro-industriel dans l’impasse

Bien loin de contribuer à une juste répartition des revenus, l’agro-industrie fait son beurre sur le dos du travail paysan. Les chiffres sont clairs : aujourd’hui, 1 agriculteur sur 5 vit sous le seuil de pauvreté1. Amplitudes horaires à rallonge, difficultés voire impossibilité de prendre des jours de congés, retraites réduites à peau de chagrin (800€ par mois en moyenne)… De leur côté, 80% des salarié·es agricoles sont employé·es sous statuts précaires : CDD, contrats saisonniers, apprentis, ou encore travailleurs détachés2. À cela s’ajoute l’accès, de plus en plus entravé, aux terres agricoles. Résultat, la France a perdu un tiers de ses fermes entre 2000 et 20203. Une ferme disparaît toutes les 50 minutes environ et, toutes les 32 minutes, la France compte un travailleur agricole en moins.

accaparement des terres

Le monde agricole se meurt… La faute à qui ?

La politique agricole française, première responsable

La forte tendance à libéraliser la politique agricole que suivent depuis des années les gouvernements successifs, main dans la main avec la FNSEA, n’est fondée sur rien d’autre que la recherche de la compétitivité, à l’aide d’une industrialisation à grande échelle, une mécanisation excessive (causant des suppressions d’emplois), l’agrandissement des fermes… Dans cette course au toujours plus, pour toujours moins cher, les paysan·nes, qui ont pourtant le rôle essentiel de nous nourrir, sont doublement perdant·es : à l’international, la multiplication d’accords de libre-échange les mettent en concurrence avec les producteurs de pays moins disant sur le plan social et environnemental ; et à l’échelle nationale, ils ne font pas le poids face à l’hégémonie de la grande distribution, qui ne cesse de tirer les prix vers le bas, ne laissant aux producteurs que le strict minimum et souvent moins. La course à la compétitivité ne rémunère que ceux qui la pilotent : le gouvernement et l’agro-industrie.

Par ailleurs, la planification et la mise en place d’une véritable politique de transition écologique dans le secteur agricole est un impensé du gouvernement. Les normes environnementales dénuées de dispositif d’accompagnement à leur mise en œuvre sont devenues la signature d’Emmanuel Macron et de sa croyance aveugle en la « croissance verte ». L’injonction contradictoire à œuvrer pour l’écologie tout en produisant toujours plus et à bas coûts est une impasse qui met les agriculteur·ices au pied du mur.

Une fois ce constat dressé, il ne faut pas se tromper de responsables : la FNSEA, syndicat majoritaire, et les géants de l’agro-industrie sont les principaux coupables de la situation actuelle. Yara, multinationale spécialisée dans les engrais de synthèse, a fait des profits record (près de 3 milliards de dollars en 20224, soit 350% de plus qu’avant la crise), au cœur d’une crise énergétique qui aurait dû l’affecter lourdement, la multinationale dépendant fortement du gaz pour fabriquer ses engrais. Comment cela a-t-il été possible ? En faisant payer les agriculteur·ices en bout de chaîne qui ont vu leur facture pour les engrais doubler voire tripler5. Du côté de l’aval, Lactalis n’est pas en reste. Cette multinationale de la production laitière rémunère très mal les producteur·ices, alors que son patron se place parmi les premières fortunes françaises6.

Publication
Picto Lactalis - brochure site web
Guide citoyen

Lactalis : « Se faire du blé avec les produits laitiers »

La politique du gouvernement est donc une liste d’injonctions contradictoires, qui plonge les agriculteur·ices dans le désespoir – elle prépare activement le terrain pour l’extrême-droite, dont la ligne est claire : instrumentaliser les craintes et les colères pour maintenir les intérêts des dominants en place. Épaulé par les médias de la sphère Bolloré7, le RN n’a pas attendu longtemps avant de se précipiter sur les barrages avec une stratégie claire de récupération de la colère de agriculteur·ices. De son côté, Reconquête (le parti fondé par Eric Zemmour) courtise la Coordination Rurale8, soutenant son refus de toute mesure écologique.

