Une femme a Madagascar
Multinationales
21 mars 2018

Décryptage : comprendre le système de justice parallèle des multinationales

Les Amis de la Terre France et Europe rappellent les dix raisons qui prouvent que la proposition de l’UE risque de conforter et d’institutionnaliser le modèle actuel d’arbitrage d’investissement sans en résoudre les failles systémiques.

Ce projet vise à mettre en place une Cour internationale spéciale pour « protéger » les investisseurs étrangers, qui leur permettrait de poursuivre les gouvernements au motif que des décisions de politiques publiques sanitaires, sociales, fiscales ou environnementales affecteraient leurs bénéfices, réels et/ou escomptés. Les mécanismes de règlements des différends entre investisseurs et Etats (RDIE ou ISDS en anglais) sont pourtant déjà très vivement dénoncés dans le cadre des accords de libre échange et de protection d’investissement actuels, et ils seraient confortés et étendus à de nombreux autres pays avec cette Cour multilatérale.

Ces dernières années, les tribunaux d’investissement, devant lesquels les investisseurs peuvent poursuivre les États sur la base des accords de commerce et d’investissement, ont fait de plus en plus polémique. Ce système, appelé mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE, ou Investor-State Dispute Settlement – ISDS, en anglais), donne le pouvoir à trois avocats privés, appelés « arbitres », de contraindre des États à verser des sommes importantes en compensation du préjudice à des investisseurs privés, quand ils estiment que leurs profits sont compromis par une législation ou une mesure étatique. Des études ont montré que ces tribunaux ont servis à attaquer des politiques publiques parfaitement légitimes et à soutirer aux gouvernements des indemnités pour des mesures qui visent à protéger la santé des individus et l’environnement.

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Multinationales et quartiers d'affaires
Décryptage

10 raisons de s’opposer au projet de Cour multilatérale d’investissement

La Commission européenne a répondu aux critiques envers le RDIE en le rebaptisant « système juridictionnel des investissements » (ICS en anglais) et en donnant aux États plus de pouvoir sur le choix des arbitres. La transparence de ce système a également été améliorée et certains des controversés passes-droit détenus par les investisseurs ont été revus. Dans l’ensemble, la proposition de la Commission comprenait des réformes superficielles, sans régler les problèmes de fond de ce système.

Durant l’été 2016, la Commission Européenne a annoncé sa volonté d’établir une Cour multilatérale d’investissement. Elle propose de mettre en place une juridiction devant laquelle les investisseurs peuvent demander une indemnisation des États, en vertu des actuels et futurs accords de commerce et d’investissement. Bien que de nombreux détails soient encore à déterminer (et on ne sait pas encore si cette idée trouvera suffisamment de soutien en dehors de l’Union Européenne), il est déjà clair que la nouvelle juridiction ne remettra pas fondamentalement en cause le système de RDIE. Au contraire, la proposition a l’air de chercher à maintenir la plupart de ses caractéristiques (et de ses lacunes), verrouillant ainsi le RDIE.

Nous avons identifié dix principaux problèmes en lien avec cette nouvelle proposition, qui montrent comment les droits des investisseurs privés restent favorisés par rapport à ceux des citoyens, renforçant ainsi le pouvoir des investisseurs vis-à-vis des États souverains. Il n’existe toujours pas d’arguments convaincants en faveur de toute forme de RDIE dans les accords commerciaux de l’Union Européenne, y compris de la – fallacieusement rebaptisée – « Cour multilatérale d’investissement ».

Cette note de décryptage est publiée par Les Amis de la Terre Europe et Les Amis de la Terre France.

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