légumineuses
Agriculture
31 mai 2021

Engrais chimiques : le vrai du faux !

Les engrais chimiques sont considérés comme l’une des inventions les plus révolutionnaires ayant permis d’augmenter les rendements agricoles et nourrir la population mondiale. Pourtant aujourd’hui, les dégâts sur le climat, l’environnement et la santé sont considérables. Voici un article pour mieux comprendre et décrypter le vrai du faux.

Sans les engrais de synthèse, est-il possible de nourrir la population ?

L’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales a longuement travaillé sur la question : nous avons les moyens de nourrir la population sans engrais chimiques d’ici à 2050, à condition de mettre fin au gaspillage alimentaire et de réduire drastiquement notre consommation de produits carnés. 

Pourtant, les lobbies de l’agroalimentaire et les multinationales des engrais chimiques tels que Yara ou Roullier dépensent des millions pour nous faire croire le contraire. Ils tentent d’influencer les politiques publiques pour continuer à vendre massivement leurs produits, et laisser miroiter les bienfaits des engrais de synthèse en occultant la réalité des impacts écologiques et climatiques.

Quels sont les problèmes majeurs posés par le recours aux engrais de synthèse ?

Un danger pour le climat et les humains

Une partie des engrais azotés épandue sur les sols s’échappe sous forme de protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre au pouvoir réchauffant 265 fois supérieur au dioxyde de carbone. Alors que nous devons réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre pour ne pas dépasser + 2° de réchauffement climatique et maintenir des conditions de vie possibles sur Terre, ce recours massif aux engrais de synthèse est inacceptable. Depuis 1960, les émissions de protoxyde d’azote ont pourtant été multipliées par deux !

En France, 43 % des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture sont des émissions de protoxyde d’azote

Un autre problème se pose : du gaz fossile est nécessaire à la production des engrais de synthèse. C’est pour ça que l’agrobusiness des engrais investit massivement l’exploitation des énergies fossiles… Entre nos vies et leur profit, ces multinationales ont fait leur choix. Depuis les années 1960, la consommation d’engrais de synthèse a augmenté de 800% au niveau mondial !

Un cocktail nocif pour l’air et l’eau

Au-delà des risques climatiques et industriels posés par la production et l’utilisation des engrais chimiques, les impacts sur l’environnement sont également importants.

Une partie de ces engrais de synthèse s’évapore dans l’air sous forme d’ammoniac, à l’origine de particules fines nocives pour la santé et les milieux naturels.

Mais ce n’est pas tout. Si une partie des engrais chimiques s’évapore, une autre s’infiltre quant à elle dans les sols, entraînant une dégradation et une pollution des eaux. En France, la pollution des eaux aux nitrates et à l’ammoniac causée par les fertilisants (déjections animales et engrais azotés) a également des effets sanitaires considérables avec un coût estimé entre 220 et 510 millions d’euros pour traiter l’eau potable. 

Les retombées de la pollution par l’azote sont considérées comme l’une des plus grandes externalités globales auxquelles le monde est confronté, impactant l’air, l’eau, les sols et la santé humaine », souligne la Banque mondiale dans un rapport publié en septembre 2019.

Publication

Engrais chimiques : destructions en tout discrétion

Quelles sont les alternatives concrètes aux engrais chimiques ?

Remplissons nos assiettes de légumineuses !

Vous ne le saviez peut-être pas mais les légumineuses (pois chiches, lentilles, soja…) constituent une alternative aux engrais de synthèse. Pour qu’une plante pousse rapidement, il lui faut beaucoup d’azote présent dans l’air qu’elle a souvent du mal à assimiler seule, d’où l’utilisation des engrais chimiques qui permettent de faciliter le processus et l’aident à pousser. Mais les légumineuses sont dotées d’un pouvoir par rapport aux autres : elles sont capables de s’approvisionner elles-mêmes en azote, sans apport extérieur… En outre, pas besoin d’engrais chimiques pour les cultures de légumineuses !

Les légumineuses sont aussi indispensables pour la biodiversité. Attention cependant : il ne faut pas que la réintroduction de légumineuses en France se fasse sous forme de monocultures de soja dépendantes en intrants chimiques (engrais, pesticides) pour l’alimentation animale, sinon aucun problème n’est résolu. La production de légumineuses doit être diversifiée et être avant tout destinée à l’alimentation humaine.

Repenser l’élevage

A moins d’être un·e expert·e en agriculture, difficile au premier abord de faire le lien entre l’élevage et les engrais de synthèse. Et pourtant. 

