Patrick Pouyanné
Patrick Pouyanné, PDG de Total
Climat-ÉnergieMultinationales
6 février 2024

Décryptage : lumière sur les contre-vérités de Total

Total s’apprête à annoncer demain de nouveaux superprofits. Voulant parer aux critiques, la major pétrolière a publié aujourd’hui un communiqué détaillant ses « contributions et engagements » pour la France. Face à cette nouvelle opération de greenwashing, nous corrigeons la copie de Total et rappelons les vrais impacts de ses activités.

Nous avons repris les rubriques du communiqué de presse de Total.

« Nos initiatives en faveur de nos collaborateurs » : FAUX ! Les salarié·es, simples variables d’ajustement chez Total

« Bioraffineries », synonyme de casse sociale

En France, Total dit s’engager dans la transition énergétique notamment via la reconversion « verte » de ses raffineries. À la Mède dans les Bouches du Rhône, comme à Grandpuits en Seine-et-Marne, Total démontre que la transition laissée aux mains des multinationales de l’énergie est un dangereux échec. La reconversion de ces raffineries a été synonyme de suppression d’emplois, et soulève aussi de nouveaux risques : les réductions d’effectifs impactent les conditions de travail et la capacité des travailleur·euses à réagir en cas d’accidents industriels (incendie, d’explosion ou fuite). Cette situation est d’autant plus grave que la raffinerie Grandpuits reste un site SEVESO seuil haut, voisin de l’usine chimique BOREALIS, qui produit les mêmes fertilisants que l’usine d’AZF.

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Emploi et climat : action contre le greenwashing de Total

Les augmentations de salaires : surtout des millions pour le PDG

Alors que Total se targue dans son communiqué de presse que ses salarié·es perçoivent un salaire brut minimum de 2000€ mensuel et bénéficieront d’une augmentation de 5%, la rémunération de son PDG a été augmentée de 10% en 2023, pour atteindre environ 10 millions d’euros.

Face aux critiques et au comble de l’indécence en pleine crise sociale, Patrick Pouyanné n’avait pas trouvé mieux que de se défendre en disant « C’est un salaire très élevé mais moins élevé que celui de certains patrons en France et bien inférieur à celui de mes pairs dans l’industrie pétrolière »1. De quoi prouver, une fois de plus, à quel point Patrick Pouyanné reste déconnecté des réalités sociales depuis sa tour d’argent à La Défense.

« Nos contributions à la transition énergétique et aux territoires » : FAUX ! Total continue encore et toujours à alimenter la crise climatique et détruire des territoires

Le greenwashing de Total sur la transition énergétique

En 2021, Total a changé de nom pour s’appeler dorénavant « TotalEnergies », voulant donner l’illusion que l’entreprise est maintenant une entreprise multi-énergies, engagée résolument dans la transition énergétique et poursuivant un objectif de prétendue « neutralité carbone ». Il s’agit là d’un simple changement de stratégie de communication, après un passé marqué par une active fabrique du doute, créant et nourrissant le climato-scepticisme, bien que l’entreprise était consciente dès 1971 de la nocivité de ses activités pour le climat (voir l’étude publiée par Christophe Bonneuil, Pierre-Louis Choquet et Benjamin Franta 2).

Cette nouvelle identité de Total a été promue au travers d’une campagne de communication en grande pompe, ou plutôt de greenwashing : les énergies fossiles représentent encore 90% de son activité et 80% de ses investissements. Bien que grossière face à la réalité des activités de Total, cette communication contribue à tromper les consommateur·ices et les décideurs politiques, en faisant notamment croire que le gaz est une « énergie de transition » et que les agrocarburants sont « propres ». C’est pourquoi, aux côtés de Greenpeace France et de Notre Affaire à Tous, les Amis de la Terre France ont assigné Total en justice pour pratiques commerciales trompeuses. Bien que Total ait tenté de tuer le procès dans l’œuf via des questions procédurales, l’action en justice suit son cours et le fond de l’affaire devrait être examiné lors d’une audience d’ici la fin de l’année.

Des projets climaticides partout dans le monde

Sur tous les continents, Total poursuit ses projets climaticides et lance de nouveaux projets gaziers et pétroliers. L’entreprise a notamment une stratégie d’expansion en Afrique, que ce soit en Ouganda et en Tanzanie avec les projets Tilenga et EACOP, au Mozambique avec un méga-projet gazier offshore, ou encore en Namibie3. Mais la major française aggrave aussi le changement climatique via ses nombreux projets de gaz de schiste, que ce soit en Argentine ou aux États-Unis. Elle continue également à forer en Arctique avec son projet Yamal, et reste actionnaire d’Arctic LNG 2.

Dans son rapport « Les bombes climatiques de TotalEnergies, la forêt derrière l’arbre EACOP »4, publié en octobre 2023, Greenpeace fait un tour détaillé de ces projets mortifères.