Luttes pour la justice sociale et l’environnement : deux faces d’une même pièce

Les luttes écologistes et le soulèvement pour de meilleures conditions de travail dans le secteur agricole sont intrinsèquement liés. Par exemple, l’industrie des engrais de synthèse, qui exploite la dépendance des agriculteur·ices, a aussi une empreinte carbone plus élevée que l’aviation commerciale9 ! Plus globalement, la transition agroécologique est inconcevable sans paysan·nes nombreux·ses et sans une refonte du système agro-alimentaire pour assurer des revenus dignes à celles et ceux qui nous nourrissent.

En associant nos forces10 pour dénoncer le modèle productiviste qui est environnementalement insoutenable et pressurise les revenus paysans, nous ferons corps sous une seule et même bannière : celle de l’agroécologie. Celle-ci permet de réduire fortement les intrants chimiques, de préserver l’eau et les sols, et est créatrice d’emplois. Les Amis de la Terre appellent à ne pas céder à la manipulation de la FNSEA et du gouvernement qui se contentent de désigner les défenseurs de l’environnement comme boucs émissaires. Ne tombons pas dans le piège de la division, unissons nos forces !

Les groupes locaux des Amis de la Terre l’ont bien compris et se sont joints aux mobilisations des agriculteur·ices engagé·es pour un système agricole plus juste et soutenable. Dans le Limousin par exemple, les militant·es ont participé aux côtés des paysan·nes à vider un supermarché Carrefour des produits importés de pays moins disant en matières de normes sociales et environnementales. À Paris, les Amis de la Terre ont joint leur voix à celles des agriculteur·ices bio lors d’une mobilisation organisée par la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB) le 7 février devant le Palais Bourbon. Face aux reculs annoncés par le gouvernement, cette mobilisation avait pour objectif d’exiger un réel soutien aux filières bio, fer de lance de la transition agroécologique.

Ce dont le monde agricole a vraiment besoin

Sans surprise, les annonces qui ont été faites par Gabriel Attal en réaction au mouvement des agriculteur·ices sont loin d’être satisfaisantes… Pire, elles représentent de graves reculs pour la protection de l’environnement : mise en pause du plan Ecophyto (et donc porte ouverte à toujours plus de pesticides), remise en cause de l’autorité de l’Office français de la biodiversité, des agences de l’eau ou de l’Anses (agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), réduction des délais de recours contre les projets agricoles… Le cynisme de ce gouvernement atteint de tels niveaux qu’il devient difficile de déplorer certains reculs. Par exemple, comment déplorer la réduction du délai des recours contre les méga-bassines, puisque même lorsque les recours donnent raison à leurs opposants, ces bassines sont tout de même construites11 ?

Pour véritablement assurer aux agriculteur·ices des conditions de travail décentes, les priorités doivent aller à :

  • Un revenu plancher pour les agriculteur·ices, via des prix planchers pour les produits agricoles et l’encadrement des marges des transformateurs et des distributeurs
  • La sortie de tous les accords de libre-échange, notamment ceux en cours de négociation (Mercosur et Nouvelle-Zélande)
  • Une refonte de la PAC, pour que les aides soient proportionnelles au nombre d’emplois et non à la surface des exploitations
  • Une augmentation des aides publiques à l’agriculture biologique, pour permettre son développement et pas seulement son maintien
Manon Castagné

« Vouloir reculer sur les normes environnementales, c’est se soumettre à l’impératif d’une compétitivité toujours plus mortifère, qui broie les revenus des agriculteurs et épuise les écosystèmes. L’agroécologie est le seul modèle ayant fait ses preuves dans sa résilience face aux chocs climatiques qui seront de plus en plus fréquents. »

Manon Castagné
Chargée de campagne agriculture aux Amis de la Terre

Solidarité avec les agriculteur·ices

Les Amis de la Terre appellent les citoyens à exprimer leur soutien au mouvement de contestation, car le mal-être du monde agricole nous concerne toutes et tous. Il en va de notre alimentation, de notre santé, de notre eau, notre terre et l’air que l’on respire. Aucune transition agroécologique ne sera possible sans accompagnement des pouvoirs publics et sans une garantie de revenus dignes pour celles et ceux qui nous nourrissent !