Pour compléter l’azote nécessaire à la croissance des plantes, les déjections animales sous forme de fumier (ou lisier, etc)  sont aussi indispensables pour fertiliser les sols et optimiser la production agricole. De ce fait, associer dans une même région l’élevage et des cultures, est essentiel. Pourtant aujourd’hui, le système de spécialisation des régions en France, où l’élevage est concentré dans certains territoires comme la Bretagne par exemple, empêche une utilisation optimale des fertilisants naturels sur d’autres territoires.

Réciproquement, c’est l’usage massif d’engrais azotés qui a permis le développement de l’élevage industriel en permettant aux cultures végétales de se passer des déchets animaux. 

Il faut donc aujourd’hui repenser des élevages au plus proche des cultures agricoles. Cette approche, basée sur les pratiques de l’agroécologie, implique aussi plus largement une réduction drastique de l’élevage pour :

  • Disposer de terres suffisantes pour rendre l’élevage plus extensif
  • Dédier plus de terres à la production de protéines destinées à l’alimentation humaine 
  • Mettre fin aux importations de protéines végétales pour l’alimentation animale à l’origine de la déforestation 
  • Réduire le volume total de déjections animales à l’origine d’importantes pollutions.

Pour transformer en profondeur notre système agricole et alimentaire d’ici à 2050, il faudrait une réduction de 40 % de la production animale en Europe et de -50 % en France.

Que souhaitent les premiers concernés, les agricultrices et les agriculteurs ?

Si l’addiction aux engrais de synthèse dans le monde agricole en France est devenue une réalité depuis les années 1960, il n’en reste pas moins que les solutions existent ! Mais pour cela, encore faut-il que les mesures politiques, les lois et les réglementations évoluent radicalement pour soutenir massivement les agriculteurs·rices qui subissent aujourd’hui une pression insoutenable. 

Dans une tribune publiée sur le site du journal Le Monde ce mois d’avril 2021, une cinquantaine d’agriculteurs et agronomes exigent des mesures publiques structurantes afin de soutenir la mise en place des alternatives aux engrais de synthèse. En 2019, l’achat d’engrais représente 14,1 % des consommations d’une ferme en France en moyenne !

Comment faire bouger les lignes au niveau politique ?

Au niveau européen

Chaque année, 9 milliards d’euros sont injectés dans le secteur agricole français via la Politique Agricole Commune européenne. Alors où va cet argent ? On peut légitimement se poser la question au regard des crises profondes que traverse le monde paysan. 

Depuis plus de 10 ans, ces subventions publiques viennent alimenter un système productiviste à bout de souffle, en soutenant massivement l’industrialisation de l’agriculture et de l’alimentation. Les conséquences ? de moins en moins d’agricultrices.eurs, des conditions de travail toujours précaires, des pollutions subventionnées, La liste est longue. 

Le manque de volonté politique est criant, et les intérêts économiques de quelques multinationales de l’agro-industrie semblent prévaloir sur l’ensemble des besoins des agriculteur·trices, des consommateurs·rices et de la planète. 

Pourtant, nous avons une opportunité de prendre un virage agroécologique en ce moment même. Dans les coulisses du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, le Plan Stratégique National doit permettre de décliner la politique agricole commune en France. Cet outil est stratégique pour donner aux agricultrices et aux agriculteurs une orientation claire pour déployer une transition agroécologique d’ici à 2027. A l’heure actuelle, les propositions et discussions ne présagent pourtant rien de bon : 

Avec 45 % des agriculteurs proches de la retraite et de lourds défis à relever pour la nouvelle génération, les perspectives d’une inaction politique à un tournant historique de la PAC ressemblent fort à un scénario catastrophe pour le monde agricole et les écosystèmes.

La Plateforme pour une autre PAC

Au niveau français

La Loi Climat en cours de discussion au Parlement doit en toute logique tenir compte de la nécessaire transformation du système agricole et alimentaire.

L’année dernière, 150 citoyen·nes ont proposé des mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de 40% en France d’ici à 2040. Les citoyen·nes ont ainsi proposé de mettre en place une redevance sur les engrais chimiques, dont les bénéfices (plus de 600 millions d’euros) seraient reversés aux agriculteurs·trices pour les accompagner dans des changements de pratiques. Mais alors que le président Emmanuel Macron s’était engagé à reprendre sans filtre leurs propositions, il rejette aujourd’hui cette redevance. Quelles mesures fortes propose-t-il à la place ? Aucune.