Des projets qui détruisent les territoires et causent des violations des droits humains

Ces projets sont non seulement climaticides, mais ils détruisent aussi des territoires entiers et leurs économies locales. Les communautés affectées souffrent des conséquences de l’accaparement de leurs terres et de nombreuses violations des droits humains.

Le Global Altas for Environnemental Justice vient d’ailleurs de publier une carte5 recensant les conflits sociaux-environnementaux causés par des projets de Total dans le monde entier.

À eux seuls, les projets Tilenga et EACOP affectent directement les terres de plus de 118 000 personnes en Ouganda et Tanzanie, qui ont été privées de leurs moyens de subsistance et ont été forcées de céder leurs terres le plus souvent sous la pression, avec pour seule contrepartie des compensations très insuffisantes et versées après plus de trois ou quatre ans de retard. Des violations des droits humains ont été documentées depuis plusieurs années, et les Amis de la Terre sont engagés dans une action en justice aux côtés des communautés affectées pour qu’elles obtiennent réparation.

Au Mozambique, après avoir déclaré la force majeure en 2021 suite à l’attaque de Palma, Total s’affaire à relancer le projet coûte que coûte, bien que la situation sécuritaire et humanitaire sur place reste dramatique. Total a été épinglée dans un rapport6 montrant comment l’entreprise avait été complètement défaillante en termes de prise en compte du conflit armé et des risques de violations des droits humains. En novembre dernier, 124 ONG ont appelé les financeurs à se retirer du projet.

Les dangers de Total pour les terres agricoles et la biodiversité

Total se vante de ses projets solaires… Pourtant, son projet géant de « ferme solaire » dans le Lot7 (44 300 panneaux !) présente de graves risques environnementaux, impliquant le défrichement de 19 hectares de forêt, dont une partie dans le Parc Naturel Régional des Causses du Quercy.

L’entreprise indique également apporter une « contribution au monde agricole », via le déploiement de l’agrivoltaïsme, dénoncé notamment par la Confédération paysanne8 comme menaçant les terres agricoles, dont la vocation première est nourricière, et risquant de créer des dépendances d’agriculteur·ices au complexe agro-industriel.

À l’international, les projets d’agrocarburants promus par Total, loin d’être verts, sont également synonymes de déforestation et d’accaparement de terres agricoles.

« Nos contributions au tissu industriel et à la souveraineté énergétique » : FAUX ! Total veut maintenir notre dépendance au gaz

Total poursuit son communiqué de presse en soulignant ses actions qui, selon l’entreprise, renforceraient la souveraineté énergétique de la France, dans le contexte de la guerre en Ukraine.

Bien au contraire, la construction de son nouveau terminal méthanier flottant au Havre est un vrai danger, puisqu’il nous enferme dans notre dépendance aux énergies fossiles, en permettant d’importer du gaz naturel liquéfié (GNL), notamment en provenance des États-Unis (donc en majorité du gaz de schiste). Pourtant, rien ne prouve que ce nouveau terminal gazier soit nécessaire : plusieurs études ont montré qu’il était possible de se passer du gaz russe d’ici 2025 sans construire de nouvelles infrastructures gazières, et ce au niveau européen.

Bien que les député·es aient voté pour une période d’utilisation maximale de 5 ans, celle-ci demeure beaucoup trop longue face aux impératifs climatiques. Par ailleurs, les terminaux d’importation de GNL sont généralement liés par des contrats d’importation de 10 à 25 ans. Ils nous entraînent donc dans un verrouillage de notre dépendance aux énergies fossiles.

Publication
Brief presse gaz février 2023
Presse

Du gaz russe au gaz de schiste américain : un an après l’agression en Ukraine, vers de nouvelles dépendances

« Nos engagements pour la jeunesse, le rugby, le patrimoine et les personnes vulnérables » : FAUX ! Le sponsoring, outil indispensable du greenwashing de Total

Total termine son communiqué par une liste d’engagements divers, comme le financement d’un campus de formation, le sponsoring de la Coupe du monde de rugby, ou des dons caritatifs aux Restos du Cœur.

De « bonnes actions » qui ne coûtent pas cher à Total, lorsque l’on connaît ses profits mirobolants. Derrière ces annonces, se cache en réalité une stratégie de communication visant à verdir l’image de Total dans l’opinion publique afin de faire oublier les impacts dévastateurs de ses activités. Cela cache aussi une véritable stratégie d’influence de Total, qui a été dénoncée avec force notamment par les étudiant·es de l’école Polytechnique9.

Au milieu de tous ces chiffres, Total semble avoir oublié de rappeler le montant de ses dépenses annuelles en lobbying, qui s’élèvent à plus d’1 million d’euros rien que sur le sol français, sans parler du lobbying exercé via les multiples lobbies industriels dont Total fait partie…