Thématique

Multinationales

Les multinationales violent les droits humains et détruisent l'environnement en toute impunité. Leurs lobbies façonnent les lois en fonction de leurs intérêts. Elles bénéficient de privilèges exorbitants, protégés par des accords de commerce et investissement : contre toute logique, ce sont les profits qui priment sur les droits humains !

Contexte

Bien qu’au cœur de notre modèle économique insoutenable, les multinationales veulent faire croire qu’elles sont la solution à la pauvreté, au changement climatique… en bref aux problèmes qu’elles ont elles-mêmes créés ou au moins fortement aggravés. Elles se réinventent perpétuellement pour imposer leurs fausses solutions et empêcher l’adoption de toute mesure qui viendrait contraindre leurs activités, permettrait de les mettre sous contrôle, ou menacerait leurs profits. Elles ont réussi à imposer leur logique aux gouvernements et bénéficient d’une véritable architecture mondiale de l’impunité.

Au niveau international, alors que plus de 3400 traités de commerce et d’investissement protègent leurs profits, aucun traité ne contraint les multinationales à respecter les droits humains et l’environnement.

Problèmes

L'impunité des multinationales

Accaparement des terres, graves pollutions environnementales, impacts sanitaires, exploitation des travailleur.se.s, persécution des opposants,… : les activités des multinationales peuvent causer de graves violations aux droits humains, à l’environnement et au climat. Pourtant, le plus souvent elles réussissent à échapper à la justice, et les populations et travailleur.se.s affecté.e.s attendent des années sans obtenir réparation.

Si les multinationales agissent ainsi en toute impunité, c’est notamment parce qu’elles ont organisé leurs activités économiques dans des structures juridiques et économiques complexes, faites d’une myriade de filiales, sous-traitants, fournisseurs éparpillés dans le monde. Ce sont autant d’entités juridiques supposément séparées qui leur permettent d’échapper aux impôts et de profiter des vides juridiques et faiblesses institutionnelles de certains pays.

Si les liens de contrôle sont évidents, et les profits remontent très bien jusqu’à la maison-mère ou entreprise donneuse d’ordre, il n’en est pas de même pour la responsabilité juridique. Lorsque une violation est commise par une filiale, une franchise ou un sous-traitant à l’autre bout du monde, il est donc très difficile voir impossible de poursuivre et faire condamner en justice une multinationale dans le pays de son siège, où sont pourtant prises les décisions qui ont conduit à cette violation. Et même lorsque des condamnations en justice sont par hasard obtenues, il est souvent difficile de les faire exécuter.

Les accords de commerce et d'investissement

Les accords de libre échange sont souvent décrits, par leurs partisans, comme des instruments visant à promouvoir le commerce international. En fait, ils constituent des outils permettant aux multinationales de faire valoir leurs intérêts, au détriment des populations et de l’environnement.

Ils s’attaquent aux obstacles au commerce, non seulement en abaissant les droits de douane, mais aussi en démantelant les barrières dites non tarifaires (c’est-à-dire les normes et réglementations), afin de stimuler le commerce des biens et des services. Il peut s’agir de règles concernant les droits des travailleurs, les protections environnementales ou les brevets des semences. Ils peuvent aussi intégrer des règles sur l’investissement, notamment le mécanisme controversé de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS). En vertu de ce mécanisme, les entreprises d’un Etat signataire peuvent poursuivre devant un tribunal arbitral un gouvernement de l’autre partie, si elles estiment que de nouvelles lois ou réglementations affectent négativement leurs bénéfices potentiels : c’est un vrai système de justice parallèle, présent dans plus de 3400 accords internationaux, qui ne cesse de croître et a déjà généré près de 1000 plaintes.

Ce mécanisme très controversé a été au coeur des mouvements de contestation massifs contre le TAFTA et le CETA. Malgré cette vague sans précédent de mobilisation, l’Union européenne promeut l’insertion d’un tel mécanisme dans un grand nombre d’accords en préparation (Canada, Japon, Singapour, Vietnam, etc.). Elle oeuvre également en faveur d’un projet de Cour multilatérale d’investissement (MIC, pour Multilateral Investment Court, en anglais) pour relégitimer l’arbitrage et étendre encore davantage les droits exorbitants accordés aux investisseurs.

Le lobbying ou capture des processus de décisions politiques

Lobbying de couloir, conflits d’intérêt, pantouflage, utilisation des médias… les lobbies des multinationales ont multiplié les canaux pour influencer les décideurs politiques, afin d’affaiblir ou d’empêcher l’émergence de toutes les législations et initiatives visant à mieux protéger les populations, l’environnement et le climat.

C’est aussi par ces biais que les multinationales imposent de grands projets inutiles et obtiennent même des fonds publics pour servir leurs seuls intérêts privés. Enfin, cette capture des processus de décisions politiques par les lobbies privés mine notre système démocratique et nourrit inévitablement la défiance des citoyens vis-à-vis des décideurs.

En anglais on parle de « corporate capture » pour décrire cette capture ou mainmise des lobbies sur les espaces et processus de décisions politiques. Les multinationales ont réussi à transformer le modèle même des processus de prise de décision politique pour s’y octroyer un rôle plus central, et en fixer l’ordre du jour, notamment au sein des espaces « multi-parties prenantes ». C’est ainsi par exemple que les majors pétrolières et gazières se retrouvent à la table des négociations internationales sur le climat ou dans les groupes « d’experts » mis en place par la Commission européenne. Il est aberrant qu’elles puissent participer à l’élaboration des règles et législations qui ont pour objectif de les réguler : leur intérêt est évidemment d’empêcher ou retarder l’adoption, et d’affaiblir l’ambition, de toute norme qui pourrait menacer leurs profits.

Solutions

Réguler les multinationales et donner accès à la justice aux personnes affectées

En réponse aux campagnes de la société civile dénonçant les atteintes graves aux droits humains et à l’environnement commises par les multinationales, ces dernières et les gouvernements ont eu comme seule réponse de développer des chartes éthiques et des normes volontaires, totalement inefficaces. Les Amis de la Terre militent au contraire pour l’adoption de législations contraignantes pour obliger les multinationales à respecter les droits humains et l’environnement, et donner à accès à la justice aux personnes affectées.

Réconcilier la réalité économique et juridique des multinationales est un impératif. C’est ainsi que les Amis de la Terre ont été au coeur du combat pour l’adoption de la loi française sur le devoir des multinationales, une loi pionnière au niveau mondial qui reconnaît la responsabilité légale des maisons-mères des multinationales sur les activités de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs, en France comme à l’étranger. Cette loi permet de saisir un juge en France même si les violations ont lieu à l’autre bout du monde.

Les Amis de la Terre sont aussi des acteurs clé dans le processus de négociation ouvert à l’ONU pour adopter un traité sur les multinationales et les droits humains.

Relocaliser nos économies

Les traités de commerce et d’investissement ne doivent plus être le bras armé des multinationales pour protéger leurs intérêts et leur donner des privilèges exorbitants. Les clauses d’arbitrage investisseurs-Etat (ISDS ou toutes ses autres formes “réformées”) doivent être révoquées dans les accords en vigueur, et les Etats doivent s’abstenir de conclure des accords de ce type à l’avenir.

Mais cela ne suffira pas et il faut aussi oeuvrer pour la relocalisation de nos économies. Le commerce international actuel favorise le dumping social et environnemental. Au vu de l’impact des transports notamment, c’est aussi un non sens dans le contexte de crise climatique.

Relocaliser, c’est aussi fonder l’économie et les échanges sur des liens directs, indispensables à la confiance entre citoyens et collectivités, entre producteurs et consommateurs, plutôt que sur l’anonymat et la standardisation.

Cette relocalisation n’a rien à voir avec le repli sur soi, bien au contraire, elle va de pair avec l’échange et l’ouverture aux autres sociétés, avec la solidarité et la liberté de circulation des personnes.

Contrer les lobbies

Face à l’influence démesurée des lobbies, de simples mesures de transparence ne suffiront pas. Il faut là encore des mesures d’encadrement contraignant par la loi, et c’est possible : la convention-cadre sur la lutte anti-tabac de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) limite très fortement les possibilités d’interaction entre les lobbies du tabac et les décideurs politiques. Cet exemple pourrait être répliqué dans de nombreux domaines, lorsqu’il y a des intérêts privés qui sont totalement inconciliables avec l’intérêt général (que ce soit en matière de santé publique, de protection de l’environnement, des droits humains etc) : les Amis de la Terre demandent notamment des mesures spécifiques concernant les lobbies de l’industrie fossile et leur influence sur les politiques de transition énergétique et lutte contre le changement climatique.

Repenser l’entreprise et redonner du pouvoir aux citoyens

C’est le modèle d’entreprise même qu’il faut repenser. En interne, pour que les travailleur.se.s puissent maîtriser leur destin et défendre des conditions de travail décentes. En externe pour que l’activité économique ne se fasse pas au détriment des droits humains et de l’environnement.

Les Amis de la Terre soutiennent les nouvelles formes d’entrepreneuriat du type coopératives (SCOP) qui redonnent du pouvoir aux travailleurs, et le secteur de l’économie sociale et solidaire.

En parallèle, il faut redonner du pouvoir aux citoyens et garantir leur participation réelle aux décisions politiques, à commencer par celles concernant les projets économiques se trouvant sur leur territoire. La démocratie représentative telle qu’elle existe ne saurait suffire. Il faut inventer des formes de démocratie fédérales, relocalisées, participatives et directes.

Demandes

01

Adopter et garantir le respect de législations contraignantes

au niveau national, européen et international, reconnaissant la responsabilité juridique des maisons-mères des multinationales vis-à-vis des activités de leurs filiales et de toutes les entités dans leur chaîne de valeur, en France et dans le monde entier.

02

Donner accès à la justice et aux réparations aux victimes

Les populations et travailleur.se.s affecté.e.s doivent avoir accès aux tribunaux dans les pays hôtes des sièges des multinationales, là où sont prises les décisions, quel que soit le lieu de survenance du dommage. La charge de la preuve doit peser sur les entreprises et non les personnes affectées (présomption de responsabilité).

03

Lutter contre les paradis fiscaux et judiciaires

Il faut imposer un reporting financier et extra-financier pays par pays et projet par projet pour que les multinationales cessent de profiter des paradis réglementaires, fiscaux et judiciaires, qui facilitent leur irresponsabilité.

04

Respecter le droit de dire "NON" des communautés

Les populations locales doivent avoir une place centrale dans les prises de décisions. Leur droit au consentement libre, préalable et informé doit être respecté, il s'agit d'un droit de "veto" des communautés sur les projets désireux de s'implanter sur leur territoire.